Article publié dans l'édition été 2016 de Gestion

Garder la même idée, la même technologie ou le même modèle d’affaires est synonyme d’échec à long terme. Si une entreprise n’est pas prête à se remettre en question, elle risque de voir son marché et ses activités se faire bouleverser, à l’instar du secteur du taxi avec Uber. Devant cette menace d’innovation de rupture, 50 % des entreprises Fortune 500 déclarent cocréer et s’impliquer activement avec leur communauté en l’écoutant davantage. Cette stratégie s’avère très payante.

Une équipe est plus productive que la somme de ses parties. Pourquoi alors ne pas profiter d’équipes encore plus grandes ? Les entreprises qui poussent plus loin leurs efforts de R&D profitent de plus en plus de la collaboration avec des individus et des groupes qui se trouvent à l’externe. En mobilisant des groupes d’intérêts divers, des amoureux de marques particulières et des clients existants ou potentiels, elles agrandissent leurs horizons, rompent avec la culture d’entreprise et trouvent de nouvelles solutions.


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Des produits plus performants

Les entreprises et les associations travaillent depuis des années en collaboration avec leurs clients et le public. On pense bien entendu à Wikipédia et à ses vingt-six millions d’éditeurs qui cocréent la valeur de la plateforme. Celle-ci reste une association à but non lucratif qui survit essentiellement grâce aux dons de ses utilisateurs. En 2015, la plateforme a récolté 75,5 millions $US, soit une moyenne de 83 % de croissance annuelle depuis 2009.

Une étude publiée dans la revue International Journal of Research in Marketing montre le succès fulgurant des stratégies de feedback actives mises en œuvre par Muji, une enseigne de mobilier réputée pour son design qui possède 500 magasins dans 22 pays à travers le monde. Les chercheurs Nishikawa, Schreirer et Ogawa ont comparé des produits conçus par l’équipe de Muji à des produits cocréés par l’entreprise japonaise et par un groupe étendu de consommateurs qui collaborent avec l’entreprise par le truchement d’une plateforme Web. Plusieurs variables sont étudiées, notamment les ventes, les marges brutes ainsi que la dimension innovatrice d’un produit. Les produits cocréés y ont généré cinq fois plus de revenus et ont été six fois plus profitables, sur une période de cinq ans, que les produits conçus de façon traditionnelle.

Processus de fidélisation et de marketing

Comment expliquer un tel succès ? La première raison est simple : les produits sont basés sur les besoins concrets et immédiats de leurs acheteurs potentiels. Lorsque ceux-ci ont la possibilité de valider directement un concept de produit avant qu’il ne soit lancé sur le marché, les risques sont bien plus minimes que dans une approche plus traditionnelle. Muji les sonde et les fait participer avant d’entreprendre toute autre démarche.

La deuxième raison qui explique ce succès est plus subtile mais tout aussi importante. Quand on implique un consommateur dans la conception d’un produit ou d’un service, même si on ne cède pas nécessairement à toutes ses demandes, il se sent impliqué. Un processus de fidélisation s’amorce donc entre lui, l’entreprise et le produit. Il est invité inconsciemment à devenir un « influenceur », un porte-parole dans son réseau qui stimulera le bouche-à-oreille, une tactique de marketing très puissante.

L’implication plus profonde et plus prononcée d’un client n’est pas une solution qui remplace tout le processus de conception traditionnel, mais elle permet de compléter la boîte à outils que les entreprises ont à leur disposition. La profondeur de la collaboration et l’adaptation contextuelle pour chaque entreprise deviennent ainsi cruciales. Ainsi, le noyau dur d’un produit peut être conçu à l’interne et l’innovation peut être officiellement lancée avant que les clients viennent ajouter leur grain de sel.


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Et les participants, eux, qu’en tirent-ils ?

Mais quel est l’intérêt pour ces créateurs externes à l’entreprise, qui ne bénéficient pas directement des ventes et des profits des entreprises avec lesquelles ils collaborent ? Les premières communautés de cocréateurs, notamment celles que Wikipedia se bâtit, sont motivées par la mission et par les valeurs des associations qu’ils appuient. Les chercheurs ont expliqué dans leur étude sur Muji que beaucoup de collaborateurs ont choisi d’aider cette entreprise afin de pouvoir bénéficier de produits créés expressément pour répondre à leurs besoins. Les chercheurs ont aussi démontré que les individus qui participent au projet de Muji sont déjà familiarisés avec la conception de meubles et d’objets décoratifs. On a donc affaire à des parties prenantes qui souhaitent voir leurs idées et suggestions devenir des produits disponibles sur le marché.

De plus, on assiste depuis plusieurs années à un virage collaboratif dans l’univers du commerce. Le système d’Airbnb se fonde sur le devoir, pour tous les locataires et propriétaires, de s’évaluer mutuellement après chaque location. Uber se propage dans le monde, car ceux qui utilisent ce service attribuent une note aux chauffeurs pour informer les prochains passagers. En tant que consommateurs, nous sommes beaucoup plus disposés à donner notre avis lorsqu’il s’agit d’un processus ouvert et transparent. Cela dit, nous serions certainement très réceptifs à des rabais potentiels, des communications préférentielles et un traitement exclusif…