Le directeur financier, souvent appelé CFO ou chief financial officer, fait bien davantage que tenir les cordons de la bourse. Il a aussi son mot à dire dans toutes les décisions importantes de l’organisation. Portrait d’un dirigeant dont le mandat est aussi large que diversifié.

Comme le dit le vieil adage, l’argent est le nerf de la guerre. Et pour cause, car sans argent, il serait bien difficile pour une entreprise non seulement d’assurer ses opérations quotidiennes, mais aussi de se lancer dans de nouveaux projets et de croître. Une organisation doit donc savoir bien gérer ses ressources financières et s’assurer qu’elles soient utilisées à bon escient. C’est pourquoi le directeur financier joue un rôle stratégique et constitue un partenaire d’affaires de poids à la table des décideurs.

Tâches et défis variés

Parmi les tâches du directeur financier, on trouve évidemment tout ce qui a trait à la gestion de la trésorerie et des budgets, et à la planification des dépenses à venir. Mais ce n’est pas tout. «Ce gestionnaire est aussi en relation avec les autres services ; il est d’ailleurs l’un des rares à interagir avec l’ensemble des personnes clés de l’entreprise», souligne Julien Le Maux, professeur titulaire au Département de sciences comptables de HEC Montréal.

Les responsabilités du directeur financier sont aussi à géométrie variable, car elles peuvent différer selon l’organisation. «Dans une PME, par exemple, il est souvent un véritable homme-orchestre qui joue plusieurs rôles, ajoute le professeur. C’est l’interlocuteur clé à qui tout le monde s’adresse. Dans une grande entreprise, d’autres tâches peuvent lui incomber, comme la gestion des risques, notamment en matière de cybersécurité.»

Stéphane Michaud, chef de la direction financière chez PixMob, une société qui crée des produits comme des bracelets ou des ballons lumineux ainsi que des spectacles de lumière, peut témoigner de ce rôle stratégique. Ainsi, ce gestionnaire travaille en étroite collaboration avec les fondateurs de l’entreprise, participe aux réunions des différentes équipes et veille à faire le lien entre celles-ci. «Je contribue à définir le modèle d’affaires et à maximiser la création de valeur pour les actionnaires», explique-t-il, ajoutant qu’il lui revient également de présenter l’information financière aux partenaires et aux investisseurs. «J’agis aussi comme gestionnaire de mon équipe en supervisant les processus financiers de l’organisation. Par exemple, grâce à la revue de nos processus et à l’implantation d’un nouveau progiciel de gestion intégré (Enterprise Resource Planning ou ERP), nous sommes désormais en mesure de produire nos états financiers mensuels en dix jours plutôt que 45 jours, comme c’était le cas auparavant», précise-t-il.

Pour sa part, Brigitte Hervieu porte plusieurs chapeaux, puisqu’en plus d’être vice-présidente Finances chez Mobilia Canada, elle voit aussi aux opérations et aux ressources humaines. «Je fais bien davantage que de tenir les cordons de la bourse, puisque je m’occupe aussi de la gestion budgétaire, de la gestion des projets et de la transformation numérique. D’ailleurs, cette dernière constitue un incontournable pour favoriser et soutenir la croissance», précise-t-elle. Preuve en est que durant la pandémie, même si les boutiques du détaillant de meubles ont dû fermer leurs portes, l’entreprise a connu un essor remarquable grâce à sa boutique en ligne. «Nous avons dû nous adapter rapidement à cette nouvelle situation», souligne-t-elle.

Même son de cloche du côté de Martin Lussier, vice-président Finances et opérations chez Tremcar, un manufacturier de remorques citernes personnalisées, qui a pris en charge la mise en œuvre du virage vers une usine 4.0 effectué par la société il y a quelques années. «La beauté de mon poste, c’est la diversité et le fait de pouvoir jongler avec les différents éléments. Cela fait de moi un véritable partenaire, car j’ai une vision d’ensemble de l’entreprise. Je suis le premier qu’on appelle lorsqu’on a un projet et ma compréhension claire de chaque entité me permet de bien saisir tous les enjeux», fait-il remarquer. Bien au fait de la réalité des opérations, il se rend d’ailleurs sur le terrain très tôt chaque matin pour discuter avec les employés.

Antoinette Noviello, vice-présidente Finances chez Raymond Chabot Grant Thornton, a également noué des liens étroits avec les autres services de son organisation et souligne que ses fonctions ne relèvent pas uniquement de compétences techniques. «Mon plus grand défi consiste à assurer l’équilibre entre mon rôle de contrôleur et de fiduciaire de l’entreprise, et celui de partenaire stratégique qui influe sur les orientations futures de l’organisation », témoigne-t-elle. Interlocutrice privilégiée de la haute direction, elle s’efforce également de « raconter l’histoire qui se cache derrière les chiffres». Elle ajoute : «Je dois être en mesure de bien vulgariser l’information financière afin que chacun puisse prendre les meilleures décisions possibles, ce qui, ultimement, permettra d’améliorer la performance de l’entreprise.» En d’autres termes, cette vice-présidente est considérée comme un agent positif de changement.

Une foule de défis

«Le directeur financier peut assurément devenir un moteur de développement et d’amélioration à l’interne, car il comprend les chiffres et les différents flux d’activités. Lorsqu’on maîtrise la base financière et que l’on comprend les coûts, on est en mesure de maximiser le potentiel de l’entreprise et de contribuer à sa transformation», confirme Martin Lussier.

Il fait valoir que pour être pleinement efficace, le directeur financier doit toutefois pouvoir travailler main dans la main avec le président de l’entreprise. En connaissant la stratégie d’affaires et les projets, il agira comme un levier et pourra contribuer à déployer sur le terrain les différentes propositions.

Brigitte Hervieu estime qu’en plus de réunir autour de lui les directeurs et autres personnes clés, un directeur financier doit savoir trouver des appuis au sein de la haute direction. «Une entreprise est forte lorsque le comité exécutif et le vice-président aux finances travaillent en équipe», estime-t-elle, soulignant que la pandémie a constitué pour elle aussi un défi majeur. Embauchée chez Mobilia quelques mois avant que la crise sanitaire n’éclate, elle qualifie cette période de véritables «jeux olympiques» présentant un niveau inégalé de défis, tant sur le plan logistique que financier.

«La pandémie a transformé le quotidien des directeurs financiers, car la plupart des entreprises se sont retrouvées avec des problèmes de liquidités. Depuis la reprise des activités, d’autres problèmes ont fait surface, en raison de la hausse des taux d’intérêt, par exemple», remarque Julien Le Maux, qui considère qu’à plus long terme, un des enjeux majeurs auxquels ces professionnels feront face sera d’assumer un rôle stratégique en matière d’innovation. Il cite en exemple l’intelligence artificielle, qui sera de plus en plus intégrée aux pratiques des cabinets d’audit.

Stéphane Michaud, qui est aussi responsable des technologies de l’information, remarque que la fonction finances a beaucoup évolué. «Aujourd’hui, il faut aller chercher les données à la source et les exporter au lieu de les entrer manuellement. On fait des liens entre les différents systèmes; on doit donc avoir une vision globale de l’organisation», dit-il. La standardisation des façons de faire et l’automatisation des fonctions sont également dans la ligne de mire d’Antoinette Noviello. «Cela permet non seulement de gagner en efficacité, mais aussi de dégager du temps pour permettre aux employés de se consacrer à des tâches à plus haute valeur ajoutée que la saisie de données. Du même coup, cela contribue à résoudre une partie du défi que pose la pénurie de main-d’oeuvre», indique-t-elle.

Des compétences multiples

Quelles compétences devrait détenir un directeur financier pour exceller dans sa pratique ? Outre les compétences techniques en finance et en comptabilité qui doivent être parfaitement maîtrisées, la communication revêt une importance cruciale, selon Antoinette Noviello. «On doit être en mesure, par exemple, de vulgariser les résultats financiers et de les expliquer en utilisant des termes adaptés à l’auditoire. Il faut aussi savoir écouter, poser les bonnes questions et mobiliser les gens. Les habiletés politiques sont indispensables, tout comme la capacité à saisir le non-dit et à lire entre les lignes», illustre-t-elle. Il faut que le directeur financier apprenne à naviguer dans un environnement où il existe des zones grises, et ce, sans freiner la croissance organisationnelle. La gestionnaire n’a d’ailleurs pas hésité à suivre un MBA pour compléter ses compétences.

Pour sa part, Stéphane Michaud a obtenu un EMBA. Selon lui, il est indispensable de développer sa capacité d’analyse, d’avoir une vision globale de l’organisation, de savoir se mettre dans la peau du PDG, et ce, tout en ayant une vision d’amélioration continue.

Brigitte Hervieu souligne quant à elle qu’il faut garder constamment ses connaissances à jour et continuer à développer ses habiletés non seulement en gestion et en communication, mais aussi en coaching, puisque cet aspect revêt une importance grandissante en entreprise. «Un directeur financier devrait être un bon joueur d’équipe, mais aussi un leader inspirant, ce qui nécessite d’allier savoir-faire et savoir-être», dit Martin Lussier. La capacité de prendre du recul et d’anticiper est tout aussi essentielle.

De l’avis de Julien Le Maux, ces professionnels doivent aussi veiller à développer les compétences stratégiques. Leur défi consistera à se doter d’une perspective à plus long terme qui intégrera notamment les enjeux majeurs que sont devenus la cybersécurité, la protection des données personnelles et le big data, autant de domaines qui exigeront des investissements conséquents de la part des organisations dans les années à venir. «Parce qu’il gère tout ce qui a trait aux finances, ce directeur aura donc un impact sur la capacité de stratégie et d’innovation de l’organisation», rappelle le professeur, qui est aussi convaincu que ce rôle sera de plus en plus important à l’avenir.

Article publié dans l'édition Hiver 2023 de Gestion