Article publié dans l'édition Automne 2020 de Gestion

Le 1er janvier 2017, la France a adopté le principe du droit à la déconnexion. Cette réglementation a-t-elle eu les retombées attendues ? Quelles leçons le Québec peut-il en tirer ? Gestion s’est entretenue à ce sujet avec Marianne Plamondon, CRHA, avocate spécialisée en droit de l’emploi et du travail et associée au sein du cabinet d’avocats Langlois.

Le nouvel article intégré dans le code du travail français au début de 2017 établit désormais « les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion », autrement dit la possibilité de ne pas se connecter aux outils numériques et de ne pas être joint en dehors de ses heures de travail. Cette disposition prévoit aussi que les entreprises mettent en place des « dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale ».


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À l’heure où la technologie permet de demeurer constamment connecté à son travail, cette législation pose donc certaines limites et lance un signal clair aux entreprises qui souhaiteraient que leurs employés soient toujours disponibles. Quelques mois après l’entrée en vigueur de cette loi, une entreprise française a d’ailleurs été condamnée à verser plus de 60 000 euros en indemnités à un de ses salariés qui avait été contraint de garder son téléphone cellulaire ouvert 24 heures sur 24 pour rester joignable en tout temps.

Sur le terrain, depuis l’adoption de ce principe, les entreprises françaises ont ainsi mis en œuvre une panoplie de mesures : blocage des serveurs informatiques ou de l’accès aux boîtes de messagerie le soir et la fin de semaine; ajout d’une mention dans l’objet des courriels lorsque les destinataires ne sont pas tenus de répondre immédiatement puisqu’ils ne sont pas au travail; invitation à respecter le repos de ses collègues en limitant l’envoi de messages électroniques en dehors des heures normales de travail; etc. La France a-t-elle trouvé la bonne recette pour protéger les temps libres de ses travailleurs, apportant ainsi une solution aux effets néfastes de la surconnexion sur la santé?

La loi française en matière de déconnexion des salariés est-elle efficace ?

Me Marianne Plamondon : La difficulté avec cette nouvelle législation, c’est qu’elle est non contraignante. Les entreprises ont une obligation de moyens dans la mesure où elles doivent élaborer une politique interne en la matière et mettre en place des dispositifs destinés à réguler l’utilisation des outils numériques. Néanmoins, même si elles se dotent d’une charte définissant les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion, elles ne sont soumises à aucune obligation de résultat. C’est un mécanisme non contraignant qui pose de grands principes afin que les salariés n’aient pas l’obligation de se connecter. Mais cela n’empêche en rien ceux qui veulent répondre à leurs courriels professionnels à minuit de le faire.

Aurait-il fallu donner plus de mordant à cette loi pour qu’elle atteigne véritablement son but ?

Si la France avait voulu se doter d’un véritable droit à la déconnexion, elle aurait imposé des règles strictes et des obligations, notamment en indiquant que les salariés n’ont pas à se connecter en dehors de leurs heures de travail. Or, elle a seulement fixé un cadre, en vertu duquel les employeurs doivent mettre en œuvre des mesures pour favoriser la réduction du flux des communications durant les temps de repos.

Cela dit, en adoptant cette formule plus souple, on favorise aussi son acceptation par les entreprises et par le patronat, de même que sa mise en œuvre sur le terrain. On facilite l’adhésion au principe, même si la réglementation n’atteint pas pleinement les objectifs d’une véritable déconnexion pour tous les salariés en dehors des heures de travail.

Où en sommes-nous au Québec en ce qui a trait au droit à la déconnexion ?

Nous n’en sommes nulle part! Le droit à la déconnexion n’est même pas mentionné dans la Loi sur les normes du travail, même s’il existe des protections relatives au droit aux vacances. En mars 2018, Québec solidaire avait déposé un projet de loi [loi n° 1097, ou Loi sur le droit à la déconnexion] qui visait à obliger les employeurs à établir une politique de déconnexion en dehors des heures de travail, le tout assorti de sanctions et d’amendes en cas de non-respect. Ce projet de loi n’a pas été retenu dans les modifications apportées à la Loi sur les normes du travail et est mort au feuilleton en raison du déclenchement des élections quelques mois plus tard. En février dernier, le ministre du travail Jean Boulet, sans vouloir ressusciter le projet de loi de Québec solidaire ni vouloir forcer les entreprises à adopter une politique en la matière, semblait toutefois désireux d’amorcer une réflexion sur la question.

Que pourrait-on craindre si le droit à la déconnexion était institué au Québec ?

Des problèmes concernant les heures supplémentaires pourraient apparaître si nous adoptions une telle législation. Certains salariés, surtout des professionnels comme les comptables ou les ingénieurs, sont rémunérés annuellement, et ce, sans égard aux heures supplémentaires qu’ils doivent travailler pour atteindre les objectifs inhérents à leurs fonctions. L’entrée en vigueur du droit à la déconnexion pourrait être problématique pour cette catégorie de travailleurs, notamment en diminuant leur productivité.

Advenant le cas où une entreprise québécoise souhaiterait instaurer une politique de déconnexion pour ses employés, quelles seraient les pratiques à instituer ?

Une entreprise pourrait par exemple ajouter une mention dans les courriels précisant que son personnel n’est soumis à aucune obligation de répondre en dehors des heures habituelles de travail, à moins qu’il s’agisse d’une urgence et que ce soit indiqué dans le titre du message. Elle pourrait aussi demander à ses employés de limiter l’envoi de courriels en dehors des heures d’ouverture à ce qui est vraiment urgent.