Article publié dans l'édition printemps 2015 de Gestion

Les exemples de réussite se multiplient, et dans un monde hyperconnecté, les succès sont largement diffusés. Aujourd’hui, l’entrepreneur inspire, fait rêver, car il représente le succès, la liberté et la prospérité. Parmi les facteurs clés de succès de ces femmes et de ces hommes qui ont créé des entreprises pérennes, on retrouve le modèle d’affaires. En effet, ces personnes ont réussi à cristalliser et à articuler une pensée ou une idée en actions concrètes créatrices de valeur en prenant en compte les attentes du marché, les besoins d’une clientèle cible et la capacité de livrer le produit ou le service. Bref, à créer de la valeur.

Modèle d'affaires et plan d'affaires

Qu’est-ce qu’un modèle d’affaires ? Quels sont les différences, les complémentarités, les interdépendances ou encore les liens entre le modèle d’affaires et le plan d’affaires? Le modèle d’affaires, encore appelé modèle économique ou business model, est le concept qui permet à une entreprise ou à un entrepreneur de créer de la valeur. Le plan d’affaires, quant à lui, décrit les buts et objectifs d’affaires, et fait état des étapes qui seront suivies. Le plan d’affaires découle donc du modèle d’affaires. C’est un document fournissant des informations explicites, notamment sur les opérations de l’entreprise, ses plans financiers, ses critères distinctifs et ses avantages concurrentiels.


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Cette différence entre la notion de concept et de plan d’exécution, correspondant respectivement au modèle d’affaires et au plan d’affaires, est très importante. En effet, il est possible de répondre à un besoin sans jamais trouver un moyen de le monnayer. Le modèle d’affaires doit expliquer comment une entreprise compte gagner de l’argent, quels sont les différents flux de revenus et en quoi la manière de générer des revenus est cohérente avec le projet. Le modèle d’affaires doit refléter la capacité de l’entreprise à livrer le produit ou le service aux consommateurs et aux bénéficiaires en s’appuyant sur diverses ressources mises à contribution (p. ex. capital humain, investissements, partenaires, etc.). Le modèle d’affaires permet également d’exprimer les degrés et le niveau d’innovation du projet. Le plan d’affaires se focalise ainsi essentiellement sur l’approche préconisée pour atteindre une clientèle cible. Par conséquent, il se concentre sur le processus de développement du produit ou du service plutôt que de s’axer sur le client avec une validation du besoin comblé sur le terrain, comme c’est le cas avec le modèle d’affaires. Le plan d’affaires demeure peu représentatif de l’originalité du projet dans sa globalité et ne véhicule pas adéquatement la pensée et la vision de l’entrepreneur.

Un modèle d’affaires original peut être lui-même une source d’innovation, et il en existe plusieurs types. Prenons l’exemple de Dell, actuellement troisième plus grand constructeur d’ordinateurs au monde. Dell est surtout connu pour les ordinateurs qu’il conçoit, fabrique et vend aux particuliers et aux professionnels. La compagnie n’innove pas particulièrement au niveau du produit. Dell innove au niveau de son modèle d’affaires basé sur la personnalisation et la vente d’ordinateurs directe, en ligne. L’approche préconisée par Dell a obtenu un grand élan avec l’arrivée d’Internet. L’entreprise a maintenu cet élan dans une industrie de marchandisation rapide, où la plupart de ses compétiteurs sont en difficulté. Aussi, en contrôlant les coûts, Dell s’est concentré sur les seules activités pouvant apporter plus de valeur et sur les segments de marché où les bénéfices sont les plus élevés, sans affecter la qualité du service. La plupart des autres acteurs de l’industrie de l’équipement informatique ont tenté de reproduire ce modèle d’affaires, mais tous ont échoué. Ceci s’explique par un contrôle et une exécution disciplinée des processus. Dell a ainsi démontré que l’innovation d’un produit à elle seule ne détermine pas le succès d’une entreprise. 

Les bonnes questions à se poser

La création d’une entreprise est une étape qui soulève de nombreux défis que l’entrepreneur peut relever en se posant les questions adéquates. En premier lieu, Qui sont les clients ? Il est primordial de répondre à cette question précisément, car elle permet de concentrer les efforts sur un segment de marché et de valider la proposition de valeur très rapidement. Il est très important de cerner avec exactitude la clientèle cible afin de pouvoir faire des pivots et de réadapter l’offre, le cas échéant. Quels sont les besoins de la clientèle ? Autrement dit, le produit ou service est conçu pour proposer quelle solution ou résoudre quelle problématique ? Quelle est la proposition de valeur ? Il s’agit ici de décrire succinctement, par une ou deux phrases, la solution proposée au client en termes de combinaison de produits ou de services. Il s’agit ici de démontrer la valeur ajoutée du produit ou du service pour le client. Par quels processus l’entreprise va-t-elle pouvoir créer de la valeur ? C’est-à-dire, de quelle manière l’entreprise va exploiter le besoin de sa clientèle cible, sa proposition de valeur, sa structure des coûts, son degré d’innovation et les ressources qui l’entourent pour être profitable.

Il est aujourd’hui clairement établi que le succès dépend :

  1. de la démarche entrepreneuriale ; 
  2. de la pertinence et de la maîtrise du modèle d’affaires ; 
  3. de la conception, de l’exécution et de l’organisation agile du projet. Le tableau ci-dessous résume les principales dimensions qu’un entrepreneur devrait réévaluer et reconsidérer sur une base régulière durant les premières phases de démarrage de l’entreprise.

Les étapes pour créer un modèle d’affaires qui crée de la valeur

Définir les liens entre la proposition de valeur, le besoin et les segments de clientèle

Un entrepreneur se doit de toujours commencer par cerner la pertinence et la cohérence de sa proposition de valeur. À cette fin, l’outil Value Proposition Canvas(VPC), développé par Pigneur et Osterwalder1, permet d’identifier et d’évaluer le segment de clientèle (customer profile), les tâches qui doivent être accomplies ainsi que les pertes subies et les « bénéfices » attendus dans l’exécution de ces tâches. Dans tous les cas, les bénéfices doivent être évalués en fonction de leur importance relative en regard des besoins du client. Ceci permet de dresser la « value map », un schéma de correspondances explicitant de quelle façon la proposition de valeur répond de manière précise aux besoins du client. Le segment de clientèle et la « value map » permettent de définir les éléments à considérer pour mobiliser l’ensemble des parties prenantes utiles et bien comprendre la solution proposée.

Les principales dimensions à reconsidérer par l’entrepreneur durant les différentes phases de développement de son projet d’entreprise

Comprendre et établir les liens entre la solution proposée et les ressources nécessaires pour la concrétiser

Trois avantages majeurs, associés à l’utilisation du VPC, permettent d’établir des liens entre la solution proposée et les ressources nécessaires pour la concrétiser :

  1. comprendre les mécanismes de la création de valeur ; 
  2. tirer un meilleur profit de l’expertise et des compétences de son équipe ; 
  3. limiter le gaspillage de temps passé à développer des idées qui ne fonctionneront pas.

L’outil VPC vise donc à fournir un langage commun aux équipes d’entrepreneurs et aux parties prenantes pour discuter des avenues potentielles de création de valeur pour leur entreprise. Cet outil permet ainsi

  1. d’accélérer la prise de décision ; 
  2. d’accroître l’agilité de manière à en tirer des bénéfices ; 
  3. d’augmenter la motivation des partenaires.

Si l’outil VPC met l’accent sur la valeur pour le client, le Business Model Canvas(BMC), également développé par Pigneur et Osterwalder2, sert à créer de la valeur pour l’entreprise tout en permettant la mise en exergue des enjeux d’une évolution du modèle d’affaires.

Plusieurs raisons sont citées pour utiliser le BMC. En effet, cet outil est un guide pour la conception de modèles d’affaires innovants. Il est construit autour des quatre grandes dimensions de l’entreprise, à savoir : le client, l’offre de produits ou de services, l’infrastructure et la viabilité financière de l’entreprise. Le BMC est tout d’abord un appui à la conceptualisation du projet d’entreprise. Le BMC vient aussi en soutien à la remise en question du projet dans une entreprise établie. Il s’agit d’évoluer, de se réinventer et de favoriser un mode de pensée tourné vers la création de valeur et l’innovation. Finalement, le BMC est un outil qui permet au porteur de projet de maîtriser l’évolution du projet à travers les différentes phases de développement de l’entreprise. Le BMC se veut donc un outil pratique facilitant la compréhension, la discussion, la créativité et l’analyse pour régénérer un modèle d’affaires.


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Définir le niveau d’innovation

Osterwalder et Pigneur proposent quatre épicentres de l’innovation dans les modèles d’affaires2. Les assises de chacun de ces épicentres sont les suivantes :

  1. Resource-driven (innovations axées sur les ressources *) : les innovations autour des ressources prennent racine dans l’architecture de la firme ou autour de partenariats pour transformer ou augmenter la capacité du modèle d’affaires ; 
  2. Offer-driven (innovations guidées par l’offre*) : elles sont basées sur la création de nouvelles propositions de valeur ; 
  3. Customer-driven (innovations basées sur les besoins des consommateurs*): ces innovations sont basées sur une réponse à apporter à de nouveaux besoins des clients, la capacité de faciliter l’accès à un service ou à un produit ou encore, une plus grande commodité dans la manière d’offrir le service ou le produit ; 
  4. Finance-driven (innovations reposant sur de nouveaux flux financiers*) : elles découlent de la capacité de la firme à créer de nouveaux flux de revenus, à s’appuyer sur des mécanismes de prix différents ou à réduire les coûts associés à la structure de l’organisation.

La combinaison de plusieurs de ces types d’innovations en constitue un cinquième, appelé Multiple-epicenter driven (innovations pilotées par plusieurs épicentres*). Les changements sont alors associés à une reconfiguration importante de l’ensemble des composants de l’entreprise.

La remise en question et l’évolution du modèle d’affaires dans le cadre du processus de valorisation

Le modèle d’affaires doit évoluer, être remis en question et être validé par le marché. Le changement, au même titre que l’innovation, est en effet une force commune dans le monde des affaires. Les entreprises en démarrage et les petites entreprises doivent être capables de s’adapter rapidement aux changements de l’industrie et aux demandes de leurs clients. L’incapacité d’adaptation au changement peut avoir des effets néfastes sur l’entreprise (p. ex. perte de clients, diminution des marges bénéficiaires, incapacité d’atteindre le segment cible, faillite, etc.). Comme on l’a déjà mentionné, il est alors important de réévaluer le modèle d’affaires pour éviter de gaspiller du temps et des ressources. En outre, il est crucial de mettre à jour le modèle d’affaires pour refléter les contraintes et les opportunités du marché (p. ex. nouvelles normes ou législations, entrée d’un compétiteur sur le marché, etc.). Il est enfin primordial de reconsidérer et de réévaluer la pertinence du modèle d’affaires selon la phase de développement de l’entreprise. Ce principe est d’autant plus incontournable pour les entreprises en création ou en démarrage.

Le processus menant à la concrétisation d’un projet d’affaires se nomme « chaîne de valorisation ». (Voir le Schéma) Cette dernière se définit comme une série d’activités qui consistent à transformer des idées en un produit ou service pouvant être acheté par un consommateur final. La chaîne de valorisation, bien que représentée de façon séquentielle, est en réalité un processus itératif et tourbillonnaire. La chaîne de valorisation se divise en trois principales étapes : l’étape projet, la phase stratégique et l’étape de commercialisation.

Le processus de création de valeur ou « chaîne de valorisation »

L’étape projet

Elle consiste à formuler, à conceptualiser et à transformer l’idée en un produit ou service concret. Cela signifie que l’entrepreneur joue le rôle de leader du projet capable d’évaluer et d’exprimer la proposition de valeur, les besoins que celle-ci vise à combler et les ressources du projet. L’entrepreneur qui démarre une entreprise est responsable de la planification et de la gestion des budgets, des jalons, des relations avec les parties prenantes, des risques, du contrôle et de l’assurance qualité, des échéanciers, et ce, durant les cinq phases de développement du produit ou service (initiation, planification, exécution, contrôle et clôture). C’est aussi très tôt dans cette étape que l’entrepreneur entame le processus de validation du besoin auprès de la clientèle par rapport à son produit ou à son service. Il est aujourd’hui établi que la validation du besoin et de la proposition de valeur très tôt dans le processus de valorisation sont des facteurs essentiels pour le succès du projet aux étapes subséquentes. Dès lors, l’entrepreneur réévalue sa proposition de valeur et valide qu’elle répond à un besoin en la testant auprès du segment du marché cible. Suivre et mettre à l’épreuve toutes ces dimensions revient concrètement à valider le modèle d’affaires. Il s’agit d’un processus itératif de remise en question, de test et de validation permettant de maintenir la cohérence entre le besoin à combler et la capacité de l’entreprise à offrir sa solution. À ce titre, les outils BMC et VPC peuvent être utilisés à cette étape pour représenter et exprimer le potentiel et la capacité du projet à créer de la valeur tout en maintenant la cohérence du projet. Le livrable principal de cette étape est un produit minimum viable (p. ex. prototype, maquette, programme, etc.) préalablement validé et testé, et dont la pertinence a été démontrée auprès de la clientèle cible.

La phase de positionnement stratégique et de précommercialisation

La sortie de la phase de formulation, de conceptualisation et de développement du produit minimum viable est un tournant de la vie de l’entrepreneur et de l’entreprise. En effet, il s’agit de prendre la décision de s’engager dans la production ou le déploiement du produit ou du service à grande échelle et d’en initier la commercialisation. La décision d’aller de l’avant dans la phase de précommercialisation résulte en réalité d’un consensus entre les ressources et compétences disponibles et le positionnement stratégique au sein du marché. Cette décision est également tributaire de l’engagement de l’entrepreneur, de son équipe et des parties prenantes (partenaires, investisseurs, membres du conseil d’administration, etc.) pour livrer le produit et soutenir sa commercialisation. Même si l’analyse du besoin s’opère tôt dans le processus de valorisation (conciliée dans un VPC, une analyse sectorielle et un dossier d’opportunité), celle-ci doit être renouvelée de façon plus approfondie et appuyée par des données quantitatives (études de marché, analyse stratégique de positionnement et de la concurrence, étude technico-commerciale) venant soutenir la capacité du nouveau produit ou service à générer les revenus prévisionnels. Si la première phase du processus de valorisation est une phase de validation auprès de la clientèle, celle-ci en est une de qualification pour attaquer le marché. Alors que les barrières à l’entrée sont bâties en amont durant la phase de conceptualisation, c’est à cette étape que se définit la stratégie de propriété intellectuelle (qui consolide l’avantage stratégique). À cette étape, l’outil BMC est particulièrement adapté pour se comparer aux autres compétiteurs.

L’étape de commercialisation

La commercialisation constitue la dernière étape du processus de valorisation, où les efforts se concentrent sur le marketing et la promotion du produit ou du service. La vente représente le principal et probablement le plus connu des vecteurs pour générer des revenus. Néanmoins, d’autres possibilités s’offrent aux entreprises. À titre d’illustration, il y a les licences, l’essaimage, le codéveloppement de produits et le transfert de la propriété intellectuelle qui représentent des options permettant à la jeune entreprise de tirer profit de ses acquis au niveau du marché. Les experts s’entendent sur la nécessité de rester à l’écoute des besoins de la clientèle cible, mais aussi d’initier la réflexion sur les options qui permettraient à l’entreprise en démarrage de cibler de nouveaux segments ou même de diversifier les secteurs d’activité, et ainsi de consolider son positionnement (voire repositionnement) sur le marché. Dans ce contexte, il est primordial de reconsidérer le modèle d’affaires et d’évaluer la capacité de l’entreprise à atteindre ses objectifs, notamment dans une perspective de diversification. Le BMC permet à l’entrepreneur de modéliser sa proposition de valeur et donc d’innover. À cette étape, l’entreprise entame un nouveau cycle d’idéation, de conceptualisation et de développement d’un nouveau produit dans le cadre de la « chaîne de valorisation ».

Vers un modèle gagnant ?

Un modèle d’affaires gagnant accomplit trois fonctions principales : (1) il permet de conceptualiser et de communiquer les enjeux et dimensions du projet ; (2) il aligne et fédère l’équipe et les partenaires vers un ensemble d’objectifs communs ; (3) il permet d’évaluer la faisabilité et la profitabilité du projet. Cette approche permet d’éviter des situations de revers-erreurs-échecs ou, le cas échéant, d’en tirer des apprentissages et de les mettre à profit très tôt dans le processus de valorisation.


Références

1.   Osterwalder, A., Pigneur Y., Bernarda, G., SmithA., et Papadakos T. (2014), Value Proposition Design. How to Create Products and Services Customers Want. John Wiley & Sons, Inc.

2.   Osterwalder, A., Pigneur, Y. (2010), Business Model Generation. A Handbook for Visionaries, Game Changers, and Challengers. John Wiley & Sons, Inc. Pour la traduction française : Osterwalder, A., Pigneur, Y. (2011), Business Model Nouvelle Génération. Un guide pour visionnaires, révolutionnaires et challengers, Pearson Education France.


Notes

[*]Traduction libre