Article publié dans l'édition Hiver 2022 de Gestion 

La crise sanitaire a tout chamboulé sur son passage, y compris le fonctionnement des organisations. Or, si nombre d’entre elles ont réussi à traverser la tempête, c’est parce que leur capital humain a su faire preuve d’adaptation et de flexibilité. Comment ces nouvelles qualités transformeront-elles nos cultures organisationnelles à l’avenir?

Les principes au cœur du fonctionnement de l’entreprise moderne hérités des théories de la gestion de l’ère industrielle ont peu changé au cours des dernières années, et ce, malgré l’évolution fulgurante des marchés, des technologies et de l’économie mondiale. Or, force est de constater qu’aujourd’hui, la survie des organisations ne peut plus reposer sur ces principes immuables. La recherche de flexibilité, d’expérimentation, d’adaptabilité et de vitesse d’exécution est dorénavant nécessaire et repose sur la place centrale qu’occupe l’être humain au sein de l’organisation. Il est le principal facteur de succès devant la complexité de l’environnement d’affaires actuel, et l’expérience des derniers mois l’a particulièrement bien démontré.

Dossier Dirigerez-vous autrement en 2022?

En effet, la pandémie a provoqué une véritable onde de choc dans toutes les organisations. La grande majorité d’entre elles se sont adaptées, notamment en réussissant à éliminer les vases clos et en faisant preuve d’une grande flexibilité. Parallèlement, les individus se sont montrés solidaires et ont accepté les adaptations – voire les contorsions – nécessaires pour accomplir leurs tâches afin de garantir le maintien des opérations. À plusieurs reprises, les personnes et les talents ont donc prévalu sur les postes et sur les structures.

Voici quatre observations sur certains acquis réalisés pendant la crise, des capacités que les entreprises auraient tout intérêt à pérenniser.

1. L’émergence de leaders au quotidien

Habituellement, en temps de crise, le pouvoir décisionnel est concentré entre les mains d’un groupe restreint de personnes au sommet de l’organisation. La capacité de prendre des décisions rapidement s’en trouve donc améliorée, du moins en théorie. Cependant, lorsqu’on omet de consulter les gens qui vivent la réalité des opérations, ces décisions peuvent parfois souffrir d’un manque de pertinence et de contextualisation.

Au début de la pandémie de COVID-19, on a pu constater que les organisations, les directions et les unités qui ont réussi à relever les défis sont celles où de nouveaux leaders sont apparus. Ces individus ont su agir avec discernement et de façon constructive malgré l’ambiguïté et l’incertitude, ce qui a permis de réorienter les efforts et de mobiliser les équipes, et ce, alors même que les directions n’avaient pas encore pu se recentrer ni proposer de nouvelles façons de faire.

Toute la question consiste ici à bien distinguer ceux qui ont pris les choses en main de leur propre initiative. Certains ont été des créateurs de sens dans la tourmente et sont devenus les gardiens des objectifs organisationnels. D’autres se sont plutôt investis dans le rapprochement des individus malgré les contraintes du télétravail, par exemple dans l’introduction de mécanismes de collaboration temporaires et dans le bien-être de leurs collègues.

Lorsque le contexte est difficile, chacun réagit avec les moyens dont il dispose et en fonction de ses responsabilités. La direction se concentre sur la recherche de repères stratégiques et sur la structuration efficace de la prise de décisions. Un leadership émergent a ainsi été rendu possible au sein des équipes où régnait déjà un climat de responsabilisation et d’autonomisation.

2. Les vertus des structures

Après une phase d’adaptation, on est passé à l’étape de l’ajustement et de la normalisation des nouveaux processus. Au fil des mois, les gestionnaires et les dirigeants ont retrouvé leurs repères et ont recréé certaines routines, ce qui a permis de remettre à l’ordre du jour un système bureaucratique plus cloisonné, cette fois-ci selon une formule virtuelle. En effet, si on demande aux gestionnaires de reprendre le contrôle des activités, il y a fort à parier qu’ils vont du même coup commencer à rebâtir une structure.

Ainsi, plus le temps a passé, plus les directions ont repris de l’assurance et plus les cadres intermédiaires ont mis en œuvre des procédures virtuelles. Parallèlement, les employés ont compris qu’on courait davantage un marathon qu’un sprint. La solidarité spontanée et la collaboration émergente ont buté de nouveau sur une forme de structure organisationnelle. Afin de rétablir les canaux de communication et de concilier les attentes interfonctions et interhiérarchie, on a graduellement adapté les structures au mode de travail virtuel. Les courriels sont devenus les maîtres des communications centralisées, les rencontres statutaires et régulières permettant d’assurer la compréhension et le dialogue.

En fait, les structures organisationnelles sont rassurantes : non seulement elles donnent l’impression de pouvoir contrôler la situation, mais elles permettent aussi d’organiser le quotidien en revenant à des modèles qui fonctionnaient auparavant. Grâce à une planification et à une orchestration rigoureuse, plusieurs organisations ont réussi à allier la sécurité et la stabilité de la structure à la spontanéité contextuelle ainsi qu’à l’humanisation des équipes et des leaders émergents.

3. L’animal social

Au cours des derniers mois, le fameux axiome aristotélicien selon lequel l’être humain est un animal social a souvent été répété. Quoique notre compréhension contemporaine de cet adage soit davantage axée sur la psychologie que sur sa signification initiale, centrée sur le politique, elle semble marquer une phase importante de la crise actuelle.

Ainsi, on a pu constater à quel point les relations sociales au travail sont essentielles au maintien d’une bonne santé psychologique. Même si plusieurs ont été tentés par l’option des cinq à sept virtuels, on a rapidement dû se rendre à l’évidence : cela ne peut en aucun cas se comparer à la richesse d’une vie sociale de tous les instants ni aux rencontres en chair et en os.

Cependant, il faut aussi retenir que l’animal social a généralement tendance à se définir par rapport à ses pairs, qu’il le fasse consciemment ou non. Un bon exemple est la comparaison salariale. Dans la crise actuelle, le manque d’interactions quotidiennes en dehors des visioconférences formelles a fait en sorte que les individus n’ont pas pu comparer leur situation avec celle des autres en raison du manque d’information. Cela a entraîné plusieurs conséquences, notamment, en premier lieu, un sentiment d’isolement et l’impression de vivre quelque chose d’unique à soi. Il est dès lors devenu plus difficile de faire preuve de solidarité, d’engagement, voire d’empathie.

Deuxièmement, les employés les plus performants ont disposé de moins d’indicateurs pour savoir où ils se situaient sur l’échelle de la productivité. Dans nos travaux en cours, nous avons observé que les employés les plus engagés et les plus performants sont également ceux qui se sont rapidement épuisés pendant la pandémie. Il est possible qu’en ne sachant plus vraiment ce qu’on espérait de leur part, ils se soient éreintés à dépasser les attentes. Enfin, autre répercussion non négligeable, la pression sociale s’est faite moins forte pour contenir les comportements inacceptables ou pour rappeler à l’ordre ceux dont les performances étaient exceptionnellement basses.

4. La synchronisation et bien au-delà

Avec le retour à une relative normalité, comment ne pas perdre les apprentissages réalisés pendant la crise? Par ailleurs, de quelle façon pourrons-nous maintenir une certaine flexibilité dans la régularisation des nouveaux processus de travail selon une formule hybride ? Autrement dit, comment demeurer agile et collaboratif et ne pas céder à notre propension naturelle à rigidifier l’ensemble de l’organisation du travail?

Il est possible qu’on assiste à une forme de surprocédurisation, puisqu’il faudra synchroniser les efforts des employés œuvrant à distance avec ceux qui travailleront sur place, et ce, lors des mêmes réunions et activités. Néanmoins, des entreprises pourraient aussi continuer à miser sur les capacités et sur les habiletés développées durant la crise sanitaire en misant sur la collaboration, sur la solidarité, et en nourrissant le leadership informel émergent.

Concrètement, il y aura sans doute autant de réponses à ces questions que de contextes. Mais une chose est sûre : plus on sera capable de comprendre les défis complexes liés aux environnements changeants, plus on sera en mesure de cartographier et d’organiser les nouvelles habiletés qui se sont révélées ces derniers mois.

En ce sens, il sera donc essentiel de dépasser la simple synchronisation de l’organisation du travail selon une formule hybride et d’instaurer des processus collaboratifs centrés sur l’équipe plutôt que sur l’individu.