Article publié dans l'édition Été 2019 de Gestion

L’analyse du fonctionnement des grands groupes de l’industrie du luxe nous a fait découvrir la manière dont ils créent de la valeur pour leurs marques. L’écosystème qui en résulte permet à ces marques de bénéficier d’un avantage de confrérie qui peut s’avérer utile à d’autres organisations.

La question que nous posons à cette dernière étape de notre examen est la suivante : des organisations actives dans d’autres marchés – par exemple les grandes entreprises diversifiées, les grands fonds d’investissement spécialisés en placements privés (private equity) et même les PME – peuvent-elles tirer des enseignements de l’industrie du luxe et les appliquer à leur propre fonctionnement ?

Les grandes organisations diversifiées : l'exemple de Citizen

Les grandes entreprises peuvent être composées d’unités d’affaires liées ou non liées entre elles. Or, à l’instar des marques d’un grand groupe de l’industrie du luxe, ces unités, quel que soit leur statut, doivent être traitées comme des entités qui contribuent à la création de valeur pour l’entreprise mère. Ainsi, lorsque celle-ci acquiert et intègre une nouvelle unité d’affaires – une marque – ou crée une unité d’affaires de toute pièce, elle doit s’assurer que sa relation avec cette unité corresponde à la fois, d’une part, aux besoins de celle-ci en matière d’intégration à l’organisation et, d’autre part, au degré de maturité qu’elle a acquis dans son marché. C’est de cette façon que la grande organisation diversifiée parvient à optimiser la création de valeur : un avantage parental décisif lui permet de jouer divers rôles nourriciers adaptés à ses unités d’affaires.

En saisissant bien ces paramètres, l’entreprise mère peut :

  1. Faire le point sur les ressources et sur les compétences disponibles dans chacune de ses unités d’affaires;
  2. Les organiser autour d’un cœur de métiers afin d’obtenir un avantage de confrérie ;
  3. Créer de la valeur.

Pour y parvenir, l’entreprise doit aménager des lieux et des canaux de communication et d’échange afin que ses unités d’affaires apprennent à se connaître pour mieux collaborer, le tout dans un souci d’efficience accrue.

Citizen, une grande entreprise japonaise connue dans le monde entier d’abord et avant tout pour ses produits d’horlogerie, illustre bien l’importance, pour une grande organisation, de disposer d’un cœur de métiers. Citizen a un chiffre d’affaires annuel qui totalise plus de trois milliards $ US et possède 113 filiales dans 130 pays. L’horlogerie représente 52 % de ses revenus, mais on sait aussi que 60 % de ses bénéfices nets proviennent de la vente d’équipement divers : machines-outils, instruments de haute précision, composants de tout type, produits électroniques, etc.

Un examen plus attentif de cette organisation nous fait découvrir le fil conducteur de toutes ses activités : la précision et la miniaturisation. C’est là son cœur de métiers. Dans sa volonté de perfectionner son produit phare, l’horlogerie, Citizen a développé des techniques de pointe destinées à miniaturiser les composants de ses instruments et à les rendre plus précis. Elle a donc créé une division d’instruments et d’outils de miniaturisation et de précision, une nouvelle expertise qu’elle a offerte sur le marché à un moment où, dans les années 1960 et au début des années 1970, le secteur de l’horlogerie connaissait une période de ralentissement et où Citizen avait besoin de diversifier ses activités. Plus récemment, Citizen a recentré sa stratégie sur ses activités d’horlogerie en se portant acquéreur d’entreprises suisses afin d’étendre son offre de produits à tous les segments de prix grâce à une approche multimarques. Ces acquisitions ont également permis à Citizen de mettre la main sur des technologies suisses de mécanisation pour les transférer au Japon afin d’étoffer et de renforcer son cœur de métiers.


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Les fonds d’investissement spécialisés en placements privés

Les fonds d’investissement spécialisés en placements privés (private equity) constituent un cas intéressant. En effet, ces organisations présentent beaucoup de similitudes avec les grands groupes de l’industrie des produits de luxe : elles possèdent un éventail de compétences et de ressources bien définies et généralement organisées autour d’un cœur de métiers particulier.

Ainsi, les gestionnaires d’un de ces fonds d’investissement vont cibler des entreprises à acquérir en fonction des ressources et des compétences de celles-ci et, partant, de leur capacité à ajouter de la valeur au fonds lui-même. Tout à fait transparente, cette logique justifie à elle seule le choix d’une entreprise ; si on la pousse à sa limite, elle permet au fonds d’élargir son registre de ressources et de compétences en les incorporant à celles des autres entreprises sous sa gouverne. En jumelant des entreprises ou en recourant à des programmes de mentorat, le fonds peut produire un avantage de confrérie et créer de la valeur.

Par ailleurs, il peut être particulièrement intéressant, pour un fonds qui achète, redresse puis revend des entreprises, de parfaire son expertise autour d’un nombre restreint de cœurs de métiers afin de les renouveler. Ainsi, ce fonds peut non seulement rassembler les entreprises par cœur de métiers mais aussi les réunir dans le but d’obtenir un avantage de confrérie en jumelant les marques. Ce processus de restructuration lui permet donc d’optimiser à la fois l’acquisition de savoir-faire et la création de valeur.


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Qu’en est-il dans les PME ?

Pour faire face aux défis posés par leur croissance, les PME font souvent appel à des services externes (experts-conseils, fournisseurs, sous-traitants) parfois très coûteux. Plutôt que de recourir systématiquement à ces services, les dirigeants de PME pourraient s’inspirer des grands groupes de l’industrie du luxe et acquérir le réflexe de regarder d’abord dans leur propre cour.

Les ressources et les compétences internes d’une PME évoluent au rythme de son expansion, mais il convient d’abord d’en dresser un inventaire exhaustif avant d’avoir recours à des consultants et à des fournisseurs externes, car ces compétences et ces ressources sont souvent méconnues, voire carrément insoupçonnées. En favorisant le rapprochement entre leurs divers services et unités administratives, les PME feraient d’une pierre deux coups : 1- elles répondraient à un besoin ou combleraient une lacune tout en réduisant leurs coûts ; 2- elles acquerraient un avantage de confrérie indéniable.

En définitive, des PME de même envergure ou d’importance similaire pourraient bénéficier d’un avantage de confrérie « bonifié » en se regroupant dans un réseau où un bassin de ressources, de compétences et d’expériences serait mis à la disposition de tous les membres du réseau dans une perspective d’échange de bons procédés. En cela, elles se comporteraient tout à fait comme les marques d’un grand groupe de l’industrie du luxe, où les « grandes sœurs » accompagnent les « cadettes », chacune préservant son identité et son marché propres.