Article publié dans l'édition Hiver 2020 de Gestion

Avec le télétravail et la délocalisation des activités, la gestion des équipes d’employés peut vite devenir un véritable casse-tête. Quels sont les problèmes auxquels doivent faire face les gestionnaires et comment peuvent-ils s’y préparer?

De nos jours, un grand nombre d’entreprises peuvent mener à bien leurs activités même si leurs employés ne se trouvent pas tous physiquement dans leurs locaux. Certains d’entre eux peuvent faire du télétravail une ou plusieurs journées par semaine ; des équipes entières peuvent aussi œuvrer dans une autre ville, dans une autre région ou même dans un autre pays.


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Si cette réalité existe depuis plusieurs années, certains facteurs l’ont accentuée, notamment le développement des technologies numériques et l’arrivée de la génération des milléniaux sur le marché du travail. Ces derniers sont assurément très à l’aise avec le télétravail : un jour au bureau, un jour à la maison, un jour dans un café où on offre gratuitement la connexion Internet…

Une flexibilité que cette main-d’œuvre apprécie tout particulièrement, car elle facilite la conciliation du travail avec la vie personnelle. Toutefois, cette nouvelle réalité crée de l’instabilité et peut compliquer la gestion des activités des entreprises.

Dans ce contexte, les gestionnaires doivent quand même trouver le moyen de superviser leurs employés, de planifier les tâches et de motiver les troupes. Avec le travail à distance, les rencontres en personne de tous les membres d’une équipe sont devenues plus rares, voire carrément impossibles lorsqu’une partie du personnel se trouve à de grandes distances. À cela s’ajoute parfois le décalage horaire, qui ne simplifie pas l’organisation de réunions.

Un biais psychologique

Le sentiment d’appartenance du personnel à une entreprise ou à une de ses équipes risque donc de se dissiper ou de s’évanouir complètement lorsque le télétravail acquiert trop d’importance. Parallèlement, l’établissement d’un lien de confiance entre un superviseur et ses employés qui travaillent à distance peut s’avérer plus ardu, et ce, pour la bonne et simple raison qu’ils ne se côtoient pas au quotidien.

En outre, ce qu’on appelle l’erreur d’attribution fondamentale contribue à changer la donne. Selon ce concept en psychologie, les gens auraient tendance à sous-évaluer les causes contextuelles (situations, événements, etc.) dans l’explication du comportement d’autrui en privilégiant les causes individuelles (personnalité, intentions, etc.).

Par exemple, lorsqu’on échoue à un examen, on se hâte d’affirmer que c’est parce que les questions étaient tendancieuses ou que le professeur a corrigé trop sévèrement. En revanche, lorsqu’une autre personne ne réussit pas un examen, on tient souvent pour acquis qu’elle n’a pas suffisamment étudié.

Ce biais cognitif se manifeste lorsqu’on dispose d’information insuffisante. Il risque donc tout particulièrement de se produire dans un contexte de travail à distance. Par exemple, un gestionnaire pourrait avoir tendance à évaluer plus favorablement les employés qui se trouvent au même endroit que lui, alors qu’il aurait un préjugé négatif envers ceux qui font du télétravail.

Ce processus psychologique peut également s’observer entre les membres d’une même équipe, ceux qui sont sur place se méfiant de leurs collègues œuvrant ailleurs. Ainsi, lorsqu’une personne qui fait du télétravail arrive en retard à une réunion, on a tôt fait de montrer du doigt ses lacunes en matière d’organisation ou son manque de professionnalisme. En revanche, si le même employé a l’habitude d’être physiquement présent au travail, on est plus susceptible de tenir compte spontané- ment des effets d’une panne de métro ou d’une tempête de neige sur sa ponctualité.

La planification et l’exécution du travail

Comment éviter ces sources potentielles de discorde et de malentendus qui nuisent autant à l’efficacité au travail qu’à la productivité des entreprises ? En premier lieu, lorsqu’une nouvelle équipe de travail est formée, le gestionnaire doit mettre en place une structure précise, définir une procédure et fixer des règles très claires afin que tous – aussi bien les personnes sur place que celles qui travaillent à distance – soient sur la même longueur d’onde.

Par exemple, on peut établir à l’avance qu’il faut répondre aux courriels et aux messages téléphoniques le jour même, que la participation aux audioconférences est obligatoire, etc.

Lors des premières semaines, une réunion initiale à laquelle chaque membre de la nouvelle équipe doit assister en personne constitue également un gage de réussite. Cette rencontre permet de tisser des liens de confiance entre les membres du groupe tout en réduisant le risque que se manifeste un biais d’erreur d’attribution fondamentale.

Au démarrage d’un projet qui implique le recours à des équipes délocalisées, le gestionnaire doit s’assurer que ses employés disposent des outils nécessaires à leurs tâches et qu’ils savent les utiliser. Au besoin, on peut offrir des séances de formation.

Mais ce n’est pas tout : puisqu’on ne peut pas voir au quotidien ce que font les employés en télétravail, le micro management est à la fois difficile à mettre en œuvre et peu efficace. Afin de soutenir la motivation collective et de faire en sorte que les travailleurs se sentent mobilisés au sein de leur organisation, une bonne stratégie consiste à les impliquer tôt dans le processus de planification au lieu de la leur imposer sans les avoir consultés. Pour y parvenir, la transparence est de rigueur quant au mode d’assignation et d’exécution des tâches.

L’autre secret du succès ? Effectuer une synchronisation régulière au moyen de courtes réunions pour faire le point, par exemple en ayant recours à des vidéoconférences si les rencontres en personne sont impossibles. Notons ici que des gestionnaires de nombreuses organisations ont constaté que les audioconférences seraient moins efficaces à cet égard.

La synchronisation évite aussi les problèmes de compréhension et permet de s’assurer que les consignes ont été bien comprises par tous les membres de l’équipe. On recommande également de prévoir des réunions plus courtes mais plus fréquentes et d’envoyer un courriel récapitulatif (grands points abordés, décisions prises, etc.) aux participants après chaque rencontre.

Défis et solutions

La délocalisation recouvre une multitude de réalités et de situations, d’où la difficulté de dégager des solutions applicables à l’ensemble des organisations. Les relations au sein des équipes délocalisées se compliquent d’autant qu’il n’est pas rare qu’un employé appartienne à diverses équipes en fonction des tâches qu’on lui a assignées et relève par conséquent de plusieurs superviseurs à la fois.

Or, si certains de ses gestionnaires sont sur le même lieu de travail que lui alors que d’autres travaillent à distance, il y a fort à parier que cet employé sera davantage réactif à ceux qui se trouvent plus près de lui, faisant passer les autres au second plan. Cela étant, les nouvelles technologies donnent un solide coup de pouce et facilitent la gestion quotidienne.

Elles offrent la possibilité de collaborer facilement avec des gens qui se trouvent à des centaines de kilomètres, presque comme si tout le monde était dans la même pièce. L’application Google Docs permet par exemple à plusieurs personnes de travailler sur un même document de façon synchronisée.

Partage de fichiers et stockage dans le nuage informatique sont un véritable jeu d’enfant avec des applications comme Dropbox ou Google Drive. Quant à la vidéoconférence, elle favorise grandement les communications au sein des équipes.

Néanmoins, pour tirer parti de ces technologies, il faut vérifier la compatibilité des systèmes informatiques, effectuer les mises à jour nécessaires, s’assurer que tous les employés utilisent les mêmes outils et surtout faire en sorte que chacun sache bien s’en servir.

Cela demande un certain investissement de la part du personnel, qui doit parfois suivre une formation complémentaire, sans parler de la perte de temps causée par les problèmes techniques. Mais au bout du compte, le jeu en vaut la chandelle.

Certains problèmes peuvent cependant surgir en matière de confidentialité, par exemple lorsque les employés utilisent leur ordinateur portable dans un lieu public. Là encore, l’employeur doit fixer des règles claires afin de garantir la sécurité des données de l’entreprise.


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Enfin, il est primordial d’entretenir un fort sentiment de justice au sein des équipes. On doit bien réfléchir avant de permettre à certaines personnes de travailler à distance et expliquer clairement les diverses facettes de cette question aux autres membres de l’équipe. Un traitement équitable est indispensable pour que le télétravail fonctionne sans anicroche.


Pour aller plus loin

Ferrazzi, K., « Getting virtual teams right », Harvard Business Review, vol. 92, no 12, décembre 2014, p. 120-123.

Mortensen, M., « A first-time manager’s guide to leading virtual teams » (article en ligne), Harvard Business Review, septembre 2015.

Eckhardt, A., Giordano, A., Endter, F., et Somers, P., « Three stages toa virtual workforce », MIS Quarterly Executive, vol. 18, no 1, mars 2019, p. 19-35.