Article publié dans l'édition Printemps 2021 de Gestion

Inconduite et harcèlement sexuels au travail ont été maintes fois dénoncés. Le combat a pris de l’ampleur dans la foulée du mouvement #moiaussi. Qu’en est-il en matière de prévention sur le terrain? Gestion fait le point avec François Courcy, psychologue, CRHA et professeur titulaire au Département de psychologie de l’Université de Sherbrooke.

Le mouvement #Metoo, lancé par l’actrice américaine Alyssa Milano en octobre 2017, a constitué le point de départ d’une vague de dénonciations qui a largement dépassé les frontières des États-Unis. Depuis, a-t-on fait des progrès pour prévenir l’inconduite et le harcèlement sexuels au travail? La réponse est nuancée.

Quelles sont les conséquences de ce type de comportement au travail?

François Courcy : Une revue de la littérature scientifique démontre que ces gestes ont de graves répercussions et créent de la détresse psychologique. Ils font également augmenter le taux d’absentéisme en plus d’accroître le taux de présentéisme et les risques d’épuisement professionnel. Au bout du compte, cela génère un climat de travail toxique, aussi bien pour les personnes qui subissent du harcèlement sexuel que pour les équipes de travail. En effet, les témoins se sentent insécurisés, et certains craignent de devenir eux-mêmes des victimes, ce qui suscite du stress. Du côté des victimes, outre la baisse de performance et de productivité au travail, on note aussi que ce phénomène a une incidence sur la santé, sur la famille et sur la satisfaction conjugale. En effet, le temps passé à évacuer le trop-plein émotionnel et à chercher à résoudre ce problème ne peut pas être consacré au couple, qui subit donc des retombées négatives.

Existe-t-il des facteurs liés à la gestion et au fonctionnement organisationnels susceptibles de créer un climat propice à ces comportements délétères?

La commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a établi un inventaire des éléments qui peuvent effectivement favoriser l’inconduite ainsi que le harcèlement psychologique et sexuel en milieu de travail. On y trouve notamment le climat de compétition, l’ambiguïté et le manque de précision quant aux tâches à accomplir, les outils inadéquats pour accomplir un travail, la banalisation de ce type d’agissements ainsi que la non-intervention et la non-application de règles visant à les sanctionner. On constate aussi qu’il existe une culture du laisser-faire dans certaines organisations, où on entretient de la tolérance par rapport à ces comportements, un peu comme si on acceptait l’idée selon laquelle « ça fait partie de la job »...

Quels sont les mécanismes juridiques qui sanctionnent les violences à caractère sexuel en milieu de travail?

La Loi sur les normes du travail, entrée en vigueur en 2004, stipule que les salariés québécois ont droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique, ce qui inclut les violences à caractère sexuel. En vertu de cette loi, les organisations ont l’obligation formelle de prévenir et de faire cesser toutes les formes de harcèlement dès que ses gestionnaires en sont informés. Quant à eux, les employés d’entreprises à charte fédérale sur le territoire québécois sont protégés par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Enfin, les travailleurs autonomes québécois relèvent de la charte des droits et libertés de la personne ainsi que de la Loi sur les normes du travail.

A-t-on noté des avancées depuis le début du mouvement #moiaussi?

Le nombre de plaintes a augmenté, ce qui démontre que les gens ont compris que ce type de comportement est inacceptable. Par ailleurs, la notion de harcèlement sexuel a été clarifiée et le projet de loi québécois visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur a été adopté à la fin de 2017. Autre progrès appréciable : on a allongé le délai de prescription de 90 jours à deux ans pour les victimes, ce qui leur laisse davantage de temps pour déposer une plainte. Le code canadien du travail a lui aussi été modifié, de sorte que, depuis le 1er janvier 2021, les entreprises à charte canadienne ont l’obligation d’enquêter dès qu’une plainte est déposée par rapport à des violences à caractère sexuel.

Peut-on dire qu’une réflexion collective est maintenant amorcée?

Oui. D’ailleurs, le mouvement de dénonciation est constant et ne s’essouffle pas. De nombreuses personnes ont fait part de leur souffrance, notamment sur les réseaux sociaux, ce qui a donné une voix aux victimes. Cela dit, même si les victimes doivent s’exprimer, il faut prendre garde aux dérapages. De plus, grâce à la couverture médiatique et à la pression sociale, on a dû prendre des mesures et revoir les façons de faire dans plusieurs milieux de travail au climat toxique. On l’a vu, les conséquences peuvent être immédiates et sérieuses pour les entreprises : des fournisseurs font défection et des clients préfèrent aller acheter ailleurs, par exemple. Cela crée une forme d’équilibre des pouvoirs. Néanmoins, le combat est loin d’être terminé, car on voit que les harceleurs se sont adaptés et ont modifié leur discours afin de contourner les règles en vigueur. Le harcèlement s’est également déplacé dans les médias sociaux, car il est plus facile de se cacher derrière son écran... il faudra suivre très attentivement l’évolution de ce phénomène.