Article publié dans l'édition Été 2017 de Gestion

Ce n’est un secret pour personne : les arts et la culture sont le parent pauvre de la philanthropie. Selon un récent sondage1, on estime que ce secteur recueille seulement 5 % des dons des Québécois, comparativement à 56 % dans le domaine de la santé, 39 % pour l’enfance et la jeunesse et 2 % pour la lutte contre la pauvreté. Pourtant, le milieu des affaires se mobilise plus que jamais afin de soutenir artistes, manifestations culturelles et institutions diverses dans ce milieu. Aperçu de ce qui motive de généreuses contributions.

C’est leur passion pour les arts qui incite bien des gens d’affaires à dénouer les cordons de leur bourse. Par exemple, le milliardaire français François Pinault, fondateur du groupe Kering (autrefois PPR), est un grand amateur d’art moderne et possède environ 3 500 œuvres. Pour en faire profiter ses contemporains, il a acquis et fait rénover à grands frais le Palazzo Grassi et le musée de la Pointe de la Douane à Venise. En 2018, l’antenne française de sa fondation ouvrira ses portes à la Bourse du commerce à Paris. Les coûts des travaux, évalués à 100 millions d’euros, seront entièrement assumés par François Pinault.

Fondation Louis Vuitton

La Fondation Louis Vuitton à Paris.

Un autre magnat des affaires français, Bernard Arnault, à la tête du groupe LVMH, a pour sa part créé la Fondation d’entreprise Louis Vuitton. La construction du bâtiment ultramoderne qui abrite cette fondation à Paris a nécessité un investissement de plusieurs centaines de millions d’euros. On y a notamment aménagé un musée consacré à l’art contemporain et un auditorium.

Bien que plus modestes, les contributions des philanthropes québécois sont elles aussi fort généreuses. Pierre Bourgie, grand mécène féru d’arts visuels et de musique classique, est le principal donateur du pavillon d’art québécois et canadien Bourgie du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) et de la salle Bourgie, une salle de concert située dans l’église Erskine and American, à Montréal, qui a été entièrement restaurée. M. Bourgie est également l’instigateur de la Fondation Arte Musica.

Pour sa part, l’homme d’affaires et mécène Pierre Lassonde a généreusement soutenu le Musée national des beaux-arts du Québec. Son don de 10 millions de dollars a permis d’acquérir un site et d’y ériger un nouveau pavillon consacré à l’art contemporain. Ouvert en 2016, cet édifice porte son nom.


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L’art, ça fait du bien

L’ancien éditeur Michel de la Chenelière voue lui aussi une grande passion à l’art. Résidant près du MBAM, il en est un habitué. « C’est un endroit fabuleux. Aussi, quand la directrice du musée, Nathalie Bondil, m’a parlé de son projet éducatif, j’ai décidé d’y participer. Elle ne pensait pas me demander une contribution, car habituellement, les éditeurs sont pauvres ! Mais je suis allé rencontrer mon homme de finances et nous avons trouvé un moyen… », raconte M. de la Chenelière.

Quelques années plus tard, lors de la construction du pavillon pour la Paix du MBAM, le mécène a une fois de plus donné avec générosité ; ses dons totalisent aujourd’hui la somme de cinq millions de dollars. Aujourd’hui, l’Atelier international d’éducation et d’art-thérapie Michel de la Chenelière accueille 300 000 visiteurs par an. Personnes âgées, familles, écoliers, immigrants : tous sont les bienvenus. « Je suis convaincu que l’art fait du bien, tant à l’âme qu’au corps. De nombreuses recherches en ont démontré les bienfaits. On a aussi prouvé que les enfants en contact avec l’art au primaire affichent un taux de décrochage de seulement 4 %, alors que ce taux s’élève en moyenne à 22 % », dit M. de la Chenelière, qui souligne que c’est là une autre preuve qu’il faut encourager la culture.

Pavillon Pierre Lassonde du Musée national des beaux-arts du Québec

Le pavillon Pierre Lassonde du Musée national des beaux-arts du Québec

Mais la philanthropie ne passe pas uniquement par de l’argent sonnant et trébuchant. Ainsi, l’avocat et ancien ministre de la Justice Marc Bellemare donne depuis une dizaine d’années des œuvres d’art au Musée national des beaux-arts de Québec. Féru des artistes du groupe des automatistes et des plasticiens, il a cédé une trentaine de toiles et de sculptures à l’institution, notamment des œuvres de Jean-Paul Riopelle, Betty Goodwin et Fernand Leduc. « Il faut aider les musées, car ils ne disposent plus toujours de budgets d’acquisition et ne peuvent compter que sur les dons. Ce sont les gardiens de notre patrimoine », affirme-t-il. Si Marc Bellemare reconnaît que la philanthropie culturelle est aussi motivée par les avantages fiscaux qui en découlent – « Il ne faut pas être naïf ! », affirme-t-il –, il reste que le don d’œuvres contribue à enrichir les collections des musées, ce qui profite au plus grand nombre.

Des entreprises mobilisées

Québecor a choisi de concentrer ses activités philanthropiques dans le rayonnement et le développement de la culture québécoise, explique sa vice-présidente philanthropie et commandites, Sylvie Cordeau. En 2015, 22 millions de dollars ont été consacrés à cette mission, soit plus de la moitié des contributions de l’entreprise, qui soutient une centaine d’activités, d’institutionset d’organismes culturels où cinéma, danse, théâtre, musique et chanson, littérature et arts visuels sont à l’honneur.

À lui seul, le projet Éléphant, une initiative de Pierre Karl Péladeau, grand amateur de cinéma, a nécessité plusieurs millions de dollars. Il vise à restaurer le patrimoine cinématographique québécois et à le rendre accessible à tous par l’entremise d’Illico et d’iTunes. « Actuellement, plus de 200 films ont été restaurés et numérisés. Cela a nécessité un énorme travail, beaucoup d’entre eux étant en mauvais état », indique Mme Cordeau. Éléphant verse la totalité des revenus provenant de la diffusion des films aux détenteurs de droits et aux créateurs du cinéma québécois, à l’exception d’un petit montant destiné à couvrir une partie des frais d’exploitation de la plateforme.

« Le milieu artistique et culturel est notre environnement naturel et nous sommes très fiers de ce qui se fait ici. C’est ancré dans notre culture d’entreprise et inscrit dans notre ADN. C’est pourquoi nous voulons contribuer à faire découvrir les talents et participer à la pérennité de la culture québécoise », fait valoir Sylvie Cordeau.


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Un PDG féru d’art et d’histoire

Le musée d'archéologie Pointe-à-Callière

Pointe-à-Callière, musée d'archéologie et d'histoire de Montréal, et sa Maison-des-Marins - pavillon Banque Nationale, à droite.

Dans quelques mois, les automobilistes qui emprunteront l’autoroute 20 entre l’échangeur Saint-Pierre et l’aéroport Trudeau, à Montréal, pourront longer l’œuvre Bleu de Bleu sur une distance de six kilomètres. Ce projet d’art urbain réalisé par l’artiste Alain Paiement a été largement soutenu par la Banque Nationale et son président et chef de la direction, Louis Vachon. L’institution financière a également contribué à raison d’un million de dollars sur cinq ans.

Passionné d’histoire, M. Vachon a aussi assuré la coprésidence de la campagne de financement destinée à la Fondation Pointe-à-Callière, alors que la Banque Nationale a versé un don de un million de dollars sur 10 ans.

Une somme de 750 000 $ sur cinq ans a également permis la mise sur pied d’un laboratoire de création numérique destiné aux adolescents de 13 à 17 ans dans les locaux de la Grande Bibliothèque, à Montréal. Imprimante 3D, réalité virtuelle, production audio et vidéo, soutien de formateurs : tout est prévu pour stimuler la fibre créative des jeunes.

Ces initiatives orientées vers les arts, la culture et l’histoire ne sont pas uniques, car la Banque Nationale est très active et soutient de nombreuses causes. D’ailleurs, M. Vachon ne voit pas ces contributions comme de la philanthropie mais plutôt comme un investissement. « La culture constitue un véritable pôle de développement socioéconomique. Les deux sont intimement liés », assure-t-il.

Un avis que partage Sébastien Barangé, cofondateur de la Brigade Arts Affaires Montréal, un organisme qui favorise l’implication de la relève d’affaires en philanthropie culturelle. « Les arts et la culture font partie des attraits de Montréal et lui permettent de rayonner en dehors du Québec. Cette vitalité peut susciter un intérêt à l’international et générer des occasions d’affaires », estime-t-il. Donnez et il vous sera rendu au centuple…


Note

1 Étude sur les tendances en philanthropie au Québec en 2017. Sondage mené par Léger Marketing pour le compte de la firme d’experts-conseils en collectes de fonds Épisode. Questionnaire en ligne diffusé du 25 juillet au 14 août 2016 auprès de 2 500 Canadiens âgés de 16 ans et plus, dont 1 500 Québécois.