Article publié dans l'édition Printemps 2020 de Gestion

Ne pas se sentir à la hauteur malgré les succès obtenus, l'expérience accumulée et toute l'expertise acquise : c'est ce que ressentent de nombreuses femmes dans le monde des affaires. Alors qu'on entend de plus en plus parler du syndrome de l'imposteur, peu d'études scientifiques existent sur ce sujet. Tour d'horizon.

Le syndrome dit de l’imposteur affecte certaines personnes qui, bien qu’elles possèdent toutes les compétences nécessaires à l’exercice de leur métier, ne se sentent pas à leur place et se déprécient constamment.

Autrement dit, elles ont l’impression de jouir d’un statut, d’occuper une fonction ou de faire carrière de manière frauduleuse. D’autres éléments peuvent compléter ce portrait de l’imposteur présumé : la crainte d’être démasqué, la difficulté à accepter des marques de reconnaissance, la propension à attribuer le mérite d’un succès à des facteurs externes (chance, équipe, réseau, etc.) ou encore la tendance à toujours vouloir en faire trop.

On comprendra aisément que ce mal-être s’accompagne généralement de détresse et de doute qui peuvent nuire au déroulement de la vie quotidienne des gens qui en souffrent. Bonne nouvelle, toutefois : l’imposteur en nous peut être apprivoisé.

Un phénomène à démystifier

De 2016 à 2019, plus de 2 300 femmes ont participé au « Défi 100 jours L’effet A1 », un projet montréalais destiné à mettre en valeur le talent de ces professionnelles, à mieux les outiller pour communiquer leur ambition et à propulser leur carrière. Lors de ce parcours de développement professionnel, elles ont eu l’occasion de travailler sur leur confiance personnelle, sur la prise de risques et sur leur pouvoir d’influence.

Elles ont également été en mesure de porter un regard particulier sur les différents enjeux auxquels les femmes doivent faire face dans les organisations et de réfléchir à la question du syndrome de l’imposteur.

Leurs témoignages nous permettent d’émettre ce constat : plusieurs sentiments sous-tendent le syndrome de l’imposteur. Ces sentiments suscitent des comportements particulièrement nocifs non seulement pour les femmes qui les éprouvent mais aussi pour les organisations dont elles font partie ou pour les entreprises qu’elles dirigent. De plus, plusieurs facteurs contextuels ont une incidence non négligeable sur ce phénomène.

Parmi les comportements nuisibles répertoriés, on remarque que les femmes se déprécient volontairement ou s’abstiennent souvent de parler lorsqu’elles devraient pourtant s’exprimer. Elles en font parfois trop pour compenser une lacune illusoire ou, à l’inverse, s’avouent vaincues avant même d’avoir entrepris un projet.

D’autres comportements sont orientés vers autrui. Par exemple, certaines femmes tentent de dissiper leur malaise en recherchant l’approbation de leurs collègues et de leurs supérieurs ou en attribuant le mérite à quelqu’un d’autre lorsqu’on les félicite pour leur bon travail.

Les problèmes d’image de soi et de confiance en soi mènent davantage à de tels comportements dans quatre cas particuliers : lorsque les femmes amorcent une transition de carrière, lorsqu’elles ont affaire à un haut dirigeant, lorsqu’elles doivent composer avec un collègue plus expérimenté ou lorsqu’elles doivent œuvrer dans un domaine étranger à leur formation.

Dans ces contextes précis, le discours des femmes dénote encore plus d’insécurité. Malgré leur présence à des postes de direction, plusieurs des participantes au « Défi 100 jours L’effet A » ont affirmé craindre encore d’être questionnées et de ne pas avoir toutes les réponses aux interrogations soulevées par leurs subalternes.

Stratégies d’atténuation du syndrome de l’imposteur

Peut-on vraiment surmonter le syndrome de l’imposteur ? Il existe plusieurs stratégies efficaces pour aplanir les difficultés liées aux sentiments suscités par cet état d’esprit.

Stratégies pour les femmes atteintes du syndrome de l’imposteur

  1. Travaillez sur vos propres perceptions afin d’établir un discours intérieur positif, réaliste et objectif : « Dans quelle mesure ai-je contribué au succès indiscutable de ce projet ? » Dressez la liste de vos réalisations au cours de la dernière année. Actualisez votre curriculum vitæ : en plus d’être valorisant, cet exercice vous permettra de voir vos réalisations sous un meilleur jour.
  2. Soyez lucides au sujet de vos forces et tirez-en profit pour compenser vos faiblesses. Vous pouvez ainsi travailler par associations : si vous souhaitez par exemple adopter un comportement avec lequel vous n’êtes pas à l’aise, ayez recours à un comportement que vous maîtrisez déjà afin de soutenir l’acquisition du nouveau.
  3. Passez à l’action et mettez fin à certains comportements. Sortez de votre zone de confort : « Demain, je vais prendre la parole pendant la rencontre d’équipe. La semaine prochaine, je vais me mettre au défi de ne pas quitter le bureau après 17 h et de remettre mon travail même s’il n’est pas parfait. »
  4. Demandez l’aide d’un mentor, d’une personne en qui vous avez confiance ou d’un coach Leurs conseils et les échanges que vous aurez avec eux vous permettront à la fois d’avoir une perception plus juste de vous-mêmes et d’agir dans des situations où vous n’auriez pas osé le faire auparavant.
  5. Lorsqu’on vous adresse des compliments ou des remerciements, acceptez-les sans les minimiser. Apprenez à les recevoir de bonne grâce, en disant simplement merci. Concentrez-vous sur vos objectifs et vos désirs plutôt que sur vos craintes et vos peurs. Ne gaspillez plus votre énergie à nourrir vos angoisses : consacrez-la aux choses qui vous permettront d’atteindre vos buts.

Stratégies pour les gestionnaires

  1. Instaurez et maintenez une culture où l’entraide est valorisée. Avez-vous songé à revoir le système de rémunération de votre organisation ? Vous pourriez par exemple encourager vos employés à travailler en équipe et à contribuer au développement des compétences de leurs collègues grâce à des récompenses dont l’obtention ne reposerait plus uniquement sur la performance individuelle, une source fréquente d’anxiété au travail. Un système de coaching à l’interne peut aussi permettre d’atténuer les émotions négatives liées au syndrome de l’imposteur. Le coaching favorise et facilite les interactions positives qui contribuent à renforcer la confiance en soi. Tant le coach que les gens qu’il soutient se sentent appuyés et reconnus, ce qui accroît leur satisfaction au travail et leur confiance en soi.
  2. Évitez les reproches trop sévères et les critiques non constructives : remplacez-les par des demandes qui susciteront l’ouverture et la confiance. Ces requêtes disposeront vos interlocuteurs à tenir compte des commentaires et à aller de l’avant. Cette prise de conscience et la mise en pratique de cette forme de communication positive sont nécessaires pour déjouer le syndrome de l’imposteur.
  3. Repensez la structure de votre organisation. Pourquoi multiplier les niveaux hiérarchiques, avant tout fondés sur des rapports d’autorité et de contrôle? Une structure plus horizontale a pour avantage de favoriser la collaboration transversale et de susciter des relations interpersonnelles plus authentiques.
  4. Faites participer un plus grand nombre de femmes au processus de décision stratégique en les invitant à s’impliquer et à faire entendre leur voix au sein de comités de gestion ou de groupes stratégiques.
  5. Offrez de l’accompagnement aux femmes qui sont en transition de carrière afin de faciliter leur intégration à de nouvelles fonctions et fournissez-leur les outils nécessaires à leur développement personnel et professionnel.

Les dirigeants d’entreprise et leur personnel peuvent emprunter d’autres avenues stratégiques afin de créer des environnements de travail aussi peu favorables que possible à l’apparition du syndrome de l’imposteur, notamment chez les femmes. Chose certaine, le bien-être et l’épanouissement de tous les membres d’une organisation doivent être  prioritaires : la performance de celle-ci en dépend.


Note

1 Les auteurs remercient les participantes au « Défi 100 jours L’effet A ». Une fois anonymisés, leurs commentaires et réponses aux activités de développement ont permis à l’équipe de chercheurs d’en faire l’analyse. Les auteurs remercient aussi le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (2019-NP-252530) pour son soutien financier à la réalisation de ce projet de recherche.