D’année en année, les statistiques québécoises relatives à l’intégration des immigrants au marché du travail font état de peu de progrès. Ceux-ci affichent toujours un taux de chômage bien supérieur à celui de la population en général. État des lieux.

Un des problèmes majeurs auxquels se heurtent les immigrants lorsqu’ils tentent d’intégrer le marché du travail est celui de la déqualification, que d’autres auteurs nomment le déclassement.

Le phénomène de la déqualification

La déqualification consiste à accepter un emploi dont les exigences en matière de diplômes et de formation sont inférieures aux qualifications réelles du candidat. Par exemple, on occupera un poste qui ne nécessite qu’un diplôme de cinquième secondaire alors qu’on est titulaire d’un diplôme universitaire.

Ce phénomène, au lieu d’être passager, a tendance à devenir un cercle vicieux pour bien des immigrants. Ainsi, le diplôme d’un ingénieur étranger qui travaillerait comme vendeur dans un commerce de détail au Québec sera encore plus déprécié au bout de quelques années. Résultat : de nombreux immigrants se retrouvent coincés dans des emplois déqualifiant, un carcan dont ils ne parviennent pas à se libérer.

D’ailleurs, si le taux de chômage des immigrants semble baisser au bout de quelques années de résidence au Québec, il ne faut pas se réjouir trop vite. En effet, cela peut signifier que, de guerre lasse et ne parvenant pas à faire reconnaître leurs compétences, les nouveaux arrivants finissent par accepter d’occuper des emplois déqualifiant.

Les statistiques révèlent aussi que ce phénomène de déqualification s’est nettement accentué pour les cohortes récentes d’immigrants, ce qui pourrait s’expliquer par les changements survenus dans leurs principaux pays d’origine. En effet, alors qu’au cours de la période 1960-1970, près de 70 % des immigrants provenaient d’Europe occidentale et des États-Unis, cette proportion a considérablement chuté à la fin des années 1970 et surtout après 1981. Aujourd’hui, certains pays d’Afrique du Nord ou du Moyen-Orient, par exemple, occupent les premières places.

Un parcours semé d’embûches

Force est de constater que les immigrants issus de pays dits du sud s’intègrent moins facilement en emploi, car ils doivent faire face à de nombreux obstacles. Un des principaux écueils auxquels ils se heurtent est la non reconnaissance des diplômes étrangers, non seulement par les ordres professionnels mais aussi par les établissements d’enseignement et par les employeurs. Environ 20 % des immigrants ont des qualifications qui relèvent d’un ordre professionnel : les problèmes de reconnaissance ne sont donc pas uniquement imputables aux ordres professionnels. À cet égard, on note certains progrès, mais il y a aussi des reculs.

Ainsi, on a remarqué une accélération du traitement des dossiers de reconnaissance des diplômes par l’ordre des infirmières et infirmiers du Québec, qui est passé d’une moyenne de 147 jours il y a trois ans à 81 jours aujourd’hui1. Mais ce résultat s’explique en partie par une forte diminution du nombre de demandes, notamment de la part de diplômées de France.

Du côté des ingénieurs, après examen du dossier, l’ordre des ingénieurs du Québec (OIQ) prescrit aux candidats un certain nombre de cours dans le cadre du Programme de perfectionnement en ingénierie des diplômés en génie de l’étranger à Polytechnique Montréal afin de les aider à réussir les examens de l’OIQ. Avec ces examens en poche, ils seront alors admissibles au titre d’ingénieur junior et devront réaliser un stage sur le marché du travail, tout comme les diplômés en génie issus d’une université québécoise. Il faut savoir que des frais sont liés à l’évaluation des dossiers par l’OIQ (environ 880 $) et aux examens (approximativement 310 $ par examen). Jusqu’à tout récemment, c’est la Direction régionale de l’Île-de-Montréal d’Emploi- Québec qui déboursait ces sommes, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, pour des questions de restrictions budgétaires.

Par conséquent, alors qu’on comptait une centaine d’ingénieurs étrangers inscrits au programme de perfectionnement, ils n’étaient plus qu’une quinzaine en 20152. Les principaux ingénieurs touchés? Ceux qui viennent de pays n’ayant pas d’entente de reconnaissance mutuelle avec le Québec, généralement des pays du sud.

Alfredo NarváezAlfredo Narvaez

Alfredo Narváez est arrivé au Canada en 2011. Ayant terminé une formation de psychologue en Équateur, son pays d'origine, il fait une demande d'équivalence de diplômes. Toutefois, seul son baccalauréat est reconnu : on ne tient pas compte de ses études en deuxième cycle. Il ne désire pas recommencer ses études en psychologie et entreprend plutôt une maîtrise en relations internationales à l'Université du Québec à Montréal, un domaine relié à son expérience et à son intérêt pour les affaires étrangères et pour les questions humanitaires. « Mon entrée à l'université m'a donné accès à plusieurs choses fondamentales : j'ai pu me faire de grands amis, qui sont devenus ma nouvelle famille par choix, ç'a a été une immersion totale en français et j'ai eu l'occasion d'étudier dans un domaine qui me passionne. » Toutefois, même avec une maîtrise en poch, la recherche d'emploi est ardue : « Ce n'est pas facile parce que, comme immigrants, notre réseau de contacts sur le marché du travail est restreint. Aussi, on m'a déjà dit que j'étais surdiplômé ou encore que je manquais d'expérience de travail au Québec. Finalement, j'ai eu la chance de décrocher un contrat en Europe avec un organisme international. Maintenant, les possibilités s'ouvrent !»

Plusieurs handicaps à surmonter

Du côté des employeurs, on constate qu’en général, ceux-ci accordent peu de valeur aux diplômes obtenus à l’étranger. Parfois, le candidat est lui aussi rejeté, car son diplôme est supérieur à celui requis pour le poste qu’il convoite (par exemple, un doctorat au lieu d’un baccalauréat). En outre, l’expérience acquise en dehors du canada est souvent négligée et, bien souvent, le candidat ne possède pas encore l’expérience canadienne si recherchée.

D’autres préjugés et stéréotypes sont aussi à l’œuvre et compliquent davantage l’intégration en emploi. Ainsi, en matière de recrutement, le phénomène de similarité-attraction consiste à embaucher des gens dont le profil s’apparente à celui des travailleurs déjà embauchés au sein de l’entreprise. Ce faisant, le recruteur pense augmenter ses chances d’embaucher le « bon » candidat. Dans les faits, il élimine toute diversité au sein de sa main-d’œuvre, se privant du même coup de talents potentiels avec des profils différents. Des études montrent d’ailleurs que les employeurs canadiens font preuve d’une certaine inertie, essentiellement par peur du risque3.

Enfin, mentionnons également que pour un immigrant, l’absence de réseau constitue un problème de taille, car c’est fréquemment par le truchement d’un bon réseau de connaissances qu’on déniche un emploi de qualité. Or, à part ses compatriotes, un nouvel arrivant ne dispose habituellement pas de contacts dans sa société d’accueil. Bien souvent, il commencera à fréquenter d’autres immigrants, ce qui ne lui sera pas d’un grand secours pour trouver du travail et pourrait même constituer un facteur de découragement.

Des solutions ?

Au fil des ans, espérant apporter une solution à ces problèmes récurrents, les pouvoirs publics ont mis en œuvre diverses mesures et politiques, notamment le programme de francisation. Au Québec, la connaissance du français est généralement une condition sine qua non pour décrocher un emploi. Or, un rapport réalisé en 2016 par l’institut de recherche en économie contemporaine (IREC) montre que 40 % des immigrants ayant déclaré ne pas connaître le français à leur arrivée au Québec ne se sont pas inscrits pour autant à un programme de francisation4. Cette statistique est stable depuis 1991.

De son côté, le Programme d’aide à l’intégration des immigrants et des minorités visibles en emploi (PRIIME) d’Emploi-Québec vise à offrir aux nouveaux arrivants une expérience de travail dans leur domaine de formation. En 2014-2015, seulement 1 258 candidats ont participé au PRIIME, un chiffre très bas au regard des milliers d’immigrants qualifiés qui arrivent au Québec chaque année5. Ce programme est également très peu connu des employeurs, qui y font rarement appel, alors qu’il offre plusieurs incitatifs intéressants, notamment une subvention salariale de l’ordre de 50 %.

Quant aux programmes d’accès à l’égalité en emploi, bien qu’obligatoires, ils demeurent peu appliqués et du même coup inefficaces.

Comment sortir de cette situation d’échec et favoriser une meilleure intégration en emploi des immigrants ? C’est une question d’autant plus urgente que la piste de l’immigration est souvent évoquée pour résoudre les problèmes de pénurie de main-d’œuvre au Québec. Le début de la solution réside d’abord dans la prise de conscience de ce problème d’envergure qui combine de nombreuses facettes : rigidité de certaines règles et pratiques organisationnelles, attitudes et comportements reflétant des préjugés et des stéréotypes à l’endroit des immigrants et de leurs compétences, sous-financement des mesures destinées à l’intégration des immigrants et manque de coordination entre les divers acteurs. Seule une véritable volonté politique dotée d’une vision à long terme permettra de sortir de l’impasse.

Article écrit en collaboration avec Emmanuelle Gril, journaliste


Notes

1 Marleau, D., Les infirmières et infirmiers formés à l’extérieur du canada, Montréal, Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, 2017.

2  Lambert-Chan, M., « Les ingénieurs étrangers victimes de la rigueur budgétaire ? », La Presse, 14 janvier 2016.

3  Samson Bélair / Deloitte & Touche, Bienvenue au canada – Qu’en est-il ensuite ? mobiliser le potentiel des immigrants pour favoriser la croissance et l’innovation en affaires (livre blanc), novembre 2011, 26 p. ; Chicha, M.-T., et

Charest, É., Le Québec et les programmes d’accès à l’égalité : un rendez-vous manqué ? – analyse critique de l’évolution des programmes d’accès à l’égalité depuis 1985, Centre d’études ethniques des universités montréalaises, avril 2013, 149 p.

Ferretti, J., Le Québec rate sa cible – Les efforts du Québec en matière de francisation et d’intégration des immigrants : un portrait, Montréal, IREC, janvier 2016, 109 p.

Données sur le PRIIME, 2010 à 2015, Direction de la statistique, ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Québec.