Article publié dans l'édition printemps 2016 de Gestion

Le développement des ressources humaines, tout particulièrement celui des employés dits à haut potentiel, est crucial pour toute organisation. Mais le secret dans un tel processus ne risque-t-il pas de nuire au climat et aux relations de travail ? Doit-on plutôt privilégier la transparence, au risque de démotiver les autres employés ?

Les entreprises les plus performantes accordent une grande importance au développement de leurs ressources humaines, tout particulièrement les employés désignés par l’expression « hauts potentiels ».

Soucieux d’éviter une perte de savoir qui pourrait être catastrophique pour leur organisation, les comités de direction consacrent du temps à la découverte et, surtout, au développement de la relève. Cette tâche délicate requiert un plan bien structuré, fondé sur les compétences recherchées à des postes supérieurs… Car, on le sait, le meilleur vendeur peut faire un bien piètre directeur des ventes !


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Mais doit-on dire à une personne qu’on mise sur son potentiel ? Doit-on en informer les autres employés ? Les gestionnaires, souvent les premiers concernés, comprennent-ils l’avantage de s’impliquer dans la formation de ceux qui seront peut-être appelés à leur succéder ?

Bien qu’une certaine tendance à la transparence se dessine depuis quelques années, il semble qu’on garde toujours le secret à ce sujet dans la majorité des milieux de travail.

Les avantages de la transparence

Il faut examiner les avantages de la transparence sous trois points de vue : celui de la personne ciblée, celui du gestionnaire et celui de son entourage.

Pour la personne ciblée

L’impact de la guerre des talents qui sévit à l’heure actuelle – et qui prendra de l’ampleur au cours des prochaines années – sur la rétention des hauts potentiels est un des principaux arguments en faveur d’une approche transparente. Si l’employé est convaincu que l’organisation s’emploiera à développer ses compétences et lui ouvrira rapidement des perspectives d’avancement, il fera preuve de loyauté et de fidélité envers elle. Il ne cherchera pas ailleurs et sera moins sensible aux manœuvres de séduction de la concurrence.

Selon le Center for Creative Leadership1, 33 % des hauts potentiels qui ignorent leur statut au sein de l’organisation se cherchent un nouvel emploi, comparativement à seulement 14 % de ceux qui en sont informés.

La transparence peut aussi favoriser l’attraction de hauts potentiels. Selon la firme californienne de recrutement de cadres dirigeants Korn Ferry, 97 % des personnes dotées d’un tel profil recherchent un employeur qui offre un programme de développement.

La performance des hauts potentiels peut aussi être influencée par un programme de développement. En effet, l’attention particulière dont ils jouissent et les défis qui leur sont présentés les pousseront fort probablement à se surpasser.

Pour le gestionnaire

L’adhésion du gestionnaire est essentielle à la réussite du plan de relève. S’il se sent menacé dans sa fonction ou si on lui impose un choix qui n’a pas obtenu son aval, il risque, au mieux, de ne pas s’impliquer et, au pire, de faire obstacle à la bonne marche du développement professionnel de la personne ciblée. Il doit donc être consulté dans tout le processus de découverte et de formation de cet employé à haut potentiel.

Le gestionnaire impliqué à part entière se sent en sécurité tout au long de ce processus. La transparence, à laquelle il contribuera grâce à une communication à tous les niveaux, constituera un avantage certain pour l’organisation et pour lui-même. Bien préparé, il assumera de bonne grâce le rôle de coach auprès de cet employé à haut potentiel.

Pour l’entourage

Les réactions de l’entourage de la personne à haut potentiel requièrent une approche nuancée et diligente. Même si la majorité des personnes recherchent un milieu de travail où on reconnaît les talents et où on favorise le développement des ressources humaines, un sentiment d’iniquité peut aisément s’installer si la communication est défaillante.

Pour éviter tout dérapage potentiel, il faudra présenter la situation en termes clairs et démontrer que le choix des hauts potentiels est fondé sur des critères objectifs de performance et de conformité avec les valeurs et les attentes organisationnelles.

Les risques liés à la transparence

Les détracteurs de la transparence évoquent ceci comme principal argument : puisque les hauts potentiels représentent environ 15 % des employés, il est préférable de garder le secret afin de préserver la motivation des 85 % restants.

De plus, ils croient qu’il est presque impossible de faire preuve de transparence sans susciter, chez les autres employés, de la frustration, de la démobilisation ou un sentiment d’iniquité, ce qui peut même aller jusqu’à la perte de certains éléments performants.

Les personnes concernées représentent aussi un risque pour la bonne marche d’un programme de développement des hauts potentiels. La qualité de la communication sera déterminante pour elles. Il faut à tout prix éviter de créer des attentes irréalistes et accompagner ces employés tout au long de leur cheminement.

C’est là une facette cruciale du rôle du gestionnaire. Il doit s’assurer de communiquer avec les dirigeants à toutes les étapes du plan de relève ainsi qu’avec tous ses employés pour les tenir au courant, sans cachotteries, des changements futurs au sein de l’organisation.


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Profiter des avantages sans les risques

La première chose dont il faut s’assurer pour éviter des inconvénients comme la démobilisation des employés non retenus à titre de hauts performants, c’est de mener le processus de découverte et de sélection des hauts potentiels de façon objective.

Il ne doit subsister aucun doute quant à l’équité de la démarche. Pour ce faire, les critères doivent être clairs, concrets et expliqués à l’ensemble des employés, de telle sorte que chacun sera en mesure de bien se situer dans l’évaluation proposée. Si le programme offre en outre des possibilités de développement à tous les membres du personnel en fonction de leur potentiel, chacun y trouvera une source de motivation qui se traduira par un meilleur rendement.

Des pratiques de reconnaissance destinées à tout le personnel nourriront aussi les sentiments d’équité, d’appartenance et d’importance qui régneront au sein des équipes de travail.

Du côté des personnes à haut potentiel, la gestion du programme de développement requiert autant de doigté et de prudence. Les fausses promesses et les attentes irréalistes peuvent contaminer le processus et le faire échouer. L’organisation décide d’investir temps, énergie et argent dans une personne qui, en retour, doit s’engager à exploiter le mieux possible son potentiel et à le faire fructifier pour l’organisation.

Pour sa part, le gestionnaire suivra presque au quotidien l’évolution de l’employé à haut potentiel. Il lui incombera de rappeler que le plan a une durée limitée et qu’une évaluation continue sera effectuée de manière à ajuster le processus lors des prochaines étapes. Il devra faire preuve de courage et d’honnêteté pour souligner tant les bons coups que les moins bons.

Ici encore, la communication entre les partenaires en présence est cruciale. Elle doit être constante et franche. L’employé doit comprendre que sa progression est conditionnelle à son développement et à ses performances, d’où l’importance pour lui d’être pleinement conscient de sa responsabilité dans le processus. Certaines organisations demandent même un consentement écrit aux personnes sélectionnées pour participer au programme de développement.

Enfin, la transparence accentue la pression non seulement sur l’employé à haut potentiel mais également sur l’organisation, qui doit manifester de façon concrète le gain que représentent les efforts consentis par l’individu. Même si le développement constitue le but premier d’un programme de développement des hauts potentiels, l’organisation a intérêt à leur offrir concrètement des chances de progression, que ce soit au moyen de l’enrichissement des tâches ou d’une promotion. Autrement, elle risque de souffrir de démobilisation et de subir une perte de crédibilité.

Après avoir exploré les facteurs qui influencent la mise en œuvre d’un programme de développement des hauts potentiels, il apparaît que la transparence s’avère plus favorable au succès de cette démarche et au bon rendement de l’investissement que le secret.

Toutefois, la vigilance est de mise tout au long du processus afin d’instaurer un climat de confiance en établissant des critères de sélection objectifs et des attentes réalistes, et ce, en s’assurant de l’engagement de la direction et des gestionnaires envers le développement des talents et en adoptant des pratiques de reconnaissance pour tous.

Si tous ces éléments sont réunis, l’organisation a de bonnes chances de réaliser son programme de développement des hauts potentiels à son profit et au bénéfice de ses employés les plus performants.


Note

1. Campbell, M., et Smith, R., High-potential Talent – A View from Inside the Leadership Pipeline, Center for Creative Leadership, 2014.