Avec la pénurie de main-d’œuvre, il n’est pas rare que les équipes soient reconfigurées et qu’il y ait un certain roulement de personnel. Sans compter les congédiements ou les départs à la retraite qui peuvent perturber l’écosystème de nos relations au travail. Comment faire le deuil d’une équipe qu’on aimait bien?

Après avoir été affecté par le décès de sa patronne, Julien (prénom fictif) a dû s’adapter à de nouveaux gestionnaires. S’il s’entendait vraiment bien avec sa supérieure, les nouveaux responsables de son équipe l’ont pris en grippe. Le journaliste a fini par être congédié. Un exemple qui montre à quel point les relations humaines, même celles avec son supérieur, sont importantes au travail.

Aujourd’hui, Julien s’est donc tourné vers l’enseignement postsecondaire. Même s’il aime son nouveau boulot, il n’a jamais retrouvé la même ambiance au travail. «Les journalistes aiment les débats et sont généralement très sociaux. On se rencontrait souvent dans des 5 à 7 pour discuter, se rappelle-t-il. Dans l’enseignement, c’est plus protocolaire. Mes collègues séparent vraiment leur vie professionnelle et leur vie personnelle.» Si bien que, malgré les années, il n’a jamais réussi à renouer des relations aussi riches au travail.

En effet, le climat entre collègues fait souvent une énorme différence au quotidien, note Julie Carignan, CRHA, psychologue organisationnelle et associée chez Humance. Or, les travailleurs sous-estiment souvent cet aspect, remarque-t-elle. «Parfois, les gens vont quitter un emploi pour améliorer un peu leur salaire ou leurs conditions de travail. Mais quand ils réalisent qu’ils n’ont pas d’aussi bonnes relations avec leurs collègues, que le climat n’est pas aussi intéressant, que le sentiment d’appartenance est moins présent, ils choisissent parfois de revenir.» D’où l’importance d’ajouter ce critère dans la balance avant de démissionner.

Relations essentielles

En fait, les relations sont essentielles au bonheur au travail… et dans les autres sphères de notre vie. «Nous sommes des êtres sociaux et notre identité se construit à travers les relations avec les autres, pour le meilleur ou pour le pire. Si bien qu’il n’y a pas de relations humaines sans émotions, qu’elles soient positives ou négatives», souligne Angelo Soares, sociologue du travail et professeur titulaire à l’UQAM.

Il est donc tout à fait normal de ressentir un certain deuil, qui peut varier en intensité, quand on perd son emploi ou un collègue, ou encore quand on démissionne.  «Que ce soit mon choix ou pas, je vais devoir faire le deuil du travail que je réalisais avec des collègues que j’appréciais. De plus, rebâtir ses relations demande du temps et peut venir avec une certaine appréhension. Est-ce que je vais avoir autant de plaisir qu’avant? Dans une nouvelle organisation, il faut aussi prendre le temps de connaître les règles informelles, d’observer, de s’adapter.» Un processus encore plus long après un congédiement, puisqu’il faut prendre le temps de panser ses blessures.

Ces changements laissent aussi un vide sur le reste de l’équipe, note le sociologue, alors que les travailleurs peuvent perdre un coéquipier sympathique, serviable ou compétent. «La personne avait sûrement développé un réseau informel dans l’organisation au fil des années, mentionne le professeur. Ces groupes sont très importants pour le soutien social, pour que le travail soit accompli. Ces relations permettent de débloquer des dossiers ou de s’entraider.» Dans d’autres cas, cela peut créer une surcharge de travail, puisque le travail sera divisé par quatre, au lieu de cinq.

Partir du bon pied

Pour faciliter la transition, Julie Carignan suggère de prendre un moment pour marquer le départ de son collègue, en organisant par exemple une petite célébration en son honneur. «C’est important de souligner l’apport de la personne dans l’équipe, de la remercier pour sa contribution, estime la psychologue. Au lieu d’être juste dans la tristesse, cela nous permet d’être dans le positif. On peut aussi le faire par écrit. Ça fait du bien de le communiquer et de le recevoir.» Les mêmes conseils s’appliquent si c’est notre décision. «On peut prendre un moment pour dire merci, pour mettre de l’avant ce que l’organisation, l’équipe et les collègues nous ont apporté. De la même manière, c’est une bonne idée d’expliquer clairement les raisons de notre départ à nos collègues.»

Partir sur une note positive permet aussi de revenir plus facilement, si jamais on changeait d’idée, ajoute Julie Carignan. Sans compter que nos anciens collègues viennent garnir notre réseau de contacts. «Si on ne quitte pas pour la concurrence, certains d’entre eux pourraient devenir de futurs clients ou partenaires d’affaires.» Rien n’empêche non plus de conserver des relations amicales avec certains, si les sentiments étaient réciproques. C’est peut-être le début de belles amitiés.