« La méthode entrepreneuriale, comme l’a fait la méthode scientifique, va fondamentalement changer le monde. Elle est déjà en voie de le faire. » Vision engageante, nuancée et porteuse d’espoir de la professeure Saras Sarasvathy.

Lorsque Saras Sarasvathy affirme que l’entrepreneuriat est en voie de changer le monde, elle s’appuie sur ce qu’elle appelle une intégration renouvelée des trois E – éducation, emploi et entrepreneuriat – pour « faire croître une classe moyenne d’entrepreneurs ».

« Un simple regard sur le monde de l’entrepreneuriat suffit pour se rendre compte rapidement que des sommes colossales sont investies pour encourager le plus grand nombre possible de gens à se lancer en affaires. Ou encore on cherche la perle rare, c’est-à-dire l’entreprise qui deviendra un nouvel Amazon, Apple ou Google. Mais que se passe-t-il entre ces deux postures, au “milieu” de ces deux extrémités du continuum ? Ce “milieu” correspond au monde des petites et moyennes entreprises. Or, de nombreuses recherches montrent qu’une part appréciable des nouveaux emplois est créée par les nouvelles entreprises, notamment par les petites firmes qui misent sur la croissance. »

Qui est Saras Sarasvathy ?

Saras Sarasvathy est professeure d’entrepreneuriat à la Darden School of Business de l’université de Virginie et titulaire d’une chaire de recherche à l’Indian Institute of Management de Bangalore (Inde). Elle est reconnue à l’échelle internationale pour son approche effectuale de l’entrepreneuriat (ou effectuation entrepreneuriale).

Une méthode pour réussir

Au-delà des contraintes, des nombreux défis et de toutes les entraves à la croissance, « il y a des choses que l’entrepreneur doit faire différemment pour réussir ». « Bien sûr, il est parfaitement acceptable que certains entrepreneurs ne veuillent pas croître. Mais lorsque je parle de former une classe moyenne d’entreprises et d’entrepreneurs, je pense avant toute chose aux emplois. N’y a-t-il pas des entreprises d’une ou deux personnes qui pourraient croître jusqu’à compter six ou huit employés ? Et parmi celles-ci, n’y en a-t-il pas quelques-unes qui pourraient prospérer jusqu’à avoir 100 ou 200 employés ? »

C’est là que prend tout son sens l’intégration de l’éducation, de l’entrepreneuriat et de l’emploi défendue par Saras Sarasvathy. À ses yeux, l’approche effectuale de l’entrepreneuriat offre une méthode qui permet de faire face aux défis du lancement puis de la croissance de projets entrepreneuriaux.

« Le modèle dominant en Occident reste celui qui a été élaboré au 19e siècle : après une douzaine d’années de formation et une autre douzaine d’années de travail salarié durant lesquelles il a appris les rouages d’un secteur d’activité, un individu est censé avoir tout ce qu’il lui faut pour se lancer en affaires. Or, la réalité est fort différente : toutes sortes de gens lancent de nouvelles entreprises à toutes sortes de moments sans nécessairement être passés par de longues années de formation ou de nombreuses expériences professionnelles. Ils font plutôt le saut avec une approche particulière de l’action entrepreneuriale. »


Qu’est-ce que l’approche effectuale ?

Cette approche fournit un cadre pour comprendre création et la croissance de nouvelles organisations et de nouveaux marchés dans un contexte incertain ou imprévisible.

Il s’agit d’une méthode grâce à laquelle un entrepreneur détermine ses objectifs en fonction de ses ressources. Saras Sarasvathy utilise souvent l’analogie du cuisinier : ou bien un chef se limite à un certain nombre de recettes et achète uniquement les ingrédients nécessaires, ou bien il crée un menu en fonction des ingrédients disponibles.

La deuxième approche est de type effectual.


Savoir demander

« Ce qui manque au modèle classique de l’éducation entrepreneuriale, c’est une meilleure compréhension des comportements humains et des aspects relationnels au cœur de la poursuite de projets véritablement entrepreneuriaux. »

Ces aspects sont particulièrement saillants dans ce que Sara Sarasvathy appelle l’« acte de demander ». La poursuite de projets entrepreneuriaux commande en effet de faire face à de hauts degrés d’incertitude. La réussite passe donc souvent par la capacité des entrepreneurs de susciter l’enthousiasme et la contribution de toute une gamme de parties prenantes (parents, amis, partenaires d’affaires, employés, clients, etc.). Or, c’est justement pour susciter l’adhésion que l’approche effectuale propose de mieux former les futurs entrepreneurs à cet « acte de demander ».

« Comment peut-on aller parler à quelqu’un qu’on ne connaît pas nécessairement et s’adresser à lui de telle manière qu’il voudra travailler avec nous, et ce, avec plus d’application et plus d’efforts qu’auparavant ? Comment faire en sorte que cette personne contribue tellement au projet entrepreneurial qu’il devienne ensuite possible, ensemble, de créer quelque chose de vraiment unique et différent ? »

En introduisant ces notions et en faisant vivre ce type d’expériences d’apprentissage à la fois à ses étudiants et à de vastes segments de la population, Saras Sarasvathy espère stimuler « une population capable non seulement de penser de manière entrepreneuriale mais aussi de mener à bien des investissements entrepreneuriaux et des actions entrepreneuriales. L’objectif : faire en sorte que ceux qui se seront lancés puissent mieux relever les défis de la croissance afin de créer une véritable classe moyenne d’entreprises créatrices d’emploi ».

 Propos recueillis lors de la participation de Saras Sarasvathy à la conférence « Braiding the 3Es for a stronger future : Education, employment and entrepreneurship » le 24 octobre 2016 à HEC Montréal.


Pour aller plus loin

Sarasvathy, Saras D., Effectuation – Elements of Entrepreneurial Expertise, Cheltenham (Grande-Bretagne), Edward Elgar Publishing, coll. « New Horizons in Entrepreneurship », 2008, 392 p.