Article publié dans l'édition Hiver 2021 de Gestion

La transition vers l’économie circulaire exigera un grand mouvement de formation et de transfert de connaissances tous azimuts. Un défi de taille en raison de l’ampleur des compétences et des savoirs requis pour implanter efficacement cette approche.

L’économie circulaire touche l’ensemble de la chaîne de valeur des entreprises, de l’extraction et de l’acheminement des matières premières jusqu’au recyclage en passant par l’écoconception et par la fabrication. La formation en économie circulaire ne se limite donc pas à créer des cursus qui permettront de l’enseigner.

« Le concept de l’économie circulaire doit trouver sa place dans tous les programmes collégiaux et universitaires, à divers degrés, afin que tous les finissants possèdent des notions dans ce domaine », estime Dominique Dodier, directrice générale d’EnviroCompétences, le comité sectoriel de main- d’œuvre (CSMO) de l’environnement.


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Du côté des travailleurs, le défi est similaire. Le mandat d’EnviroCompétences se limite aux métiers de l’environnement, exercés dans environ 5 000 entreprises et par 70 000 personnes au Québec. « Par conséquent, nous n’avons pas toujours l’effet que nous aimerions avoir sur la formation de la main-d’œuvre dans des secteurs d’activité économique qui relèvent d’autres CSMO », admet Mme Dodier.

Elle rappelle que l’économie circulaire, « c’est ancien et nouveau en même temps ». Des volets comme le recyclage, la valorisation de certains déchets et même l’écoconception existent déjà dans le concept du développement durable et font l’objet de formations. « Cependant, tout est à construire en économie circulaire. De nouveaux métiers émergeront des pratiques qui seront adoptées dans les organisations », croit-elle.

L’adaptation de la logistique

La formation en économie circulaire passe par l’acquisition de compétences techniques et stratégiques dans une foule de domaines. C’est le cas par exemple en gestion des approvisionnements et de la logistique, surtout dans un contexte d’économie mondialisée où l’acheminement des matières premières et recyclées est névralgique.

« Les entreprises font beaucoup de développement de systèmes d’approvisionnement et de logistique présentement, ce qui crée un moment propice à l’introduction de changements comme ceux liés à l’économie circulaire », estime Silvia I. Ponce, professeure agrégée au Département de gestion des opérations et de la logistique de HEC Montréal. « Il faudra toutefois que les gens responsables de ces opérations possèdent les notions pour y arriver », précise-t-elle.

La logistique s’est énormément professionnalisée ces dernières années et s’enseigne généralement dans les écoles de gestion, entre autres. Il existe donc un terrain fertile pour intégrer les connaissances en économie circulaire dans l’enseignement de la conception et de l’optimisation des réseaux logis- tiques, de l’amélioration continue ou encore de diverses stratégies (stratégie des opérations, stratégie fonctionnelle, stratégie des entreprises, gestion des changements, etc.).

« Toute la formation des responsables de l’approvisionnement et de la logistique doit s’imprégner des objectifs et des pratiques de l’économie circulaire, mais c’est un défi planétaire. Ce ne sera donc pas une mince tâche », reconnaît Mme Ponce.

L’écoconception à grande échelle

L’Institut de développement de produits (IDP), à Montréal, se concentre pour sa part sur l’écoconception. Sa formation phare dans ce domaine se nomme Boomerang. « Ceux qui la suivent ont l’occasion d’en apprendre beaucoup sur les bonnes pratiques en écoconception et sur l’intégration de cette approche dans l’ensemble de l’organisation tout en travaillant à un projet concret », explique Benoit Poulin, directeur général de l’IDP.

Les formations aident à comprendre les bienfaits inhérents à la réduction de l’empreinte carbone, à l’utilisation d’une analyse simplifiée du cycle de vie, à l’examen de certaines possibilités (réduction des coûts, choix des matières premières, etc.) et à l’élaboration de stratégies en ce qui a trait à l’innovation responsable.

Les organisations peuvent aussi obtenir un accompagnement personnalisé pour certains projets. « Introduire l’écoconception dans les entreprises est crucial, car cette démarche se situe très en amont de l’économie circulaire, ce qui en décuple les retombées », avance Philippine Loth, chargée de projet à l’IDP.

Les entrepreneurs et les gestionnaires d’entreprise auraient besoin non seulement d’acquérir des compétences en économie circulaire mais surtout d’apprendre à les intégrer à leurs opérations. « Une fois qu’ils ont compris les mécanismes du cycle de vie des ressources, ils cherchent par exemple à savoir comment incorporer cela au modèle d’affaires et aux activités d’une PME qui poursuit des objectifs de croissance et de rentabilité », explique M. Poulin.

La collecte de matériaux

Jean-Philippe Harvey, professeur adjoint spécialisé en métallurgie au Département de génie chimique de Polytechnique Montréal, insiste quant à lui sur la nécessité d’améliorer les compétences en désassemblage. « Ce sera un élément très important pour l’économie circulaire, prévient-il. Prenons par exemple l’aluminium utilisé dans les camions. Avons-nous pensé à une manière optimale de démonter ces véhicules et de recueillir sélectivement les matériaux dont ils sont composés ? Ces approches restent à élaborer. »

Selon M. Harvey, ce type d’avancée au Québec repose sur une bonne collaboration entre les universités et les cégeps. « Beaucoup de nouveaux procédés sont inventés dans les universités, mais ce sont souvent les cégeps qui forment ceux qui les emploieront dans les entreprises. Nous devons donc progresser de concert », note-t-il.

Son collègue Fabiano Armellini, professeur agrégé au Département de mathématiques et de génie industriel de Polytechnique Montréal, rappelle pour sa part que son établissement a déjà inclus des notions de développement durable dans tous ses cours. Cette école offre aussi un microprogramme en économie circulaire ainsi qu’une option dans ce domaine dans son DESS en développement durable et dans sa maîtrise modulaire en génie industriel. « Les étudiants sont très intéressés à intégrer ces notions à leurs pratiques, juge-t-il. Cependant, le degré de compréhension est beaucoup moins élevé dans les entreprises. Il y a un fort besoin de transfert de connaissances vers ces organisations. »

Les modèles d’affaires

Cette transmission du savoir est d’autant plus capitale que l’économie circulaire pourrait carrément bouleverser les modèles d’affaires. « Une entreprise qui souhaite se tourner vers l’économie de partage ou vers l’économie de fonctionnalité doit complètement revoir ses stratégies et son fonctionnement », illustre Daniel Normandin, ex-directeur exécutif de l’Institut de l’environnement, du développement durable et de l’économie circulaire et maintenant directeur du Centre d’études et de recherche intersectorielles en économie circulaire (CERIEC). En vertu de ces approches, l’entreprise demeure propriétaire de ses produits et en commercialise l’usage.

Cela exige qu’un produit ou un bien donné soit conçu pour être plus durable, plus robuste et facilement réparable. L’entreprise perçoit ses revenus différemment, soit à l’usage ou par abonnement plutôt qu’à la vente de ses produits ou de ses biens. Elle peut aussi affronter des obstacles sur le plan du financement. En effet, les banques et les investisseurs restent peu familiarisés avec ce type de modèle d’affaires. « C’est une approche intéressante puisque la chaîne de valeur devient une boucle de valeur, souligne M. Normandin. Toutefois, ça exige des compétences de plusieurs types à l’intérieur d’une même entreprise. »

La formation de stratèges

Si les compétences granulaires dans certaines activités précises sont essentielles pour opérer sur le terrain la transition vers l’économie circulaire, il est également crucial de former des gens qui développent des visions plus larges et qui peuvent déployer des stratégies à grande échelle.

Jean-François Comeau, directeur adjoint du Centre universitaire de formation en environnement et développement durable (CUFE) de l’Université de Sherbrooke (UdeS), distingue trois niveaux d’implantation de l’économie circulaire : l’organisation, la filière industrielle et le territoire.


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Le cheminement en économie circulaire à la maîtrise en environnement de l’UdeS vise justement à former des professionnels capables de mobiliser et de coordonner les acteurs au sein de divers territoires afin de nouer des partenariats industriels et de créer des espaces de collaboration. Cette formation est dispensée à partir de cas concrets proposés par des organisations qui planchent sur des projets précis. Plusieurs finissants travaillent ensuite pour des MRC ou pour des municipalités afin d’établir et de développer des synergies entre les entreprises et les organisations d’un même territoire.

« Il n’existe pas de recette toute faite, prévient M. Comeau. Nous devons armer les gens d’une bonne capacité de réflexion, d’analyse et d’adaptation afin qu’ils arrivent à saisir les occasions favorables et à implanter l’économie circulaire dans des contextes très hétérogènes. »