Article publié dans l'édition Hiver 2020 de Gestion

Même si l’être humain travaille en équipe depuis le début de l’humanité, l’intérêt pour le sujet est loin de s’essouffler. Au contraire, la question traditionnelle « Pour qui travaillez-vous? » est maintenant devenue celle-ci : « Avec qui travaillez-vous1? »

Le travail en équipe occupe aujourd’hui une place centrale dans le fonctionnement des organisations. État de la situation avec une experte de HEC Montréal dans ce domaine.


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Les entreprises étant soumises à une concurrence sans précédent, le succès organisationnel passe obligatoirement par la capacité des dirigeants à créer des équipes performantes et à favoriser une coopération efficace entre elles.

Les structures hiérarchiques traditionnelles font maintenant place à des écosystèmes de collaboration. Une telle transformation de l’organisation du travail apporte son lot de défis et de problèmes qui ont forcément des répercussions sur les pratiques en matière de direction.

Pour mieux comprendre l’importance croissante des équipes dans les organisations et les changements qui accompagnent cette tendance, Gestion a rencontré Caroline Aubé, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal ainsi que directrice de la recherche et du transfert au sein de cet établissement. Depuis 20 ans, elle consacre ses travaux de recherche à la question de la gestion et de l’efficacité des équipes de travail en milieu organisationnel.

Qu’est-ce qui explique ce regain d’intérêt pour les équipes de travail ?

Caroline Aubé : La création d’équipes efficaces représente plus que jamais un vecteur d’innovation, d’agilité et de performance organisationnelles. De nos jours, ne pas encourager le travail en équipe équivaut ni plus ni moins à se fermer au progrès.

Les environnements d’affaires étant de plus en plus complexes et dynamiques, le travail en vase clos est devenu impensable. Pour se démarquer, il faut miser sur l’interdisciplinarité et sur l’agilité que permet le travail en équipe. C’est en croisant les expertises et les points de vue, ainsi qu’en développant l’habilitation [ou empowerment] des personnes, qu’on parvient à créer de la valeur.

Comment travaille-t-on en équipe aujourd’hui, comparativement à ce qu’on faisait il y a 15 ans ?

C. A. : Le travail en équipe a connu une véritable révolution. Dans le contexte actuel, où les organisations fonctionnent de plus en plus souvent par projets, les gens sont fréquemment amenés à travailler dans plus d’une équipe à la fois ; les changements de collaborateurs sont donc réguliers.

Par conséquent, les frontières entre les équipes sont moins étanches. La composition des équipes est moins stable dans le temps : elles se font et se défont au rythme des projets. Qui plus est, le travail en équipe ne se fait plus seulement entre quatre murs et en temps réel, comme c’était le cas autrefois.

De nos jours, les équipes sont souvent délocalisées et amenées à travailler de façon asynchrone. Bien sûr, il existe encore des équipes efficaces dont le fonctionnement est plus traditionnel, mais ce n’est plus la seule option possible.

Quelles sont les répercussions de cette transformation des équipes pour les travailleurs ?

C. A. : Les emplois qui nécessitent peu d’interactions avec les autres sont de plus en plus rares. Aujourd’hui, si on veut connaître du succès individuellement et collectivement, il faut être prêt à travailler avec des personnes de différentes cultures, de plusieurs générations, et qui ont des expertises diversifiées. On doit apprécier et rechercher la complémentarité, en plus d’abandonner le réflexe de s’entourer uniquement de personnes qui nous ressemblent.

Comme les travailleurs sont appelés à contribuer à de nombreux projets et au sein de plusieurs équipes, ils ont avantage à être flexibles et curieux, à démontrer une volonté d’adaptation et une ouverture au changement.

Comment les dirigeants et les gestionnaires peuvent-ils favoriser le succès des équipes ?

C. A. : Les équipes de travail présentent un grand potentiel, mais leur succès n’est ni instantané ni assuré. Une des responsabilités des dirigeants et des gestionnaires consiste à faire en sorte que la culture organisationnelle – les pratiques de direction en particulier – soit cohérente avec les besoins des équipes de travail.

Le succès des équipes pourra difficilement être au rendez-vous si, par exemple, les pratiques de reconnaissance et d’évaluation de la performance mettent strictement l’accent sur le succès individuel, au détriment de la collaboration et de la réussite collective.

Dans le même ordre d’idées, on peut difficilement espérer que les équipes soient pleinement efficaces si les canaux de communication sont déficients et si les équipes n’ont pas accès aux informations qui leur permettent de prendre, au moment opportun, les décisions adéquates.

Sans un contexte de travail qui correspond aux besoins des équipes, nous prenons le risque que le travail en équipe devienne un vœu pieux et qu’il se résume à une belle valeur diffusée sur le site Web de l’entreprise ou dans les discours des dirigeants sans toutefois être véritablement incarnée dans le quotidien de l’organisation. La création d’équipes efficaces implique l’harmonisation des pratiques organisationnelles et des exigences du travail en équipe.

Dans ce contexte, comment peut-on bien former les gestionnaires de demain ?

C. A. : Gérer une équipe, ça prend des connaissances, bien sûr, mais il faut d’abord et avant tout avoir des compétences personnelles et relationnelles ainsi que des savoir-faire. Un bon gestionnaire d’équipe est entre autres capable de s’adapter au cycle de vie de son équipe, aux changements au sein de l’organisation, aux demandes évolutives des clients, aux particularités des tâches à accomplir, au degré de compétence des gens qu’il dirige, etc.


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Il doit également être en mesure de susciter la collaboration en fixant des objectifs communs stimulants, en donnant de la rétroaction, en reconnaissant le travail collectif ainsi qu’en créant un climat de travail basé sur la confiance réciproque.

Le défi est important, mais la tâche n’est pas insurmontable. Au contraire, gérer une équipe, ça s’apprend. Comme l’illustrent tous les articles du dossier de ce numéro de Gestion, même s’il n’y a pas de recette unique, il existe de bonnes pratiques dont on gagne à s’inspirer.


Note

1- Ces questions sont évoquées dans le rapport intitulé Leading the Social Enterprise Reinvent With A Human Focus, publié par Deloitte en 2019, qui traite des tendances mondiales dans le domaine du capital humain.