Photo : Émilie Nadeau

Article publié dans l'édition Automne 2020 de Gestion

Marie-Eve Proulx, ministre déléguée au développement économique régional du Québec, est responsable de la mise à jour du Plan d’action gouvernemental en économie sociale, dont un large segment concerne le secteur coopératif1. Alors qu’elle met la dernière main au nouveau plan quinquennal, elle nous donne un aperçu des principes qui le gouverneront.

Que représente le mouvement coopératif dans la stratégie économique du gouvernement du Québec ?

Marie-Eve Proulx : En 2009, je venais à peine d’être élue mairesse de Saint-Pierre-de-la-Rivière-du-Sud quand le seul dépanneur du village a fermé. Pour une municipalité de 1000 habitants, c’était un dur coup. J’ai proposé l’ouverture d’une coopérative alimentaire. Nous avons réuni un comité de citoyens, qui a recueilli 50 000 $. Depuis ce temps, nous avons une épicerie qui permet aux familles et aux personnes âgées d’avoir accès à des denrées sans avoir à trop se déplacer.


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Le modèle coopératif s’adapte bien aux différentes réalités du territoire du Québec. Il sert à revitaliser les régions, à redonner de l’autonomie aux habitants. Il apporte des modèles de gouvernance positifs qui impliquent le plus de gens possible. Tout ça sans compter les retombées et les bénéfices concrets pour l’économie des territoires et pour leur population, car une coopérative, c’est aussi un modèle rentable. 

Donc, 120 ans après Alphonse Desjardins et la création de la première caisse populaire, à Lévis, vous jugez le modèle coopératif toujours pertinent ?

Plus que jamais. Les jeunes, notamment, y voient beaucoup d’intérêt. Le modèle coopératif leur parle parce qu’il donne un sens au travail : une coopérative vise nécessairement à la fois le profit et l’atteinte de valeurs. Ceux qui souhaitent lancer leur entreprise ne veulent pas se défoncer sept jours sur sept. Dans Charlevoix, j’ai vu se créer un bon nombre d’entreprises touristiques coopératives dont les membres visent le partage des profits, la mise en commun des efforts et la conciliation du travail avec une vie familiale équilibrée.

Y a-t-il des régions ou des créneaux plus propices ?

Le modèle coopératif est partout : dans les soins de santé, le soutien aux personnes, les services funéraires, l’habitation. On voit se créer des coopératives en câblodistribution, des coopératives brassicoles, d’autres pour le chauffage communautaire, la biométhanisation ou l’énergie éolienne.

Les Québécois connaissent-ils suffisamment le modèle coopératif ?

Les valeurs sont là, mais on n’en fait pas la promotion, comme si on l’avait délaissé au profit de l’entreprise à capital-actions depuis les vingt dernières années. Mais là, on sent un engouement certain pour ce modèle, qui devient une solution de rechange valable à des approches traditionnelles axées sur l’actionnariat, elles-mêmes un peu à bout de souffle. On devrait l’enseigner davantage comme modèle d’affaires à l’université ou au cégep, je pense notamment aux cours techniques.

Le Plan d’action gouvernemental en économie sociale 2015-2020 arrive à terme. Quelles réalisations en ont découlé ?

Il y a le programme de financement de l’entrepreneuriat collectif, la ristourne à impôt différé ainsi que différents fonds et aides financières. Il existe également divers outils qui ont été créés pour valoriser les meilleures pratiques d’affaires. La mesure phare, selon moi, c’était une entente de partenariat qui fournissait de l’aide technique au démarrage d’une coopérative. Ce sont des mesures d’accompagnement qui ont eu pas mal d’effet sur la création de coopératives.

Le prochain plan auquel vous travaillez visera quels buts ?

Le vieillissement de la population m’interpelle : 37 000 entreprises québécoises devront changer de propriétaire d’ici quelques années. Le modèle coopératif doit être une stratégie pour le repreneuriat, c’est-à-dire pour favoriser la reprise et la continuité de certaines entreprises. Je voudrais que les bailleurs de fonds, comme Investissement Québec et les institutions financières, proposent d’abord le modèle coopératif comme premier choix pour la reprise d’une entreprise. On a pu le constater fortement dans le secteur forestier au cours des années 1980 : ça fonctionne, mais ça demande une formation et un accompagnement appropriés. Le plan va beaucoup tourner autour de la formation, de l’accompagnement et de l’innovation.

En quoi le modèle coopératif pourra-t-il innover ?

Le milieu coopératif traditionnel doit apprendre à innover dans ses façons de faire. Ça ne veut pas dire qu’il doit copier l’entreprise privée traditionnelle. Il faut amener le modèle coopératif ailleurs. Le gouvernement du Québec a soutenu le Conseil québécois de la coopération et de la mutualité pour former des coopératives de gestion en ressources humaines en vue d’accompagner les PME qui ont des difficultés à recruter, à gérer et à appliquer l’ensemble des règles. C’est le genre de créneau innovant auquel on n’aurait pas pensé il y a vingt ans.

Le fait que le premier ministre ait confié la responsabilité du plan à une ministre du développement régional ne signale-t-il pas votre principale orientation ?

Beaucoup de régions du Québec ont été laissées à elles-mêmes depuis quinze ans et il faut donner un coup de barre pour renforcer les services de proximité. C’est plus qu’une question de dépanneurs de village. On parle de coopératives de santé, de soutien à domicile, de résidences pour personnes âgées, d’habitations communautaires, de reprise d’entreprises. Une coopérative, ça peut aussi être un café, un camp de vacances. Le modèle coopératif serait idéal pour harmoniser les services de transport collectif, souvent insuffisants en région.

Le grand problème des coopératives est le manque d’accès à du capital. Comptez-vous agir pour changer les choses ?

Il reste beaucoup à faire pour sensibiliser les bailleurs de fonds traditionnels au modèle coopératif. On va devoir faire la démonstration que les coopératives sont viables, même si la recherche de profit n’est pas la priorité. Évidemment, la majorité des coopératives sont très rentables, mais les bailleurs de fonds et les institutions financières ne le voient pas.

Qu’est-ce qui explique cette situation, selon vous ?

À vrai dire, je ne me l’explique pas. Les coopératives sont un modèle efficace, éprouvé, qui véhicule des valeurs positives. Je pense que plus les gens l’utiliseront, plus ce modèle séduira. L’arrivée de la nouvelle génération, qui croit beaucoup à ce modèle, va contribuer à faire connaître l’entrepreneuriat collectif.


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En tant que gouvernement, notre responsabilité sera d’en faire la promotion pour le rendre acceptable. Non seulement les coopératives sont viables, mais leurs retombées collatérales sont plus intéressantes que la seule recherche du profit. Les études le montrent : il n’y a pas plus ou moins de faillites dans le modèle coopératif que dans le modèle d’affaires traditionnel. Le défi qui doit être surmonté, c’est le préjugé.


Note

1 Au moment de la rédaction de cet article, la date de publication de ce plan n’était pas encore connue.