La gestion et l’utilisation des données recèlent certains pièges dans lesquels il vaut mieux éviter de tomber. Voici les conseils d’Aurélie Labbe et Marc Fredette, deux experts en processus décisionnels de HEC Montréal.

Piège no 1 : Utiliser des données non pertinentes ou de mauvaise qualité

Cela peut sembler évident, mais s’assurer de la qualité des données s’avère parfois plus compliqué que l’on pense. Plusieurs éléments peuvent se conjuguer pour diminuer l’intérêt de certaines informations.

«Une organisation doit bien définir dès le départ quelles données elle juge pertinentes en fonction de ses objectifs et lesquelles ne le sont pas», avance Marc Fredette, professeur titulaire au Département des sciences de la décision de HEC Montréal.

Une fois cette étape franchie, on doit s’attarder à la qualité des sources de données et aux risques de biais de mesure. «En général, on regarde un échantillon de données et il est crucial de s’assurer de sa représentativité, alerte Marc Fredette. C’est réellement un gros danger.»

Il cite l’exemple d’organisations qui mènent des sondages sur un média social comme Twitter et qui ne reçoivent donc que des réponses de gens qui ont déjà un intérêt suffisant envers elles pour les suivre sur ces réseaux. «Si Québec Solidaire effectue une telle enquête, il y a de bonnes chances que les répondants manifestent une grande préoccupation pour les questions sociales et environnementales, mais ça ne veut pas dire que c’est vrai pour l’ensemble des électeurs», illustre Marc Fredette.

Les biais de mesure constituent un autre risque. Ils se présentent notamment dans le cas de données longitudinales. Pour demeurer utilisables, ces variables doivent rester stables dans le temps, ce qui n’est pas toujours le cas. Lorsque le variant Omicron a fait exploser le nombre de cas de COVID-19 au Québec, le gouvernement a demandé aux gens de rester chez eux s’ils éprouvaient des symptômes, plutôt que d’aller subir un test de dépistage. Les statistiques sur le nombre de cas après Omicron ne pouvaient donc plus être mises en parallèle avec celles d’avant ce variant, qui reposaient sur les tests de dépistage. «On doit s’assurer que l’on compare des pommes avec des pommes», résume Marc Fredette.

Piège no 2 : Négliger la sécurité des données

Les nombreux cas de pertes ou de vols de données qui ont touché toutes sortes d’organisations avaient déjà augmenté le niveau d’attention portée à la sécurité des données. Mais l’adoption en septembre 2021 de la Loi 25, qui renforce les exigences en termes de protection, de conservation et d’usage des renseignements personnels (RP), vient rehausser d’un cran la nécessité de bien gérer ce domaine.

Cette loi oblige notamment à désigner un responsable de la protection des RP et à signaler les incidents de confidentialité. Les entreprises doivent aussi posséder un plan de gestion et un registre de ces incidents. À partir de 2023, les organisations devront établir, mettre en action et bien expliquer sur leur site Web des politiques et des pratiques visant à encadrer leur gouvernance des RP; renseigner leurs clients quant aux moyens utilisés pour recueillir les données et par rapport aux fins auxquelles elles les emploieront; obtenir un consentement libre et éclairé pour chacun de leurs objectifs et détruire ou anonymiser les données une fois ces objectifs atteints.

«Les problèmes de sécurité de données peuvent avoir de malheureux impacts réputationnels, légaux ou même faire chuter fortement la valeur d’une entreprise, donc négliger la prévention et la gestion de ce défi constitue un très gros piège à éviter», prévient Marc Fredette.

Piège no 3 : Se noyer dans les données

Avouons-le, la tentation est forte de collecter et de conserver une quantité toujours plus massive de données. Depuis longtemps, beaucoup de dirigeants croient que de détenir plus de données signifie compter sur plus d’informations utiles, et donc générer davantage de connaissances. La quantité n’est pourtant pas un gage de qualité en soi. Elle peut même causer des ennuis.

«Certaines organisations amassent simplement trop de données pour leur capacité de stockage et de gestion, ce qui leur cause parfois des ennuis», estime Aurélie Labbe, professeure titulaire au Département des sciences de la décision de HEC Montréal.

L’accumulation excessive de données pose en effet bien des problèmes. Elle augmente, par exemple, l’exposition au risque de fuites, de pertes ou de vols de données ou encore de manquements à la conformité. Elle pousse aussi les coûts de stockage à la hausse, une dépense qui dans bien des cas ne fournit aucun retour sur investissement. Enfin, elle peut cacher l’arbre qui compte vraiment derrière une forêt d’informations peu utiles.

«Mieux vaut posséder un nombre restreint d’informations de très bonne qualité et que l’on utilise bien qu’une pléthore de données que l’on utilise mal», conseille Aurélie Labbe.