Malgré des missions bien distinctes, les tâches et les responsabilités des conseils d’administration sont similaires, peu importe la nature de l’organisation, qu’elle soit publique ou privée, cotée en Bourse ou non, une ONG ou un OSBL. Des défis et des contraintes sont propres à chacune, le secteur public et les sociétés d’État n’y faisant pas exception. Voici des recommandations pour améliorer la gouvernance dans le secteur public québécois.

Les particularités du secteur public

Les organisations du secteur public ne sont pas des entités totalement autonomes, contrairement aux entreprises du secteur privé. Leur mandant, c’est le gouvernement. Fait particulier, celui-ci est lui-même mandataire des électeurs qui l’ont élu. Le gouvernement occupe donc en pratique son rôle de mandant auprès des organisations publiques pour une durée limitée.

Dans ce contexte, les conseils d’administration du secteur public jouent un rôle crucial à titre d’instance décisionnelle, assurant la continuité des activités malgré les changements de gouvernement. Le conseil et ses comités permettent d’exercer un contrôle formel tout en collaborant à la planification stratégique de l’entité publique. Ils veillent à un suivi serré des indicateurs de performance afin que l’entité en question atteigne les cibles établies et remplisse ainsi la mission pour laquelle elle a été créée.

Des pouvoirs limités

Fait important, les organismes publics ne jouissent pas de l’autonomie qui permettrait à leur conseil d’administration d’assumer certaines responsabilités essentielles qui incombent à un conseil d’administration du secteur privé. Ils ne peuvent donc pas :

  • nommer le PDG1 ;
  • établir la rémunération des dirigeants ;
  • proposer les membres du conseil que les « actionnaires » doivent élire ;
  • être l’interlocuteur auprès des actionnaires.

Sans ces responsabilités qui donnent à un conseil sa légitimité auprès de la direction, celui-ci ne peut que difficilement affirmer son autorité sur la direction et décider vraiment des orientations stratégiques de l’organisme.

Des progrès notables mais insuffisants

Malgré tout, la gouvernance de plusieurs sociétés d’État a été passablement améliorée à la suite de l’adoption de la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État en 2006. Celle-ci s’inspirait des meilleures pratiques et des principes éprouvés dans le secteur privé à l’époque. À titre d’exemple, cette loi impose notamment :

  • la scission du poste de président du conseil et de président-directeur général de la société (le président du conseil doit être un membre indépendant) ;
  • au conseil d’administration d’être composé aux deux tiers de membres indépendants ;
  • la constitution de trois comités statutaires composés exclusivement de membres indépendants : un comité de vérification, un comité de gouvernance et d’éthique ainsi qu’un comité des ressources humaines.

Cette loi représente une réforme importante et nécessaire, mais elle ne s’applique qu’à un nombre limité de sociétés d’État, et les principes énoncés n’ont pas tous été diffusés dans l’ensemble des organismes publics et parapublics.

Encore aujourd’hui, il y a confusion quant au rôle véritable des conseils d’administration : la représentativité des parties prenantes semble plus importante que les compétences, l’expérience et l’expertise des membres qui composent le conseil.

De bonnes intentions aux effets discutables

Dans certains organismes, les séances du conseil sont même ouvertes au public. L’intention est louable : rassembler autour d’une même table toutes les parties prenantes et inviter le grand public à participer aux délibérations du conseil afin de s’informer des décisions et de soulever toute question pertinente. Dans les faits, on aboutit à une gouvernance bric-à-brac; on confond le conseil d’administration, une instance décisionnelle, avec des instances conçues pour consulter et informer les parties, pour renseigner et pour informer le public des décisions de l’administration.

En fin de compte, on réunit au conseil des personnes qui y sont déléguées pour défendre les intérêts de ceux qui les ont nommées au conseil. Ce procédé aboutit fréquemment à des positions irréconciliables, à des coalitions politiques à géométrie variable et, trop souvent, à la paralysie de l’organisation, puisque le conseil n’arrive pas à prendre des décisions difficiles.

Cette confusion des rôles, qu’on observe dans de trop nombreux conseils d’administration, est nocive et explique certaines des failles de gouvernance qu’on reproche à ces instances.

Le cas des sociétés d’État

En mai 2017, l’ Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP) a observé de près la gouvernance fiduciaire de 46 sociétés d’État du Québec. Nous avons ainsi élaboré une grille d’évaluation portant sur 47 aspects distincts de gouvernance. Quatre dimensions de pondération variables ont été retenues :

  1. la composition et la structure du conseil ; 
  2. le déroulement des séances du conseil et de ses comités ; 
  3. les compétences des membres du conseil et le processus de nomination ou de sélection ; 
  4. la transparence, la divulgation et la reddition de comptes.

Ainsi, 95 % (19 sur 20) des sociétés assujetties à la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État obtiennent la note de passage ou mieux. Toutefois, seulement 15 % (4 sur 26) des autres sociétés examinées ont obtenu une note de 60 % ou plus. De façon générale, lorsqu’on observe ces deux groupes, les sociétés assujetties à la loi de 2006 ont en moyenne une note de 70,7 %, comparativement à 45,2 % pour les sociétés qui ne se conforment qu’aux exigences de leurs lois respectives, et cette différence est statistiquement significative.  

Cet exercice montre à quel point les sociétés d’État sont encore loin de présenter une gouvernance fiduciaire comparable à celle du secteur qu’on qualifie de « privé » mais dont les entreprises constituantes inscrites à une Bourse sont pourtant beaucoup plus loquaces en matière de divulgation et davantage transparentes en matière de reddition de comptes.

Comment améliorer la gouvernance des sociétés d’État et des autres organismes publics ?

Le gouvernement est certainement responsable d’une partie de ces écueils. En effet, plusieurs sociétés sont régies par des lois désuètes leur imposant une forme de gouvernance qui n’est pas optimale. Le gouvernement aurait avantage à élargir la portée de la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État pour y inclure un certain nombre d’organismes qui pourraient aisément se conformer aux exigences de cette loi.

La légitimité et la crédibilité du conseil reposent sur une bonne gouvernance. Condition préalable et essentielle, cette légitimité des membres du conseil passe par leur indépendance vis-à-vis de la direction et des l’actionnaire. La crédibilité provient surtout de l’intégrité des membres du conseil ainsi que du haut degré et de la pertinence de leur connaissance des enjeux et des particularités de la société qu’ils sont appelés à administrer.

Ainsi, le gouvernement du Québec devrait exiger que toutes les sociétés d’État rendent publics :

  1. le profil d’expertise et d’expérience établi par et pour le conseil ; 
  2. les biographies complètes des membres des conseils, incluant entre autres leur lieu de résidence, leur âge, leur formation et leur expérience professionnelle, leurs expériences au sein d’autres conseils d’administration présentement et par le passé, de même que la date de leur première nomination au conseil et la date d’échéance de leur mandat actuel ; 
  3. un tableau montrant la relation entre le profil d’expérience et d’expertise recherché et ce que chaque membre du conseil contribue à ce profil collectif.

Pour aller plus loin 

Allaire, Y. et Dauphin, F., Nos sociétés d'État sont-elles bien gouvernées? L’IGOPP leur attribue des notes de gouvernance, Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, 2017, 59 p.

Par ailleurs, les sociétés d’État peuvent aussi agir pour améliorer leur gouvernance dans le cadre de l’autonomie qui leur est conférée. La recherche d’une gouvernance optimale devrait inciter les conseils à adopter des principes et des démarches de gouvernance qui vont au-delà des strictes exigences de leur loi respective.

Dans le cas précis des sociétés d’État qui n’ont pas pour rôle de générer des profits, la reddition de comptes passe par l’établissement d’orientations stratégiques, de cibles à atteindre (annuellement et pour la durée du plan) ainsi que d’indicateurs de performance qui serviront à mesurer l’évolution de la société en regard de ses orientations au fil du temps. Il est essentiel de présenter clairement dans les rapports annuels les résultats obtenus pour les indicateurs retenus et de situer le lecteur comparativement aux cibles établies.

Sans régler tous les aspects déficients de la gouvernance du secteur public québécois, ces exigences de divulgation iraient, autant que faire se peut, dans le sens d’une meilleure gouvernance de nos institutions publiques. C’est peut-être le mieux qu’on puisse espérer !


Notes

1 Sauf quelques exceptions, notamment la Caisse de dépôt et placement du Québec, Héma-Québec et la Société québécoise d’information juriduque (SOQUIJ).