La recherche de ressources constitue un défi considérable pour tout nouvel entrepreneur : elle implique de travailler sa légitimité auprès de nombreuses parties prenantes aux demandes parfois contradictoires. Plaidoyer pour une transgression des règles établies.

Une entrepreneure en situation difficile nous racontait il y a peu qu’à force de devoir jouer une multitude de rôles face aux investisseurs, accompagnateurs, jurys, subventionnaires et autres dragons, elle en arrivait à se demander si elle avait encore la mainmise sur son projet et constatait que celui-ci ne ressemblait plus vraiment à ce qu’elle avait en tête ! « Plus je ramasse des fonds dans toutes ces affaires, moins j’ai le goût de concrétiser mon projet. »

Il existe une pléthore de rencontres, de concours et de défis qui, s’ils présentent un véritable intérêt pour travailler la confiance de l’entrepreneur, étendre son réseau social, tester une idée et accéder aux ressources nécessaires à la survie du projet au cours des premières années, peuvent avoir des effets quasi anti-entrepreneuriaux. De cela, on parle bien peu !

Le conformisme de la légitimité

Tout d’abord, cet impératif de la légitimité est souvent vécu par les entrepreneurs comme une contrainte qui les exproprie en partie de leur projet ou le dénature. Les avis et jugements émis par les pourvoyeurs de financement sont produits sur la base d’attentes stéréotypées et au regard de normes qui définissent ce qu’est un projet entrepreneurial à succès. Ainsi, la mise en conformité du projet conduit parfois à être trop conformiste et à faire fi de la part de subversion qui lui serait pourtant nécessaire.

L’ensemble des outils et des techniques allant du plan d’affaires aux modèles d’affaires en passant par les demandes de suivi sont loin d’être neutres. Ils servent souvent à accompagner le verrouillage des projets entrepreneuriaux tout au long de la chaîne de financement et d’accompagnement. Ainsi, ce qui est perçu par les parties prenantes comme une aide peut être considéré par l’entrepreneur comme une violence : les critères de légitimation d’un projet resserrent l’espace de liberté de l’entrepreneur.

La multiplication de ces demandes va parfois jusqu’à propulser les entrepreneurs dans un monde éloigné de leur réalité. Ce constat a souvent été effectué dans le domaine des start-up, où les occasions de confronter une idée sont nombreuses et, pour tout dire, grisantes. Les entrepreneurs sont amenés à anticiper et à mimer les attentes des personnes qu’ils rencontrent puis à redéfinir en permanence leur projet.

Seulement, à trop jouer la comédie des attentes variées, multiples et contradictoires, c’est la mise en abîme qui guette l’entrepreneur. Le jeu théâtral transforme la réalité entrepreneuriale au point de la supplanter. L’entrepreneur n’est plus toujours en mesure de distinguer les attentes empruntées de ses propres intentions. Il vit une situation de quasi-névrose identitaire entre le personnage fictif créé pour séduire les parties prenantes et le porteur d’un projet en cohérence avec ses véritables aspirations. Le créateur, tel l’artiste, doit composer avec l’écart entre le croquis idéalisé et les épreuves rencontrées dans la réalité.

Le combat du créateur

Répondre à l’impératif de la légitimité peut dès lors être considéré comme anti-entrepreneurial dans la mesure où cela présente le risque de rendre le projet conformiste et de priver l’entrepreneur de son statut d’auteur du projet. Plus encore, il est nécessaire de s’interroger sur la manière dont certains dispositifs de financement et d’accompagnement peuvent aller jusqu’à limiter le potentiel de subversion pourtant au fondement même du geste entrepreneurial. L’entrepreneuriat repose sur la transgression ou sur la négociation des contraintes et non sur la soumission à ces mêmes contraintes.

Bien sûr, échapper aux contraintes n’a rien d’évident pour les entrepreneurs : cela relève parfois de l’impossible. De plus en plus d’entrepreneurs tentent pourtant d’échapper aux formes traditionnelles de financement en recourant par exemple à la réinjection systématique des revenus générés (bootstrapping) ou au sociofinancement, qui permettent de limiter les intrusions dans le projet. Le bricolage entrepreneurial ou les formes collectives permettent aussi de trouver une voie alternative à la création en dépit de moyens limités, dont on saura par ailleurs réinventer le potentiel.

Enfin, l’entrepreneur, malgré les risques de mise en abîme, gagne à user de stratégies de camouflage en jouant avec les codes légitimes, voire en les détournant. Au quotidien, c’est par l’invention de micro-pratiques de résistance ou par l’emprunt temporaire de chemins de traverse que l’entrepreneur peut préserver ses marges de liberté ainsi que son autorité et son « auteurité » sur son projet !

Pour changer le monde, l’entrepreneur ne peut pas se satisfaire de perpétuer l’ordre établi, parfois renforcé par les demandes a priori légitimes de certaines parties prenantes. Renversons donc l’injonction et affirmons-le haut et fort : entrepreneurs, refusez la légitimité et soyez rebelles !