Tout comme dans la vie amoureuse, il arrive parfois que les partenaires d’une collaboration professionnelle vivent des désaccords. On a beau partager le même objectif, on ne peut pas toujours être sur la même longueur d’onde. Comme dans tout couple, le succès d’une collaboration réside dans l’art de réussir à traverser ensemble les moments difficiles. En effet, si on ne désamorce pas rapidement les conflits, la collaboration peut stagner, voire achopper. Voici donc quelques conseils qui vous permettront d’agir avant que les situations ne s’enveniment.

Il existe deux grands motifs susceptibles d’entraîner des conflits dans le cadre d’une collaboration : une mésentente portant sur le partage des gains ou des crédits et un désaccord concernant le partage des rôles et des responsabilités. Dans le premier cas, un des partenaires a l’impression d’investir plus d’efforts que les autres, ce qui lui semble injuste. Il peut aussi se sentir lésé sur le plan des crédits qu’il retire du partenariat. À titre d’exemple, si un collègue se sert d’une collaboration pour se positionner et obtenir ainsi une promotion, ce stratagème risque fort de créer des tensions au sein du groupe.

Dans le second cas, le conflit survient parce que les rôles et les responsabilités de chacun ne sont pas clairement définis. À ce chapitre, précisons que la collaboration exige une certaine capacité d’adaptation et de souplesse. Règle générale, les choses ne se font pas exactement comme nous avons l’habitude de les faire en solo. Certains partenaires peuvent aussi nourrir des attentes qui demeurent inexprimées. Malheureusement, le non-dit entraîne souvent des déceptions et de l’incompréhension. La capacité de régler le conflit s’avère donc cruciale pour la survie d’une collaboration.

Conflit = problème + confusion

L’erreur la plus souvent commise en situation de conflit est d’adopter une approche de résolution de problèmes. D’entrée de jeu, il vaut mieux savoir qu’un conflit est toujours la résultante d’un problème auquel se greffe une certaine confusion. Ainsi, la première chose à faire pour régler un conflit consiste à « clarifier » la situation, autrement dit, à éliminer la confusion.

Pour ce faire, il faut d’abord chercher à comprendre l’origine du conflit. Dans la plupart des cas, la confusion peut provenir d’un problème mal défini, d’une mauvaise communication ou encore d’un manque de flexibilité. Lorsque la source de détérioration est bien définie, il devient alors plus facile d’intervenir efficacement et d’envisager une solution.

Problème mal défini

Il peut parfois s’avérer difficile de cerner un problème au sein d’une collaboration. Voici les raisons les plus souvent observées.

Le flou 

Dans cette situation, les partenaires ne savent pas ce qu’ils veulent. Ils n’ont pas encore cerné ni nommé le problème. Ils ressentent un certain malaise, mais rien n’a été verbalisé. Ils éprouvent parfois de la frustration ou un sentiment d’injustice, mais aucune demande claire n’a été formulée.

Trop d’exigences 

Un conflit peut aussi émerger lorsque des partenaires n’arrivent pas à établir leurs priorités et font des demandes imprécises. Ils n’ont pas choisi leurs batailles.

Attentes irréalistes 

Certains partenaires peuvent aussi nourrir des attentes démesurées, voire impossibles à combler. Prenons l’exemple d’un vice-président affecté à un projet de collaboration dont un des employés veut être le leader. Au mieux, ce dernier peut se voir confier un mandat particulier dans le projet. Toutefois, d’un point de vue hiérarchique, aspirer à le diriger est plutôt utopique.

L’expérience démontre que lorsque nous réussissons à définir le problème dans une situation de conflit, il est en grande partie réglé. Trop souvent, cependant, les gens cherchent une solution alors que le véritable problème n’a même pas été diagnostiqué.

Mauvaise communication

Tout comme dans un couple, il est parfois difficile de dire ce qu’on pense vraiment. Cependant, il s’avère encore plus ardu de résoudre un conflit si les véritables causes ne sont pas connues …

Évitement 

Dans une telle situation, un des partenaires préfère taire son malaise de peur d’aggraver la situation ou de perdre la face. Il craint la réaction de l’autre, qui peut revêtir diverses formes : colère, crise, peine, déception, etc. D’ailleurs, certains malaises sont parfois plus difficiles à exprimer que d’autres. Il peut notamment s’avérer délicat d’avouer qu ‘on s’attend à recevoir davantage de marques de reconnaissance ou à se voir attribuer plus de mérite pour avoir participé à un projet. Comment s’ouvrir à ce chapitre sans paraître narcissique ? Dans ce genre de situation, comme les partenaires n’osent pas dévoiler le fond de leur pensée, on soulève souvent les mauvais problèmes et le climat se détériore.

Mauvaises perceptions 

Il arrive aussi parfois qu’un partenaire en accuse à tort un autre de mauvaise foi ou lui prête de mauvaises intentions. En situation de conflit, ce dernier croit que l’autre lui met sciemment des bâtons dans les roues. Il s’en convainc même sans vérifier auprès de l’intéressé. Cette situation crée un tel climat de méfiance que l’information ne circule plus. Tout est remis en question. Pour gérer ce type de conflit, il faut prendre le temps de clarifier les perceptions et de tirer les choses au clair.

Blessures émotives 

Lors d’un conflit, les mots peuvent parfois dépasser la pensée et blesser. Il devient alors difficile de mener des conversations constructives. L’enjeu consiste ici à clarifier les choses, – voire à se vider le cœur – pour permettre à chacune des parties d’exprimer ce qu’elle ressent dans la situation. Le seul fait de verbaliser le malaise permet souvent de baisser la tension et de passer à autre chose. Pour régler le conflit, un médiateur peut aussi amorcer les discussions sur une base individuelle, en jouant le rôle de courroie de transmission entre les parties et ce, jusqu’à ce qu’elles acceptent de se rencontrer pour en parler.

Manque de flexibilité

Plus on tarde à régler un conflit, plus la situation risque de s’envenimer. Elle peut alors prendre des proportions telles que les partenaires deviennent vite intraitables. Voici le type d’attitude qu’ils pourraient alors adopter.

Tout gagner 

Trop souvent, les situations dégénèrent lorsque les partenaires n’arrivent pas à établir leurs priorités. Règle générale, il est plus facile de faire des concessions lorsqu’on sait ce qui est essentiel pour soi. Lorsqu’on souhaite un engagement sincère au sein d’une collaboration, les deux parties doivent pouvoir tirer profit du projet. Il faut donc lâcher du lest. Les personnes qui nourrissent de la rancœur peuvent aussi avoir tendance à se montrer inflexibles et à vouloir se venger lorsque vient le temps de chercher des solutions.

Sous-estimer le coût du conflit

Dans un tel contexte, le compromis proposé ne suffit pas à satisfaire les attentes d’une des parties. Sa réaction : « Avoir investi tous ses efforts pour n’obtenir que ça ! » Toutefois, lorsque les partenaires prennent conscience du coût qu’occasionne tout frein à la collaboration, ils se montrent, généralement, plus conciliants.

L’orgueil

Il arrive également que la meilleure solution pour sortir un projet de l’impasse écorche au passage l’image d’un des partenaires. Dans un tel cas, l’enjeu consiste à trouver une façon élégante de donner l’impression à chacune des parties qu’elle gagne afin que personne ne perde la face.

Médiation

Fort heureusement, la plupart des différends se règlent entre les parties concernées, et ce, sans que personne ne s’en aperçoive. Toutefois, certaines situations sont conflictuelles au point de nécessiter l’intervention du leader de la collaboration pour se résorber. Ce dernier peut alors opter pour la médiation afin de clarifier la situation.

Dans ce cas, il est toujours préférable de régler le conflit en marge du groupe en n’impliquant que les personnes concernées. Il est aussi plus facile de « nettoyer » le problème en solo qu’à deux, en effectuant d’abord une préparation individuelle. Par la suite, lors des rencontres conjointes, il ne restera plus qu’à gérer l’aspect communicationnel. Si le problème a été préalablement « clarifié », il sera plus facile d’avoir des discussions constructives et de désamorcer les problèmes existants.

Un proverbe affirme que les charbons ardents brûlent ceux qui les remuent. Alors, pour éviter que vos efforts de collaboration partent en fumée, il vaut mieux vous munir d’un bon tisonnier et des bons outils pour régler les situations de conflit et ainsi tirer pleinement profit des avantages d’une collaboration.

Il faut parfois intervenir…

Bien que la plupart des conflits se règlent en marge du groupe, entre les personnes concernées, certaines situations s’avèrent tellement difficiles qu’elles peuvent mettre la collaboration en péril. Du coup, le champion doit intervenir pour éviter le dérapage et remettre le projet sur ses rails.

À titre d’illustration, voici l’exemple d’une organisation qui, pour régler un important problème de chaîne logistique, a décidé de réunir ses gestionnaires de l’exploitation pour examiner de plus près l’ensemble des processus et pour mieux se coordonner. Premier constat : la situation était loin d’être reluisante. Plusieurs erreurs avaient été commises, ce qui avait entraîné des pertes de temps et des retards de livraison. L’enjeu consistait donc à explorer, au moyen d’un forum de collaboration, les façons dont l’entreprise pouvait devenir plus efficace en adoptant de meilleures pratiques.

Après quelques rencontres, un autre constat s’est imposé : la collaboration avait achoppé en raison d’un conflit personnel entre deux membres du groupe. Résultat : loin d’apporter les résultats escomptés, l’initiative piétinait et le moral des troupes était au plus bas. Ces deux gestionnaires non seulement ne croyaient pas à une amélioration possible des processus mais se tenaient mutuellement responsables des ratés. Inutile de préciser que nous sommes loin ici des objectifs visés par la collaboration, qui consistent à favoriser les conversations ouvertes et la transparence afin d’élaborer ensemble des solutions.

Devant ce cul-de-sac, la responsable du forum a décidé de prendre le taureau par les cornes et de procéder à une médiation. Pour faciliter l’ouverture et la confidence, elle a rencontré individuellement chacune des parties. Ces séances devaient lui permettre de déterminer la source du problème : de part et d’autre, les protagonistes se prêtaient de mauvaises intentions en s’imaginant notamment que l’autre désirait se servir du forum pour miner sa crédibilité et le prendre en défaut. Craignant de se faire blâmer pour les erreurs commises dans leur service respectif, les deux collègues avaient alors adopté une attitude défensive.

En présence de la responsable, les deux protagonistes se sont expliqués et se sont entendus sur une façon d’aborder les problèmes sans se blâmer mutuellement. Cette médiation devait leur permettre de se parler franchement et d’évacuer cette crainte réciproque qui faisait obstacle à des discussions constructives au sein du forum.

Une fois la situation « assainie », la responsable a repris les rencontres de groupe afin d’établir en commun des règles de fonctionnement pour déterminer les causes réelles des problèmes logistiques sans chercher de coupables. Le forum d’exploration a alors pu jouer son véritable rôle et l’exercice s’est avéré bénéfique pour l’entreprise.

Pour les fins de l’histoire, précisons que ces deux collègues n’étaient pas d’entrée de jeu les meilleurs amis du monde et qu’ils se faisaient même concurrence pour obtenir les faveurs de la direction. Par conséquent, cet exemple démontre clairement non seulement que certains différends ne se résorbent pas d’eux-mêmes mais que c’est un piège de présumer que les gens vont passer outre leurs conflits interpersonnels uniquement parce qu’une entreprise met un forum de collaboration sur pied.

Article publié dans l'édition automne 2015 de Gestion