Nous entendons fréquemment dire que la SAQ n’a pas à se forcer pour modifier son modèle d’affaires ou devenir plus efficace, puisqu’elle jouit d’un monopole. Cette vision ne pourrait pas être plus éloignée de la mienne.

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La SAQ doit s’efforcer d’évoluer afin de demeurer pertinente pour ses clients, comme tout commerce de détail. Une SAQ désuète et insatisfaisante serait vulnérable à une ouverture des marchés, voire à sa privatisation. Pour assurer notre pérennité, nous devons sans cesse nous renouveler.

Le fait qu’il s’agisse d’une société d’État ne constitue pas un frein à cette évolution. Certes, nous devons respecter le cadre imposé par notre actionnaire unique, le gouvernement du Québec. Ce cadre relève de certaines décisions politiques définissant la mission de la SAQ. Par exemple, notre mandat n’est pas de vendre le plus de produits possible. Il consiste plutôt à éduquer à la consommation responsable et à favoriser la découverte de diverses gammes de produits. Voilà un facteur important qui nous distingue d’une entreprise privée.

Par ailleurs, les projets de la SAQ sont tous financés à même ses profits. L’État québécois n’injecte pas d’argent dans la SAQ. Nous avons donc des ressources humaines et financières limitées, au même titre que les entreprises privées. Même chose du côté des prix : les clients estimaient que nos prix sur certains produits étaient trop élevés. Nous en avons tenu compte et nous sommes ajustés récemment en diminuant les prix d’un grand nombre de nos produits. Là encore, il s’agit d’une dynamique qui est aussi à l’œuvre dans le secteur privé.

Le virage vers l’expérience client

Cependant, le prix n’est pas le seul élément moteur. L’expérience client devient tout aussi importante et la SAQ est au cœur d’un énorme virage vers l’omnicanal et l’intelligence d’affaires. Notre objectif est clair : offrir une expérience sans faille aux Québécois, peu importe le canal qu’ils utilisent pour magasiner et acheter.

J’ai piloté le projet « Cliquez, achetez, ramassez », qui permet aux gens de faire livrer leurs achats en ligne à la succursale de leur choix. Les répercussions de ce service sur la croissance du commerce en ligne à la SAQ témoignent de l’importance d’une compréhension fine des attentes des clients. Nous offrons les achats en ligne depuis 2001, mais ceux-ci stagnaient. Depuis le lancement de ce nouveau service, en 2015, les revenus tirés des achats en ligne sont passés d’environ neuf millions de dollars cette année-là à presque 40 millions l’an prochain, selon nos prévisions. Cela représente une toute petite part de nos ventes, soit un peu moins de 2 % de notre chiffre d’affaires, mais sa croissance s’est chiffrée à 50 % cette année.

Répondre à ces nouveaux comportements exige des changements majeurs, tant du côté de notre logistique et de nos systèmes informatiques qu’en matière de mobilisation et de formation de nos employés. Notre personnel est d’ailleurs au cœur de l’expérience client. Par exemple, nous installons présentement des bornes électroniques dans certaines succursales. Les employés utiliseront ces tablettes électroniques fixes dans leurs échanges avec les clients, notamment pour leur suggérer des produits en fonction de leur profil de goûts et même pour en commander à leur intention si la succursale ne les a pas en inventaire. C’est le principe de ce qu’on appelle le dernier kilomètre de l’expérience omnicanal.

La personnalisation de l’expérience client et du marketing se trouve au cœur de cette évolution. Le lancement de la carte Inspire a permis un rapprochement avec la clientèle. L’équipe spécialisée en intelligence d’affaires est en mesure de bien comprendre les préférences et les comportements de nos clients et de leur proposer des offres plus adaptées. Déjà, le programme Inspire compte 2 066 000 membres, et la carte est présentée lors de 61 % des transactions. Cela nous permet de passer d’un marketing de masse à un marketing très ciblé.

Encore plus d’innovations à l’horizon

Tous ces changements entraînent aussi une révision du rôle des succursales. Il n’est pas question d’en diminuer le nombre, mais nous avons commencé à en réduire la superficie, puisque l’offre de produits peut être facilement complétée par les commandes en ligne. L’idée serait de créer des endroits plus expérientiels, centrés sur l’interaction entre les clients et le personnel. La nouvelle succursale du Carrefour Laval sert de laboratoire pour explorer de nouvelles approches. Il n’y a aucune allée mais plutôt un espace ouvert où on trouve des îlots autour desquels les clients peuvent découvrir gratuitement, sous la formule dégustation, diverses catégories de produits (bulles, bio, production québécoise, nouveaux arrivages, etc.).

La SAQ est donc loin de se reposer sur ses lauriers. Son modèle d’affaires est en pleine évolution et ses approches commerciales sont très novatrices dans le secteur du commerce de détail québécois. Nous devons bien communiquer ce dynamisme afin que les Québécois en tiennent aussi compte lorsqu’ils pensent à la SAQ.

Article en collaboration avec Jean-François Venne, journaliste