Lundi matin : réunion de production. Assis à une extrémité de la grande table, le directeur accueille ses coéquipiers. L’ambiance est décontractée, on échange des nouvelles et quelques blagues, on s’installe avec ses dossiers. Une fois l’équipe prête, le directeur fait un bilan des progrès du projet, qui avance rondement, sans oublier de rappeler les objectifs visés. Comme les échanges sont stimulants, ils permettent d’ouvrir de nouvelles avenues et de faire émerger des idées dans un climat de confiance. Un des membres fait part de ses préoccupations à propos d’un élément du projet. La discussion reprend de plus belle, en mode synergique. La collaboration idéale : est-ce possible ?

Être ou ne pas être une équipe

Travailler en équipe sous-entend que tous les membres comprennent clairement et de manière cohérente en quoi consistent les activités dans lesquelles ils doivent s’investir pour s’assurer de prendre les meilleures décisions et d’atteindre les objectifs communs. Cette synergie, précisons-le, passe par les efforts de personnes possédant des connaissances et des expériences différentes. Cela implique donc une collaboration, c’est-à-dire le partage de connaissances, des échanges d’idées, des efforts individuels et la mise en commun des ressources disponibles. La collaboration se distingue de la coordination dans la mesure où elle implique des échanges réciproques et réguliers, créant ainsi une synergie qui catalyse l’efficacité collective et qui ajoute de la valeur au travail accompli.

Pour stimuler la collaboration au sein d’une équipe, il importe que les membres comprennent et s’approprient les objectifs qui leur sont assignés. Pour ce faire, il faudra que le leader prenne le temps d’expliquer l’activité à réaliser en soulignant les résultats attendus. Un tour de table permettra aux membres d’exprimer leurs opinions et de faire part de leurs intérêts, de leurs attentes et de leurs préoccupations à propos de cette activité. Cette mise en commun des intérêts particuliers fera ressortir les objectifs partagés, permettant en outre de prendre conscience des interdépendances, c’est-à-dire des relations de dépendance réciproque entre les membres. Cette prise de conscience contribuera à améliorer la performance de tous en clarifiant les devoirs et les responsabilités de tout un chacun.

En outre, la collaboration implique que les membres de l’équipe soient disposés à faire part de leurs commentaires, non seulement sur leur performance mais également sur leurs manières de travailler ensemble. Ce processus en est l’essence même. Deux ou trois fois par année, le leader organisera une séance d’évaluation et d’appréciation sur ce thème. Cette rétroaction est l’occasion de souligner les efforts et les contributions de chacun et de déterminer les éléments que l’équipe doit améliorer pour mieux fonctionner. Enfin, il incombe au leader de donner un sens au travail et de renforcer l’engagement des membres en faisant valoir l’utilité de leur tâche, en leur donnant l’autonomie nécessaire pour l’exécuter, en leur offrant des occasions d’apprentissage et de développement et en veillant à la qualité des relations professionnelles.

Donner le goût de collaborer

Comment s’assurer que les membres de l’équipe collaborent ? Qu’ils profitent des échanges ? Que la synergie se déploie ? Le goût de collaborer requiert à la fois l’autonomie nécessaire pour accomplir ce qui est attendu et une solide confiance dans le désir et dans la capacité des autres à remplir leur mandat. L’autonomie implique que chaque membre possède les informations, les capacités, les compétences et les ressources nécessaires en plus de pouvoir compter sur du soutien pour effectuer efficacement son travail. Ces conditions relèvent de la gestion des ressources humaines (la sélection et la formation) et du management (les pratiques et le style de gestion du leader). Quant à la confiance, plus délicate et plus subtile, elle dépend en partie du lien qui unit les membres. Le leader peut toutefois mettre en place des conditions qui favoriseront l’instauration d’un climat de confiance, essentiellement par son comportement et par sa capacité à gérer les tensions et les conflits que celles-ci occasionnent ainsi qu’à faire respecter les règles de civilité et de savoir-vivre.

Notion d’équilibre : entre relations harmonieuses et intégrité personnelle

En exerçant son influence pour harmoniser les attitudes et les comportements de ses coéquipiers, le leader encourage la collaboration. Cependant, des pressions sociales risquent de se développer au sein de l’équipe, avec pour effet de réduire les différences individuelles et d’uniformiser les comportements sociaux. Petit à petit, un esprit de corps va s’installer, incitant les membres à se conformer aux attentes qu’ils perçoivent. Bien que cette tendance favorise la cohésion du groupe, elle risque, en contrepartie, d’engendrer des phénomènes clandestins pouvant nuire à l’efficacité collective ou menacer l’intégrité personnelle. Le phénomène de la pensée de groupe (groupthink) en est un exemple. Craignant d’être mal jugés ou de semer la discorde, certains employés hésitent à exprimer leur opinion. Ils peuvent se dire : « Suis-je le seul à voir les choses de cette façon ? Peut-être ferais-je mieux de me taire ? » En un mot, ils risquent d’avoir recours à de l’autocensure. Paradoxalement, une forte cohésion du groupe peut décupler les pressions de conformité. Et pourtant ! Il importe que chaque employé puisse trouver cet espace d’affirmation qui évitera au groupe de s’enfermer dans ses convictions ou de s’engager dans des voies incertaines. Toute dissonance cognitive signale un besoin de s’affirmer.

Il peut être utile de se préparer et de s’exercer avant de s’adresser aux membres de son équipe. Ceux-ci seront mieux disposés à écouter si on adopte une attitude impartiale, désintéressée et flexible. En dévoilant nos propres sentiments et nos idées par rapport à la situation, on confirme l’importance du problème. En outre, en partageant ce qu’on est disposé à faire en échange de leur collaboration, on encourage la réciprocité. L’empathie, ce mode de connaissance intuitive d’autrui, est ici un gage d’échange réussi : pour être compris des autres, il faut être capable de les comprendre soi-même.

L’empathie, qu’on définit comme l’aptitude que nous posséderions tous naturellement à mettre entre parenthèses notre propre jugement pour comprendre l’autre dans son intégrité, s’érode sous l’effet de l’égocentrisme et de l’individualisme. Pour être empathique, il faut savoir mettre de côté tout à-priori et décentrer sa perception pour saisir le sens et la valeur de ce que les autres nous communiquent. Cela suppose que nous avons de la considération pour eux et que nous sommes maîtres de nous-mêmes.

Un chef lui-même empathique contribuera au développement et au maintien de l’harmonie nécessaire à la collaboration. En encourageant ses coéquipiers à s’affirmer lorsqu’ils le jugeront opportun, il protégera leur intégrité personnelle. Terreau fertile à une vraie collaboration, le climat de confiance, une fois installé, fera en sorte que les membres se sentiront libres de s’exprimer de manière authentique.

Article publié dans l'édition automne 2015 de Gestion