Article publié dans l'édition Printemps 2020 de Gestion

L’écosystème de l’entrepreneuriat au Québec et au Canada s’adapte lentement mais sûrement aux besoins spécifiques des femmes. Parallèlement à la structure à laquelle hommes et femmes ont accès se développe tout un réseau de ressources et de programmes réservés aux  femmes.

En 2018, le gouvernement fédéral a déployé la première Stratégie pour les femmes en entrepreneuriat (SFE), qui finance à la fois les entrepreneures et l’écosystème de l’entrepreneuriat féminin.


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« Cette stratégie vise à aider les femmes à créer et à faire croître leurs entreprises en améliorant leur accès au financement, aux personnes de talent, aux réseaux et à l’expertise dont elles ont besoin », explique Hans Parmar, responsable des relations avec les médias à Innovation, Sciences et Développement  économique Canada.

« D’ici 2025, le gouvernement souhaite doubler le nombre de sociétés détenues majoritairement par des femmes. »

Dans le cadre de la SFE, un comité de sept expertes1 conseille le gouvernement quant aux problèmes que doivent résoudre les femmes entrepreneures et propose des solutions pour combler les lacunes dans les services et le soutien qui leur sont offerts au pays.

Mais comme l’argent est le nerf de la guerre en affaires, les deux principaux éléments sont le Fonds pour les femmes en entrepreneuriat et le Fonds pour l’écosystème de la SFE.

Le premier a accordé plus de 30 millions de dollars à 322 projets pour soutenir la croissance et le développement à l’international d’entreprises dirigées par des femmes. Ainsi, les Jus Loop, la Fromagerie du Pied-de-Vent et la firme Pur Béton en ont bénéficié.

Quant au second, il a pour but de remédier aux insuffisances de l’écosystème, par exemple en soutenant l’entrée des femmes dans des secteurs non traditionnels, le réseautage et le mentorat ainsi que les incubateurs et les accélérateurs. Il a à ce jour octroyé près de 79 millions de dollars à 52 projets. L’École des entrepreneurs du Québec et Femmessor en ont notamment profité.

Pareil, pas pareil

L’écosystème de l’entrepreneuriat féminin se distingue et se rapproche tout à la fois de celui des hommes. Les femmes côtoient les hommes dans les incubateurs, dans les accélérateurs, dans les écoles d’entrepreneuriat et au sein de plusieurs réseaux d’affaires. Elles ont toutefois accès à leurs propres programmes de financement, d’accompagnement et de réseautage.

C’est le cas de Compagnie F, un organisme pionnier en entrepreneuriat féminin. Il offre de la formation et des conseils sous la forme de sessions de groupe, de coaching individuel, d’ateliers et de conférences pour susciter et soutenir le démarrage et la croissance des projets.

Depuis plus de 20 ans, il a permis à plus de 3 000 femmes de créer leur propre société et de la faire évoluer. Une de ses particularités consiste à offrir un programme de formation financé par Emploi-Québec aux femmes à faible revenu, à celles qui touchent de l’assurance-emploi ou de l’aide sociale ainsi qu’à celles qui ne sont pas actives sur le marché du travail.

Lorsqu’elle observe l’écosystème de l’entrepreneuriat des femmes au Québec, la présidente de Compagnie F, Déborah Cherenfant, estime qu’il manque un peu de mentorat destiné spécifiquement aux femmes et surtout d’accompagnement pendant la phase de croissance. « Il y en a beaucoup dans le prédémarrage et dans le démarrage. Cependant, lorsque leur entreprise approche ou dépasse le cap des cinq ans et qu’elles cherchent à la faire grandir, les femmes trouvent moins de soutien », avance-t-elle.

Nommée présidente de la Jeune Chambre de commerce de Montréal en janvier 2020, Mme Cherenfant note également que certaines femmes souhaitent conserver leur emploi et entreprendre à temps partiel.

« C’est un phénomène qu’on observe davantage chez elles que chez les hommes, que ce soit en raison d’une plus grande aversion au risque ou par souci de concilier le travail et la famille, note-t-elle. Or, les programmes de financement rejettent souvent ces approches. »

Certains tentent de soutenir cette tendance. Par exemple, la Société d’aide au développement des collectivités du Centre-de-la-Mauricie mène un projet pour adapter les programmes et les outils d’accompagnement à cette réa- lité, que ce soit dans les organismes ou dans les ministères.

Des modèles inspirants

Depuis huit ans, Compagnie F organise chaque année une journée de l’entrepreneuriat féminin pour faire le point sur la situation et pour présenter des modèles de réussite. Déborah Cherenfant croit que les modèles jouent toujours un rôle crucial pour convaincre d’autres femmes de se lancer dans l’aventure.

Ce n’est pas Roxane Duhamel, présidente de la firme RDMARCOM Marketing et Communication, qui la contredira. Elle est responsable des prix Femmes d’affaires du Québec (FAQ) du Réseau des femmes d’affaires du Québec. Depuis 2001, cet organisme offre des récompenses dans diverses catégories.

« Ce n’est pas l’entreprise qui est choisie mais bien l’entrepreneure elle-même », souligne Roxane Duhamel. Cela permet de projeter à l’avant-scène des femmes qui ont atteint leurs objectifs et qui peuvent en inspirer d'autres.

Dans son indice entrepreneurial québécois 20172, le Réseau M montrait que les jeunes femmes qui ne faisaient pas déjà partie de la chaîne entrepreneuriale avaient davantage tendance que les jeunes hommes à douter de leurs compétences et à s’exclure elles-mêmes de ce domaine. Un des rôles clés de l’écosystème consiste donc à rendre visibles des modèles inspirants.

Mais la remise des prix FAQ, à l’instar des autres concours du même type, dépasse la simple création de modèles.

« Les lauréates sont ouvertes au partage de leurs connaissances. Les prix créent donc des réseaux qui perdurent et qui renforcent la communauté d’affaires féminine », croit Roxane Duhamel.

Des partenariats à développer

Certains organismes de prime abord ouverts aussi bien aux hommes qu’aux femmes ont aussi élaboré des offres spécifiques pour leur clientèle féminine. Le 8 mars 2019, la Fondation Montréal Inc. lançait le parcours « Entreprendre au féminin », qui a pour but d’encourager les femmes à créer une entreprise et de les accompagner dans ce processus. D’abord destiné aux jeunes femmes de 18-35 ans, ce programme devrait voir son âge limite rehaussé, puisque les femmes lancent souvent leur entreprise plus tard que les hommes.

Les statistiques de la Fondation Montréal Inc. montraient que seulement 30 % de ses participants étaient des femmes. « Nous recevions moins de demandes de leur part, explique Liette Lamonde, directrice générale de cet organisme. C’était clair qu’il fallait agir en amont pour les aider à entamer des démarches. »

L’organisme a ainsi conçu une stratégie numérique et mobilisé son réseau d’influenceurs pour dépister l’ambition entrepreneuriale chez les femmes. Il a mis en ligne des capsules vidéo pour présenter des modèles de femmes.

Il organise aussi une session de formation d’une journée et demie (baptisée BOOSTcamp) pour les aider à développer leur projet, à tester leur idée et à les sou- tenir aux étapes de prédémarrage et de démarrage de leur entreprise. L’aspect le plus important du projet est probablement le fait qu’il se déploie avec la collaboration de 13 partenaires.

« On ne peut plus avoir un écosystème fragmenté : il faut collaborer », soutient Liette Lamonde.

Accès au financement

« Le Québec a une offre de services aux entrepreneures très complète, mais il faut poursuivre les efforts de collaboration et de complémentarité », croit aussi Sévrine Labelle, présidente-directrice générale de Femmessor.

Cet organisme facilite l’accès au financement pour les femmes entrepreneurs en plus d’offrir des conseils et de l’accompagnement. Depuis 2016, il ne se limite plus au démarrage : il finance aussi la croissance et les acquisitions.

Sévrine Labelle souligne fièrement que 78 % des sociétés financées par Femmessor existent encore cinq ans après leur création. Au Canada, de 2002 à 2014, 63 % des nouvelles entreprises ont survécu au moins cinq ans3.

Traditionnellement financé par le gouvernement du Québec, Femmessor obtient maintenant du soutien de la part du gouvernement fédéral par l’entremise de la SFE et même auprès de quelques partenaires privés.

« Les demandes sont en forte croissance et nous nous efforçons de trouver les moyens financiers de répondre au plus grand nombre d'entre elles possible », souligne la PDG.

L’accès des entrepreneures au financement demeure névralgique. Il existe un certain nombre de programmes destinés aux femmes, pilotés par Femmes d’affaires en commerce international, par la Banque de développement du Canada, par Femmessor et par différents organismes gouvernementaux et ministères.

Toutefois, de nombreuses études démontrent que des biais nuisent aux femmes lorsqu’elles déposent des demandes devant des bailleurs de fonds ouverts aux deux genres4. Certains projets ont pour but d’améliorer la situation.


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C’est le cas par exemple de l’Initiative de catalyse du capital de risque du gouvernement fédéral, qui octroie du financement destiné à améliorer l’équilibre entre les sexes chez les gestionnaires de fonds de capital de risque. The Billion Dollar Fund for Women vise de son côté à investir un milliard de dollars dans des entreprises dirigées par des femmes.

Il est intéressant de voir se développer un écosystème de l’entrepreneuriat féminin. Toutefois, cela ne dispense pas d’améliorer le traitement des projets de femmes dans l’écosystème plus global afin de s’assurer qu’elles aient accès aux mêmes ressources que les hommes.


Notes

1 Ce comité est présidé par Laura McGee, fondatrice et directrice générale de Diversio, et par l’entrepreneure bien connue au Québec Danièle Henkel.

2 Ibanescu, M., et Marchand, R., « Indice entrepreneurial québécois 2017 », réalisé par le Réseau M de la Fondation de l’entrepreneurship, en partenariat avec l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale– HEC Montréal et Léger, et présenté par la Caisse de dépôt et placement du Québec.

3 Archambault, R., et Song, M., « Les nouvelles entreprises canadiennes : taux de naissance et de survie au cours de la période de 2002 à 2014 », Ottawa, Innovation, Sciences et Développement économique Canada, Direction générale de la petite entreprise, 2018, 24 pages.

4 Voir à ce sujet notre article intitulé « Les femmes sortent de l’ombre », p. 54-58 du présent numéro.