Article publié dans l'édition Hiver 2022 de Gestion

Après avoir mené des consultations auprès de nombreux acteurs de la chaîne d’innovation, le ministère de l’Économie et de l’Innovation (MÉI) définira prochainement ce qui constituera la Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation (SQRI) pour la période 2022-2026.

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Hugues Delmaire est directeur valorisation et transferts au Groupe d’études et de recherche en analyse des décisions (GERAD).

Mieux comprendre le cadre compétitif actuel

Avant d’en arriver à une stratégie en bonne et due forme, il importe de bien cerner les enjeux liés à la recherche et à l’innovation (R-I). Premier constat effectué par le GERAD1: la R-I n’est pas une compétition bon enfant entre des pays d’un bloc politique homogène luttant pour des parts de marché futures. S’ajoutent aujourd’hui des joueurs de blocs géopolitiques concurrents ainsi que des acteurs privés bien plus puissants que de nombreux États. Chez ces nouveaux joueurs, les motivations, les objectifs et les obligations varient grandement. Par conséquent, c’est dans ce contexte bien précis qu’une analyse stratégique de nos efforts en R-I doit être réalisée.

La nature de cet environnement compétitif soulève plusieurs questions. Comment se positionner face à des acteurs économiques qui disposent de moyens sans commune mesure par rapport aux nôtres? Est-il raisonnable de les laisser ouvrir ici des bureaux de recherche qui leur permettent de bénéficier des généreuses subventions offertes par nos gouvernements?

Quelles activités doit-on maintenir à tout prix afin d’éviter la rupture de chaînes d’approvisionnement en temps de crise? Tout ça sans oublier, bien entendu, les questions liées à l’exploitation optimale de nos ressources naturelles ou encore les liens entre les applications civiles et militaires de certains projets dans un contexte géopolitique instable et au moment où le climat planétaire connaît des bouleversements sans précédent. Ces questions posent les bases d’une réflexion nécessaire sur la notion de R-I ouverte telle qu’elle est pratiquée depuis de nombreuses années.

Une démarche cruciale

La définition d’un plan stratégique clair qui tienne compte de nos défis économiques et géopolitiques constitue une première étape pour bâtir la future SQRI et pour reconnaître les axes de recherche à encourager, les secteurs industriels à privilégier et les débouchés à prioriser. Tout au long de ce processus, nous ne devrons pas perdre de vue que la recherche fondamentale reste le pilier de la prospérité de demain : l’intégration harmonieuse de l’innovation et de la recherche fondamentale et industrielle conditionnera notre réussite.

D’un point de vue opérationnel, la complexité administrative des programmes de financement constitue le premier défi à relever. Ainsi, pour le GERAD par exemple, le financement potentiel peut provenir de nombreuses sources : Fonds québécois de la recherche sur la nature et les technologies (FRQNT), universités, neuf regroupements sectoriels de recherche industrielle du Québec (RSRI), Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), organismes associés à des programmes ponctuels (IVADO, ScaleAI), etc. Chaque entité a ses propres processus administratifs et ses organes décisionnels distincts. Est-il donc raisonnable de multiplier les structures et les coûts administratifs liés au financement de la recherche?

Cette réalité crée un environnement opérationnel fragile et accentue la précarité d’emploi pour les professionnels associés à nos centres de recherche. Combinée à une faible compétitivité salariale et à l’absence de parcours professionnel clair, la rétention des talents devient difficile.

Des initiatives structurantes à favoriser

La rationalisation du financement de la R-I est donc une priorité. Nous devons tenter d’éliminer certaines couches administratives intermédiaires et réorienter des budgets vers de grands centres thématiques. En affectant les ressources là où la recherche se fait, c’est-à-dire à la jonction de l’innovation, de la recherche fondamentale et des applications industrielles, nous nous donnerions les moyens de nos ambitions.

Il faut se rappeler que les chercheurs universitaires ne sont ni des consultants ni des innovateurs de profession. La création d’équipes de soutien dans les centres de recherche permettrait d’accroître la portée du travail de chaque chercheur. La mise en œuvre d’une politique salariale et de gestion de carrière compétitive permettrait donc d’attirer et de retenir de nombreux professionnels. De cette manière, l’effet sur le lancement de projets intersectoriels et transversaux créateurs de richesse sociétale serait rapidement perceptible.

En ce qui a trait à l’innovation et à l’entrepreneuriat, les institutions universitaires font des efforts de stimulation louables. Cependant, peu de liens existent entre ces initiatives et nos centres, qui devraient pourtant en être un maillon important. Il y a donc de la place pour la création d’une chaîne de l’innovation en révisant les modes d’intégration de la R-I et de l’entrepreneuriat au sein de nos institutions, en instituant des règles favorables à la participation des chercheurs universitaires et en créant une structure d’accompagnement depuis le choix de projets prometteurs jusqu’à leur débouché sur le marché.

Nous devons revaloriser l’image de la R-I en nous efforçant d’attirer et de retenir des talents. Cela passe non seulement par une politique migratoire et salariale harmonieuse mais aussi par la promotion des sciences et de la recherche auprès des plus jeunes générations, de la population en général et de nos entreprises.

Trop peu de jeunes envisagent de poursuivre leurs études au-delà du premier cycle universitaire. En tant que société, nous ne valorisons probablement pas assez ce type de parcours, où le manque d’attractivité financière et les faibles possibilités de développement de carrière sont criants. Pourquoi consacrer autant d’années à étudier dans des conditions précaires si, dans bien des cas, le marché de l’emploi et notre entourage n’accordent pas de valeur tangible et claire à ce cheminement?

Il faudrait donc mieux promouvoir les réussites de nos centres de recherche. De nombreux projets qui y sont réalisés ont des effets bénéfiques sur les institutions universitaires et sur la société. Plusieurs entreprises y sont créées ; d’autres fondent leurs activités de R-D (dont dépend une vaste portion de leur compétitivité) sur leurs relations avec nos chercheurs ; d’autres encore orientent leur recrutement en fonction de la disponibilité de nos diplômés.

L’exercice mené par le MÉI aura des retombées qui iront bien au-delà de nos centres de recherche. En optimisant l’utilisation des ressources disponibles pour favoriser la R-I, nous miserons sur la capacité du Québec à faire partie des sociétés les plus innovantes au monde.


Note

1- Le GERAD est un regroupement stratégique spécialisé dans les sciences de la décision. Appuyé par HEC Montréal, Polytechnique Montréal, l’Université McGill et l’Université du Québec à Montréal, il a participé à ces consultations dans le but de déterminer quelles sont les meilleures pratiques, les solutions les plus novatrices et les avenues les plus porteuses pour favoriser la création de richesse au Québec à partir des activités de recherche et d’innovation.