Article publié dans l'édition Automne 2020 de Gestion

Les coopératives à vocation sociale brassent parfois de très grosses affaires. Mais pour avoir les moyens de leurs ambitions, elles doivent d’abord relever de nombreux défis.

Les affaires de la Fédération québécoise des coopératives en milieu scolaire marchent du tonnerre de Dieu. Forte de 1 500 employés dans 60 coopératives avec un chiffre d’affaires consolidé de 126 millions de dollars, la Coopsco prépare de grands projets pour le Canada et pour les États-Unis. « C’est très motivant, dit André Gagnon, directeur général. Il y a plusieurs avenues de croissance possibles, même au Québec. »


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La Coopsco peut se permettre de voir grand parce qu’elle a surmonté les problèmes que rencontrent pratiquement toutes les coopératives à vocation sociale. En réalité, ces types de problèmes – échelle inadéquate, amateurisme, mission mal définie ou manque de soutien – sont communs à presque toutes les organisations. Sauf qu’il existe bien souvent une manière « coopérative » de les surmonter.

Un défi de taille

Les 1 249 coopératives d’habitation du Québec comptent pour 40 % des 3000 coopératives présentes au Québec, mais leur personnel, 170 employés en tout, représente moins de 2 % des 116 000 emplois du secteur. « La plus grosse coopérative canadienne, village Cloverdale à Pierrefonds, regroupe 850 logements, mais la moyenne est beaucoup plus petite, autour de 25 logements par coopérative », dit Jacques côté, président de la Confédération québécoise des coopératives d’habitation.

La petitesse de la main-d’œuvre des coopératives sociales est souvent citée comme un défi : la moyenne québécoise est de 39 employés par coopérative, y compris les caisses populaires et les grosses coopératives forestières. Pour contrer ce problème, la solution consiste à s’unir. Le format standard est une fédération, soit une coopérative de coopératives. En habitation, les coopératives sont regroupées en sept fédérations régionales, qui offrent à leurs membres des services de gestion, de formation, de perception et d’entretien. Six fédérations (sauf celle de Montréal) font également partie d’une confédération, qui voit aux représentations politiques, offre des services d’assurance et étudie de nouvelles formules, par exemple des coopératives de propriétaires, un modèle distinct des coopératives de locataires traditionnelles.

Le modèle fédératif n’est pas le seul moyen de coopérer entre coopératives. Les 44 coopératives de santé, avant même de se regrouper en fédération en 2018, profitaient depuis 2011 des services du consortium de ressources et d’expertises coopératives. Celui-ci offre des services partagés (conseils juridiques, ressources humaines, comptabilité, informatique, etc.) à des centaines de coopératives et d’organismes à but non lucratif. « Nous nous organisons. Nous proposons déjà un service de télémédecine et d’autres services d’accompagnement », mentionne François allaire, directeur général de la Fédération québécoise des coopératives de santé, qui porte également le chapeau de directeur du développement stratégique au consortium.

La fusion est, bien évidemment, l’autre solution au problème de taille des coopératives. Jacques côté en sait quelque chose : la coopérative d’habitation des Cantons-de-l’Est, qu’il a fondée à Sherbrooke en 1975, regroupe 254 logements dans 45 immeubles, ce qui lui a permis d’embaucher très tôt son propre personnel, une rareté en habitation. « L’idée fait son chemin, dit-il. À Longueuil, une demi-douzaine de coopératives situées sur la même rue se sont unies pour embaucher du personnel. Lentement mais sûrement, le niveau de compétence monte. »

Les ambitions de la Coopsco

La Coopérative HEC Montréal, avec son service de librairie, ses cafétérias, son restaurant Le Cercle et son service de traiteur, n’est pas l’exception qui confirme la règle. C’est toute la Fédération québécoise des coopératives en milieu scolaire qui connaît une forte expansion.

La Coopsco est bien implantée au Québec. Ses librairies sont présentes dans toutes les universités, sauf une, et dans tous les cégeps, à l’exception de quatre. Du côté des services alimentaires, elle détient 40 % du marché des établissements d’enseignement supérieur. « Ça nous laisse pas mal de possibilités de développement au Québec, mais nous regardons aussi
ailleurs », précise André Gagnon, le directeur général.

En préparation, la Coopsco a ouvert un premier magasin dans une université anglophone québécoise, l’Université Bishop’s, à Sherbrooke, et elle fait son entrée dans les provinces voisines, entre autres à la Cité collégiale à Ottawa, au Collège Boréal à Sudbury et à l’Université de Moncton. Cela exige un apprentissage : « La demande varie d’un établissement à l’autre. Elle n’est pas la même à HEC Montréal et au cégep de Thetford. Dans les milieux anglophones, une des grandes différences concerne le matériel promotionnel de l’institution elle-même, qui occupe un espace beaucoup plus grand sur les tablettes. » Côté librairie, la Coopsco devra contourner un obstacle d’envergure : les universités anglophones sont habituellement propriétaires de leur librairie, très rentable pour elles. « Mais on peut leur offrir de profiter de nos prix pour les fournitures, pour le matériel informatique et pour l’électronique, ainsi que de nos plateformes électroniques spécialisées. »

Les occasions hors Québec seront certainement plus nombreuses du côté des services alimentaires, car ces universités sous-traitent habituellement à de grandes chaînes de la restauration. Or, celles-ci n’ont généralement pas la souplesse nécessaire pour s’adapter aux préférences locales. André Gagnon veut également exploiter les nombreuses possibilités de croissance au Québec. Les libraires coopératives, par exemple, développent actuellement le marché du matériel de rentrée pour les écoles primaires et secondaires, un casse-tête pour bien des parents. La Coopsco a créé une application qui permet de commander le nécessaire à la coopérative, puis de le faire livrer à la maison ou à l’école.

Côté alimentation, les coopératives sont encore absentes de 60 % des cégeps et des universités ainsi que de la quasi-totalité des 670 écoles primaires et secondaires québécoises. Or, il est permis de rêver. C’est la Coopsco Collège d’Alma qui exploite toutes les cafétérias de la Commission scolaire d’Alma ! « La Coopérative de solidarité de l’Université de Sherbrooke vient d’acquérir un camion pour livrer aux écoles de son territoire. Il y a encore énormément de possibilités. »

La quête du professionnalisme

Les coopératives scolaires existent depuis les années 1940, mais les deux premières fédérations ont dû fermer en 1951 et en 1973 à cause de difficultés financières. Ce n’est qu’en 1983 que la fédération actuelle a vu le jour. « Ce qui a fait une différence, c’est que le gouvernement a imposé la séparation complète entre le conseil d’administration et les employés », indique André Gagnon. Auparavant, la confusion des rôles était absolue : les utilisateurs pouvaient aussi être employés et membres du conseil d’administration, ce qui avait tendance à créer des conflits d’intérêts. Qui plus est, le fort taux de roulement des étudiants aggravait les carences quant au suivi et au manque d’expertise en gestion.

« Désormais, les membres du conseil d’administration ne sont pas des employés. Les étudiants ont des emplois à temps partiel et les postes de cadre – directeurs, comptables, cuisiniers, libraires – sont confiés à des permanents non étudiants. C’est quand on a compris ça qu’on a pu assurer la pérennité », dit André Gagnon, qui dirige la Coopsco depuis 1998 et qui a en guidé la diversification vers les services alimentaires, l’édition (Groupe Fides) et la création d’une coentreprise de gestion informatique (campus innovations).

Ce travail de professionnalisation est une des premières tâches des coopératives. À la Fédération québécoise des coopératives de santé, le défi est énorme, car le milieu est complexe et chaque conseil d’administration ne profite pas également des mêmes compétences parmi ses membres. « On veut amener nos coopératives à être plus autonomes, mieux informées, mieux outillées pour gérer et pour administrer », dit Gabrielle Bourgault-Brunelle, directrice de la gestion de projets, qui érige un système d’accompagnement pour de meilleures pratiques d’affaires.

Un défaut de vision

Autre problème très courant : le manque de clarté dans le modèle d’affaires, amplifié par la double mission des coopératives, à la fois lucrative et sociale. Même si les coopératives en milieu scolaire sont des commerces bien terre à terre, elles ne doivent pas perdre de vue leur mission sociale. « Le milieu scolaire n’est pas un centre commercial. Il faut respecter la logique de l’établissement », dit André Gagnon.

Le problème est inverse chez les coopératives de santé. Même si celles-ci ont le statut de coopératives à but non lucratif, ce qui est davantage l’exception que la norme dans le monde coopératif, les organisations qui réussissent le mieux sont celles qui établissent une vraie pratique commerciale : elles assurent les services administratifs (y compris l’immobilier), fidélisent la clientèle, organisent la publicité et le positionnement de la coopérative, élaborent des services.

Selon André Gagnon, la prise en compte des valeurs locales est essentielle. La fédération ne doit pas imposer un carcan. En services alimentaires, par exemple, une coopérative doit composer les menus selon les préférences du milieu: achats locaux par-ci, produits bio par-là, lutte contre la malbouffe ailleurs et véganisme sur demande. « Et le directeur d’une coopérative doit toujours être sur place, raconte-t-il. Quand je dirigeais la Coopsco Outaouais, les gens m’interpellaient en pleine partie de badminton s’il y avait un problème. Ça ne prenait pas trois jours à se régler! »

Un problème de reconnaissance

Branchées sur leur milieu, les coopératives manquent de reconnaissance des gouvernements et des bailleurs de fonds. La Fédération québécoise des coopératives de santé se heurte par exemple à l’indifférence des autorités. « Le ministère ne nous accorde aucun soutien, alors que notre utilité sociale est évidente », dit François allaire.

Les coopératives d’habitation ont quant à elles maille à partir avec les bailleurs de fonds, principalement les institutions financières, et avec le gouvernement, qui édicte les règles. Par exemple, c’est le gouvernement qui garantit les prêts pour construire, si bien que les institutions financières ne se font pas prier pour proposer des hypothèques aux coopératives. Mais tout devient plus compliqué quand il s’agit de rénover. Le gouvernement ne garantit pas les prêts à la rénovation, ce qui fait en sorte que la plupart des institutions financières refusent de prêter. Une coopérative a beau avoir réglé toutes ses dettes, les prêteurs jugent les loyers des coopératives beaucoup trop bas.


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Jacques côté espère de son côté que les règles vont changer. « On n’est pas des HLM. Oui, on veut des loyers aussi bas que possible, mais une coopérative n’est pas un organisme de charité non plus et les faillites sont très rares. Si on veut maintenir nos actifs, il faut rénover. Une coopérative ne crée pas de la valeur en se vendant. Pour créer des liquidités, il faut pouvoir réemprunter. Nos coopératives sont obligées d’avoir un financement perpétuel, ce qui pousse donc les créanciers à devoir nous suivre. Le Mouvement Desjardins a assoupli ses règles, mais ça n’avance pas vite du côté des autres institutions financières », conclut-il.