Dossier Économie circulaire : l'heure des choix - Consommation : entre utopie et réalité
2020-12-11
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2024-01-12
Dossier Économie circulaire : l'heure des choix - Consommation : entre utopie et réalité
Économie , Développement durable , Dossier
Article publié dans l'édition Hiver 2021 de Gestion
Lorsque la multinationale américaine Lowe’s a fait sa première tentative d’acquisition de RONA, en 2012, plusieurs écologistes ont créé la surprise en défendant le quincaillier québécois pour le travail accompli.
« Nous avons commencé à récupérer et à recycler la peinture en 1996. En 2006, nous avons lancé une gamme de 1 500 produits écoresponsables, la marque Eco », se rappelle Robert Dutton, ex-PDG du groupe et professeur associé à HEC Montréal. « On a été les premiers à le faire au Canada. On avait des éco-comités d’employés et même un comité de développement durable chez les cadres. » Et depuis que Lowe’s a acquis RONA, en 2016, le quincaillier a augmenté le nombre de produits Eco à plus de 5 000.
Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à se convertir à la consommation circulaire pour elles-mêmes et pour leurs clients. « Il y en a même davantage qu’on le croit en général », dit Fabien Durif, professeur titulaire au Département de marketing de l’ESG UQAM et directeur de l’Observatoire de la consommation responsable. « Elles modifient leurs procédés, leurs produits ainsi que la durée de vie et les emballages de leurs produits. »
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Si des firmes comme Patagonia et Cascades ont fondé leur modèle d’affaires sur le recyclage, d’autres entreprises, établies depuis plusieurs années, en font maintenant l’essai. La société Piscines et spas Poséidon, à Longueuil, propose désormais la remise à neuf de vieux spas et répare des composantes comme les pompes, les commandes et les couvercles. Les Fromageries Bel (La Vache qui rit, Boursin, Babybel) ont considérablement réduit leur consommation d’eau et d’énergie. Michelin et Xerox ont tellement amélioré la durabilité de leurs produits qu’il devient plus rentable pour elles de louer leurs pneus et leurs imprimantes que de les vendre. Sans compter les expériences plus sociales comme Kijiji, principale plateforme canadienne de revente qui permet de donner une seconde vie à des millions d’objets, ou La Remise, une coopérative de partage où les résidents du quartier Villeray, à Montréal, peuvent emprunter des outils.
Des influenceuses, les entreprises?
Le rôle pionnier des entreprises est d’autant plus important que leurs choix influencent fournisseurs et clients, qu’ils soient des PME ou de simples consommateurs. « La consommation circulaire, c’est comme un “développement durable 2.0” en version pragmatique dans sa dimension économique et environnementale, mais sans le volet social », dit Jonathan Deschênes, professeur agrégé au Département de marketing de HEC Montréal, qui s’intéresse depuis longtemps au marketing vert et à l’économie circulaire. « Les entreprises ont assez de facilité là-dedans parce qu’elles raisonnent en “système”. Chez les consommateurs, c’est nettement plus mêlé, pour ne pas dire chaotique. »
En effet, les études de l’Observatoire de la consommation responsable de l’UQAM montrent un certain plafonnement dans les habitudes de consommation. Parmi la dizaine de critères employés, seule la pratique de la récupération a nettement augmenté en dix ans. Pour consommer de façon circulaire, le consommateur doit non seulement comprendre les processus de vente et d’achat de biens d’occasion mais aussi savoir estimer la valeur des objets proposés et savoir négocier efficacement, ce qui n’est pas donné à tout le monde.
« Et il y a les valeurs personnelles et sociales », dit Laure Waridel, fondatrice de l’organisme Équiterre et directrice du Centre interdisciplinaire de recherche en opérationnalisation du développement durable à l’École de technologie supérieure, à Montréal. « La consommation circulaire suppose un changement de culture, un rapport différent à la propriété, aux goûts, à la mode, au neuf. Ça fait plus d’un siècle qu’on amène les gens à se définir en fonction de ce qu’ils ont. Quand on leur dit de consommer moins, on leur dit alors d’exister moins et de se priver de plaisir. »
Une étude1 d’Équiterre a examiné les déclencheurs du remplacement précoce de biens durables chez les consommateurs. Certes, le manque de pièces et les coûts de réparation font pencher la balance, mais l’attrait de nouvelles fonctionnalités, les effets de mode et la pression sociale jouent à plein. L’étude cite même le cas absurde d’un consommateur qui a remplacé un appareil fonctionnel parce qu’il n’avait pas le label « écoresponsable »!
Le développement de la consommation circulaire suscite aussi de nouveaux types de liens avec les objets et avec les marques. « Les services de partage de voitures permettent un meilleur taux d’utilisation. Cependant, la rupture du lien de propriété entraîne plus de bris. Les gens font moins attention », dit Verena Gruber, professeure agrégée au Département de marketing de HEC Montréal.
« La consommation circulaire doit s’accompagner d’un processus de réflexion narratif où l’objet acquiert une vie avant, pendant et après. Si on élimine la propriété, il faut que l’utilisateur soit amené à se voir comme un gardien du bien, dit Mme Gruber. Boire un jus Loop fait à partir de fruits invendus, c’est participer à une opération de sauvetage. »
Communication et législation
Un autre facteur vient mêler les cartes : les consommateurs se méfient de l’écoblanchiment (ou greenwashing), c’est-à-dire les procédés par lesquels les entreprises cherchent à se donner une fausse image de responsabilité écologique. « Ce qui a donné de la crédibilité aux produits Eco, raconte Robert Dutton, c’est que RONA a soutenu sa démarche avec des certifications reconnues, comme le bois garanti “sans coupe à blanc”. »
Francis Durif reconnaît que, pour une entreprise, la consommation circulaire peut être un véritable casse-tête en matière de communication, d’abord parce qu’il est quasi impossible d’être circulaire à 100 %, mais aussi parce que les consommateurs ne comprennent pas tout ce qui est en jeu. « Les consommateurs voient l’emballage ; ils veulent qu’on règle ce problème. Or, le vrai problème est souvent dans la fabrication. Mais quand les entreprises essaient d’expliquer ça, on les accuse d’embrouiller les gens ! », explique-t-il.
L’essentiel consiste à bien répondre aux besoins des consommateurs, croit Joël Trochon, directeur du développement durable pour le Groupe SEB. Cette multinationale française, qui exploite des marques mondialement reconnues telles que T-Fal, Moulinex, Rowenta et All-Clad, a créé un logo « réparable 10 ans » pour ses petits appareils électriques. En 2018, 93 % de ses petits appareils étaient réparables, dont 75 % totalement. En tout, huit millions d’appareils produits par cette entreprise sont réparés chaque année au lieu d’être jetés et remplacés comme auparavant.
Lorsque le Groupe SEB a décidé de miser sur la durabilité et sur la réparabilité, il y a 15 ans, cette orientation a suscité un vif débat à l’interne. « Nos représentants commerciaux ont d’abord dit : “Vous êtes fous ! Les gens vont croire que vos appareils vont tomber en panne !” Selon eux, les consommateurs voulaient du neuf, du propre. Finalement, non, ça n’était pas du tout comme ça que les clients voyaient le problème », explique M. Trochon.
Le Groupe SEB a mis sept ans de recherches pour offrir aux consommateurs une gamme convaincante de produits réparables et durables. Ses ingénieurs ont revu tous les plans pour éliminer les pièces collées ou soudées. Ses entrepôts contiennent sept millions de pièces détachées, même pour les modèles que l’entreprise ne produit plus. Les pièces rares sont produites avec des imprimantes 3D. « On s’est aussi assurés que le prix de réparation ne dépasse pas le seuil psychologique de 40 % du prix du neuf, dit M. Trochon. Nous offrons même des “forfaits réparation” pour 20 à 40 % du prix du neuf, main-d’œuvre comprise. »
Dans un deuxième temps, le Groupe SEB a entrepris de modifier les procédés afin d’utiliser des matières premières recyclées. Dans les magasins, elle a instauré un système de bons pour encourager les clients à ramener leurs vieux appareils ou leurs vieilles poêles afin de les réintroduire dans les circuits de recyclage. « Au total, les matières premières recyclées comptent pour 37 % de nos intrants », précise Joël Trochon.
« Les start-ups et les PME, c’est sympa, mais si on veut vraiment changer les choses, il faut que les grands groupes passent à l’action », dit Fabien Durif. Or, en Amérique du Nord, nous sommes très en retard, et la disparition progressive des réparateurs n’arrange rien. « Ça prend des mesures gouvernementales. Il faut des règlements, un système fiscal pour internaliser les coûts environnementaux », croit Laure Waridel.
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La France est le seul pays au monde à avoir adopté – en février 2020 – une loi qui interdit la pratique de l’obsolescence planifiée dans son code de la consommation. Et sa nouvelle loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire vient d’introduire un train de mesures, notamment l’interdiction de la vaisselle jetable, la fin de l’élimination des invendus, la création d’un indice de réparabilité, etc.
L’action législative requiert un travail de réflexion en profondeur afin d’éviter qu’une politique en contrecarre une autre. Jonathan Deschênes surveille tout particulièrement l’économie du partage, qui peut avoir des effets pervers. « Airbnb, c’est une bonne idée, mais ça doit être réglementé, parce que ça peut détruire le tissu social d’un quartier, sans compter les effets inflationnistes sur le parc immobilier. La question consiste à savoir si on ne crée pas de nouveaux problèmes en voulant en régler d’autres », conclut-il.
Note
1 « Obsolescence des appareils électro- ménagers et électroniques : quel rôle pour le consommateur? » (document en ligne), Équiterre, 23 mai 2018, 32 pages.
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