Article publié dans l'édition Hiver 2021 de Gestion

Malgré la multiplication des initiatives à l’échelle internationale, l’économie circulaire représente encore l’exception plutôt que la règle. Elle ne progresse pas à la même vitesse sur le globe et cause même de l’inquiétude dans certains pays.

Le degré de circularité de l’économie mondiale en 2020 est nettement resté sous la barre des 10 %, selon un rapport de Circle Economy1, un organisme de promotion de l’économie circulaire basé aux Pays- Bas. La logique linéaire « extraction-fabrication-déchets » reste inhérente à la plupart des modèles d'affaires. Circle Economy souligne le rôle que devront jouer les gouvernements nationaux pour renverser cette tendance. Cependant, ils sont loin d’avancer au même rythme.


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Comme c’est le cas lors de toute transition d’envergure, certains décideurs politiques craignent de pâtir de ce virage. « Des pays africains, par exemple, voient dans l’économie circulaire une volonté des États de l’Ouest d’augmenter leur autosuffisance et donc d’acheter moins de matières premières en Afrique », illustre Jocelyn Blériot, directeur général, institutions et gouvernements, à la Fondation Ellen MacArthur. « Il faut donc instaurer un dialogue et aider les nations dont l’économie repose sur l’extraction et sur la vente de ressources naturelles. »

En 2016, le Rwanda, le Nigeria et l’Afrique du Sud ont fondé le Réseau africain d’économie circulaire (ACEN), qui vise à accentuer le partage de connaissances et d’expertise. Toutefois, les progrès sur ce continent demeurent modestes. L’Afrique n’est pas la seule région du monde à se montrer réfractaire. Sous l’égide de Donald Trump, le gouvernement fédéral américain s’est largement désintéressé de ce modèle.

Tâtonnements en Asie-Pacifique

L’économie circulaire progresse assez lentement aussi en Asie-Pacifique, si on fait exception de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud. « Les entreprises et les États de l’Asie-Pacifique peinent encore à intégrer le développement durable dans leurs pratiques. On reste donc loin de l’économie circulaire », juge Adrienna Zsakay, qui a fondé il y a quatre ans l’organisme Circular Economy Asia à Malacca, en Malaisie. « Les décideurs politiques voient surtout les coûts économiques et non les bienfaits potentiels. »

Plus de la moitié des habitants de la planète peuplent les 24 pays de l’Asie-Pacifique. Ils produisent beaucoup et consomment de plus en plus. « Si ces États ne prennent pas le virage de l’économie circulaire, les effets positifs de cette approche sur l’environnement mondial et sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre resteront modestes », prévient Mme Zsakay.

La fondatrice de Circular Economy Asia souhaite qu’on dépasse le stade de la sensibilisation pour passer à la formation des décideurs politiques. En effet, plusieurs pays auraient de mauvais réflexes lorsqu’ils abordent la question de l’économie circulaire. La Malaisie, un pays très industrialisé, a souhaité se doter d’installations de remise à neuf pour réutiliser des biens et des matières en fin de vie. Or, plutôt que d’engager des processus et de nouer des partenariats à la grandeur du territoire, l’État malais a créé un parc industriel spécialisé. Toutefois, celui-ci s’est retrouvé assez isolé et son incidence s’avère minime.

Autre exemple : la Thaïlande. Par le passé, ce pays a grandement bénéficié de l’apport des investissements provenant de l’étranger. Lorsqu’il a voulu implanter l’économie circulaire, le gouvernement thaïlandais s’est donc contenté de faire appel aux investisseurs étrangers. « Mais l’économie circulaire n’est pas un nouveau secteur industriel : c’est une approche qu’on doit intégrer à l’ensemble des secteurs d’activité, rappelle Mme Zsakay. Ces erreurs montrent que les dirigeants comprennent mal cette approche. » Son organisme lancera une série d’ateliers afin de contribuer à la formation des décideurs politiques et économiques.

La Chine et l’Europe à l’avant-garde

D’autres États ont plutôt entrepris de sonner la charge. « La Chine y travaille depuis plus de 15 ans déjà et son intérêt, longtemps limité à la gestion des déchets, se tourne maintenant vers l’écoconception », explique Ke Wang, une experte de l’économie circulaire chez PACE, une plateforme mondiale qui a pour objectif d’accélérer la transition vers l’économie circulaire. En plus d’élaborer des plans quinquennaux, la Chine a légiféré en adoptant une loi pour la promotion de l’économie circulaire et procède à des analyses des flots de matières et des cycles de vie dans ses parcs industriels.

« Certains pays d’Amérique latine embrassent eux aussi cette nouvelle approche, notamment le Chili », poursuit Ke Wang. En 2018, ce pays a lancé le premier programme annuel d’économie circulaire du continent sud-américain. L’écosystème d’entrepreneuriat et d’innovation du Chili considère l’économie circulaire comme une avenue susceptible de générer de nouveaux modèles d’affaires.

L’Europe progresse également à un bon rythme. Le récent Pacte vert pour l’Europe, qui vise à rendre l’économie du Vieux Continent plus durable, stipule que l’économie circulaire devrait représenter la moitié des efforts de l’Union européenne (UE) pour devenir carboneutre d’ici 2050. L’UE a adopté son deuxième plan sur l’économie circulaire en avril 2020. « Le premier plan, entériné en 2017, mettait davantage l’accent sur la fin de vie des biens, alors que le nouveau plan accorde une plus large part à la conception », explique Mathilde Crêpy, gestionnaire principale de programmes chez ECOS, une organisation environnementale européenne spécialisée dans l’élaboration de normes et basée en Belgique.

Reste à harmoniser les approches des 28 pays de l’UE. Les Pays-Bas ambitionnent de devenir économiquement circulaires à 100 % d’ici 2050. La France est elle aussi à l’avant-garde. En 2019, elle a interdit la destruction des invendus non alimentaires, tels les produits d’hygiène et les textiles. Ces biens devront être donnés ou recyclés à compter de 2022. Des produits d’hygiène comme le savon ou le dentifrice devront obligatoirement être remis à des associations caritatives ou à des organismes d’économie solidaire. Une loi antigaspillage rend aussi illégales la mise au rebut et la destruction des invendus alimentaires, même dans le secteur de la restauration privée.

En Suède, le gouvernement a sabré de moitié la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) imposée à la réparation de biens comme les vélos, les vêtements, les réfrigérateurs et les lessiveuses, en plus d’offrir un crédit d’impôt couvrant 50 % du coût en main-d’œuvre des réparations. La loi prévoit aussi des incitatifs pour encourager l’écoconception en surtaxant les produits qui contiennent des matériaux impossibles ou difficiles à recycler ou à réparer. Les quelque 70 millions de dollars perdus en réduction de TVA seront récupérés en taxant l’utilisation de pro- duits nocifs pour l’environnement dans la fabrication des gros électroménagers.

De la parole aux actes

« Ces avancées intéressantes restent souvent anecdotiques et isolées par rapport à l’effort qu’il faudrait accomplir pour rendre les produits davantage circulaires, déplore toutefois Mathilde Crêpy. On constate surtout un gros besoin d’uniformisation et de normalisation. »

Son organisme, ECOS, œuvre à l’établissement de normes pour baliser la marche vers l’économie circulaire. Il sera plus facile de progresser si les entreprises et les décideurs politiques s’entendent sur une terminologie ainsi que sur des mesures, des protocoles et des procédés. Les normes servent par exemple à établir la façon dont on mesure la réparabilité, la recyclabilité et la biodégradabilité d’un produit ou d’un bien. « Il faut élaborer ces normes avant de légiférer : c’est crucial », précise Mme Crêpy.

Les entreprises joueront un rôle névralgique dans le passage à l’économie circulaire. De ce côté, la partie n’est pas gagnée d’avance. « On note une grande hétérogénéité entre les différents secteurs d’activité, parce qu’il existe des différences significatives dans les avantages économiques qu’ils peuvent en tirer », souligne Mme Wang. Par exemple, ceux qui utilisent des métaux précieux ou rares voient plus d’intérêt à les recycler. Selon elle, il faudra jouer à la fois de la carotte et du bâton pour amener les industriels à adopter des approches d’économie circulaire.


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Jocelyn Blériot soutient quant à lui que cet encadrement devra être construit conjointement avec les firmes afin d’en assurer la cohérence. De la même manière, la promotion de l’économie circulaire devrait se faire de façon multi- latérale pour éviter que les réglementations adoptées s’érigent en barrières aux échanges internationaux et provoquent des disputes commerciales.

M. Blériot rappelle que l’ONU a adopté l’économie circulaire dans ses objectifs en matière de développement durable. L’OCDE, la Banque mondiale et le G7 s’y intéressent, alors que le G20 y reste plus imperméable. « Globalement, on commence à voir une dynamique s’enclencher, mais elle doit encore se transformer en actes », conclut-il.


Note

1 « The Circularity Gap Report 2020 – When circularity goes from bad to worse: The power of countries to change the game » (document en ligne), Circle Economy, 2020, 69 pages.