Article publié dans l'édition Automne 2020 de Gestion

Actives dans des secteurs variés, les coopératives de consommateurs présentent certains avantages pour leurs membres. Néanmoins, plusieurs d’entre elles sont en perte de vitesse, ce qui laisse croire que ce modèle ne répond plus aux besoins des adhérents. Tour d’horizon.

Comme toute entreprise, la coopérative de consommation a pour mission de maximiser la valeur pour ses propriétaires. Ceux-ci étant les consommateurs, elle doit donc leur donner accès à une offre de produits et de services qui réponde à leurs attentes. Autrement dit, elle doit leur offrir, entre autres, le meilleur rapport qualité-prix possible.


LIRE AUSSI : « Séparer le bon grain de l’ivraie »


Les coopératives de consommateurs œuvrent dans différents secteurs : alimentation, milieu scolaire, services funéraires, services financiers, regroupements d’achats, etc. on pense à de gros joueurs comme le Mouvement Desjardins ou Mountain Equipment Co-op (MEC), par exemple, ainsi qu’aux coopératives alimentaires et de fournitures scolaires, de taille plus modeste. Or, en ces temps de mondialisation et de concurrence féroce, une question se pose : les coopératives ont-elles su conserver leur valeur aux yeux des consommateurs ?

Ce qui les distingue

Selon la Déclaration sur l’identité coopérative, la coopérative de consommateurs se définit comme une association autonome de personnes unies volontairement pour répondre à leurs besoins communs par l’entremise d’une entreprise. Son organisation coopérative s’articule autour de sept grands principes : l’adhésion libre et volontaire, la détention d’une part du capital pour avoir le statut de propriétaire et pour participer aux décisions, l’autonomie et l’indépendance, la volonté d’éduquer les membres, la collaboration entre les coopératives et le souci du bien-être des communautés où elles œuvrent.

Toutefois, d’autres modèles d’organisations peuvent présenter ces caractéristiques. Alors, qu’est-ce qui distingue réellement les coopératives de consommation ? tout d’abord, ce qui constitue de la valeur aux yeux des propriétaires. Ainsi, le propriétaire d’une entreprise classique cherche à maximiser le retour sur le capital investi. Pour sa part, le propriétaire d’une coopérative de consommation contribue au capital non pas pour voir sa contribution fructifier mais pour pouvoir profiter d’une offre de biens et de services qui satisfasse ses besoins.

Autre caractéristique propre aux coopératives de consommation : pour prendre part aux décisions, leurs propriétaires doivent certes posséder une part de capital. Il demeure cependant que leur pouvoir décisionnel repose non pas sur la valeur du capital qu’ils possèdent mais bien sur le principe démocratique selon lequel chaque personne détient un vote.

La gestion de la participation financière à la propriété est également un élément distinctif. Ainsi, il n’y a pas de marché externe à l’entreprise où se transigent les parts de capital, qui sont vendues directement aux membres. Lorsqu’un membre décide de quitter la coopérative, celle-ci doit lui racheter ses parts. Autre distinction importante : la valeur de la part ne fluctue pas dans le temps. Donc, la croissance de la valeur de la coopérative ne se reflète pas dans celle de la part. c’est pourquoi on trouve deux sections dans l’avoir d’une coopérative : la valeur de l’ensemble des parts détenues par les membres et la réserve, qui représente la différence entre la valeur de l’avoir et celle des parts de propriété. Cette réserve est inaliénable et, en cas de liquidation de la coopérative, elle ne sera pas répartie entre les membres mais distribuée à d’autres coopératives.

Enfin, la coopérative de consommation se distingue par sa façon de répartir les excédents. Une partie est réinvestie dans l’entreprise, ce qui bonifie la réserve, et l’autre peut être distribuée entre les propriétaires non pas en fonction du capital détenu mais au prorata de l’utilisation des services par les membres. C’est le principe de la ristourne, qui constitue en fait une correction de prix après coup à l’avantage des consommateurs.

Ces caractéristiques propres aux coopératives constituent-elles un avantage concurrentiel ? puisque leur raison d’être repose sur la valorisation de ce qui constitue de la valeur aux yeux des consommateurs, elles devraient favoriser les décisions à l’avantage de ces derniers. Le fait qu’ils soient démocratiquement souverains en ce qui a trait aux grandes décisions est un autre point positif. De plus, les modalités de participation à la propriété font en sorte qu’elle ne peut pas être vendue à des intérêts étrangers, et l’inaliénabilité du patrimoine implique qu’individuellement, les membres n’ont aucun intérêt à liquider l’entreprise. Ceci permet donc une offre de services à long terme. Enfin, lorsque les excédents sont versés à la réserve de la coopérative, sa compétitivité future s’en trouve bonifiée, tandis que les ristournes rendent son offre de services plus attrayante. Par conséquent, quelle que soit la façon dont la coopérative distribue ses excédents, c’est toujours à l’avantage des membres consommateurs.

Les sept principes des coopératives

  1. Adhésion libre et volontaire
  2. Contrôle démocratique par les membres
  3. Participation économique des membres
  4. Autonomie et indépendance
  5. Éducation, formation et information
  6. Coopération entre les coopératives
  7. Dévouement à la communauté

Source : Alliance coopérative internationale

Plusieurs lièvres à la fois

Bien qu’une coopérative de consommateurs possède théoriquement des avantages par rapport à une entreprise traditionnelle, il faut apporter quelques nuances. Dans les faits, sa mission ne se limite pas à répondre aux besoins communs de ses membres : elle aspire également à jouer un rôle social et à contribuer au bien-être de sa communauté. En plus de fournir des produits et des services de qualité à ses membres, elle souhaite être un bon employeur, par exemple en aidant le milieu culturel ou l’économie régionale. Cette dualité est difficile à soutenir alors que la concurrence se fait de plus en plus forte, le financement de cet engagement social ayant nécessairement des répercussions sur la compétitivité de l’offre de services de la coopérative.

Lorsqu’une coopérative est en position de monopole ou fait partie d’un oligopole, elle génère des bénéfices économiques et peut effectivement financer une contribution à sa communauté. Mais dès que la concurrence se fait plus pressante, elle n’a d’autre choix que de se concentrer sur sa mission première, c’est-à-dire répondre aux besoins communs de ses propriétaires. Cesser de courir plusieurs lièvres à la fois devient donc une nécessité pour pouvoir assurer sa pérennité. Or, force est de constater que plusieurs acteurs qui militent au sein du mouvement coopératif sont moins motivés par la réponse aux besoins communs des propriétaires que par l’engagement de la coopérative dans le développement de son milieu, par la défense de causes sociales, voire par la promotion d’un projet de société particulier. Les consommateurs, sans être insensibles à ces diverses causes, ne sont pas toujours prêts à payer plus cher pour soutenir cet objectif. Construire son identité sur cette mission sociale peut donc s’avérer risqué.

Pour garder la tête hors de l’eau, les coopératives doivent absolument œuvrer à maximiser le rapport qualité-prix de leur offre de services. Elles auraient aussi avantage à favoriser la collaboration entre elles afin de générer des économies d’échelle et à faire en sorte d’être fortes, saines et concurrentielles. Mais certaines peinent à conjuguer les attentes de leur communauté et celles de leurs membres. C’est le cas de plusieurs coopératives scolaires, qui semblent accorder plus d’importance à l’autonomie locale et aux besoins de leurs établissements d’enseignement qu’au travail en commun afin d’assurer leur compétitivité.


LIRE AUSSI : « La planification stratégique de l’entreprise progressiste : une façon de créer de la valeur »


Cela n’empêche pas les coopératives de se montrer socialement responsables ni de miser sur le développement durable, ces caractéristiques étant largement reconnues comme des conditions de succès pour l’ensemble des modèles d’entreprises. D’ailleurs, le Mouvement Desjardins et MEC ont réussi à conjuguer les deux. Elles doivent cependant en faire non pas une fin mais plutôt un moyen. Ce modèle demeurera pertinent si elles savent rester neutres et attentives aux besoins de leurs membres consommateurs tout en évitant de les taxer au profit d’autres finalités.

Les coopératives dans le monde

  • + de 1 milliard de membres

Dans le monde entier, plus d’un milliard de personnes sont membres d’une coopérative parmi les trois millions qui existent.

  • 2 milliards de dollars

En 2019, les 300 principales mutuelles et coopératives au monde ont déclaré un chiffre d’affaires de 2,034 milliards $ US, selon le World Cooperative Monitor.

  • 280 millions d’employés

Les coopératives emploient 280 millions de personnes dans le monde entier, soit 10 % de la population active mondiale.

Source : Alliance coopérative internationale

* Article écrit en collaboration avec Emmanuelle Gril, journaliste.