Article publié dans l'édition Automne 2021 de Gestion

Les fausses nouvelles prolifèrent à une vitesse affolante. À qui la faute? Et comment contrôler ce phénomène? Il n’y a pas de réponse simple à ces deux questions complexes.

Le fait de diffuser de fausses nouvelles est vieux comme le monde: on n’a qu’à penser à la propagande en période de guerre. Cette pratique n’est pas révolue et certains régimes autoritaires y ont encore recours, même en temps de paix. Les pays démocratiques ne sont pas à l’abri pour autant. Les fake news connaissent en effet de belles heures grâce au mouvement complotiste et au discours conspirationniste. Banni de Facebook et de Twitter, Donald Trump continue à en propager allègrement sur sa propre plateforme. «Et aux États-Unis, n’oublions pas les chaînes câblées conservatrices comme Fox News, One America News Network et Newsmax, qui contribuent à leur manière à désinformer et à polariser le public», ajoute Patrick White, professeur et directeur du programme de journalisme à l’Université du Québec à Montréal.

État des lieux

Le Québec n’échappe pas à cette tendance, révèlent les professeurs de l’Université Laval Florian Sauvageau et Simon Langlois dans leurs conclusions consécutives à l’enquête menée en novembre 2020 par la firme CROP pour le compte du centre d’études sur les médias: «plus de 20% des répondants se sont dits très ou assez en accord avec diverses affirmations pour le moins douteuses qui circulent sur les réseaux sociaux au sujet de la COVID-19», peut-on lire dans cette étude1. Un noyau dur d’environ 7% des participants au sondage a aussi affirmé être très en accord avec la théorie de QAnon selon laquelle il existerait une clique élitiste, pédophile et sataniste qui contrôlerait les gouvernements ou même que la pandémie a été inventée de toutes pièces. Florian Sauvageau souligne que ceux qui croient dans ces énoncés ont les médias sociaux comme première source d’information: «En fréquentant ces réseaux de manière exclusive ou presque, ils vivent dans une bulle qui les enferme dans leurs croyances», avance-t-il.

Les algorithmes aggravent d’ailleurs ce phénomène: «Les procédés de filtrage des algorithmes, en nous proposant des contenus qui reflètent nos préférences, nous confineraient à des communautés idéologiquement homogènes, avec une diète d’informations peu diversifiées. En créant ces chambres d’écho peu propices aux débats sociétaux, les médias sociaux favoriseraient aussi la fragmentation et la polarisation politique», peut-on lire dans l’ouvrage dirigé par le professeur Sauvageau, intitulé Les Fausses Nouvelles – Nouveaux visages, nouveaux défis2.

La pandémie contribue elle aussi à la multiplication des fake news et à la croissance exponentielle du nombre de leurs adeptes. Pourquoi? «Les gens passent davantage de temps sur Internet, ils sont inquiets, et certains trouvent dans les fausses nouvelles des réponses à leurs angoisses. C’est donc un terreau fertile pour les complotistes», avance Florian Sauvageau.

Trop peu, trop tard

Internet et les médias sociaux ont irrémédiablement changé la donne. Le sociologue Jean-Philippe Warren, professeur et titulaire de la Chaire d’études sur le Québec de l’Université Concordia, a publié une série de neuf entretiens sur cette question en avril 2021 dans La Presse et indique qu’il est désormais possible de diffuser une fausse nouvelle très rapidement et à grande échelle: «La mise en réseau, qui permet à un seul individu de créer des centaines de comptes et d’avatars sur les réseaux sociaux, renforce aussi l’impression selon laquelle une armée de personnes est mobilisée», dit-il. Cela représente du même coup un véritable danger pour les démocraties. «On commence à prendre conscience du fait qu’il existe un nouveau péril susceptible de miner les régimes démocratiques parce qu’il s’attaque au principe même d’un débat raisonnable et raisonné», note M. Warren.

Il remarque également qu’une autre tendance, qui consiste à brouiller les pistes et à semer le doute dans les esprits, gagne aussi en popularité: «c’est le concept illustré par l’ancien conseiller de Donald Trump, Steve Bannon, lorsqu’il parlait d’“inonder la zone de merde”. Cette stratégie vise à convaincre certaines catégories de personnes que leur participation au processus démocratique est nulle et non avenue. Le but consiste à entraver la capacité des gens à se mobiliser sur des questions particulières», dit-il.

Alors, comment contrôler les dérapages et éviter que les fausses nouvelles se répandent tous azimuts? Les gestionnaires de certains réseaux sociaux ont commencé à agir. «Facebook et Twitter affichent des avertissements lorsqu’on consulte du contenu trompeur. Des comptes ont aussi été fermés et des contenus supprimés. Facebook a également fait une alliance avec l’AFP pour la vérification des faits. Mais à mon avis, c’est trop peu, trop tard», déplore Patrick White.

Des pays comme l’Allemagne et la France ont aussi légiféré pour responsabiliser les plateformes. Toutefois, ces cadres réglementaires ne permettent pas d’intervenir dans les processus algorithmiques, qui ont justement tendance à enfermer les utilisateurs dans une bulle informationnelle, le fameux rabbit hole, qui crée une vision en tunnel.

Jean-Philippe Warren mentionne que l’amélioration de la littératie sur les médias sociaux, dès le plus jeune âge et en milieu scolaire, pourrait être une autre piste de solution. Il note cependant qu’on ne peut pas balayer sous le tapis le rapport de force qui est à l’œuvre. «Les GAFA ont un quasi-monopole sur la façon dont les gens s’informent. Ils ne sont pas innocents: ce sont des empires commerciaux. Tant qu’on n’aura pas de lois pour les encadrer, il sera tout aussi difficile d’encadrer les fausses nouvelles», prévient-il.

Patrick White rappelle d’ailleurs que malgré les efforts faits pour inverser la tendance, les GAFA n’ont toujours pas de comptes à rendre. «On assiste à un véritable bras de fer actuellement. Par exemple, l’Australie tente de forcer les plateformes numériques à verser des redevances aux médias pour l’utilisation des contenus journalistique; en représailles, Facebook a bloqué le partage d’articles sur ses plateformes dans ce pays», rappelle-t-il. Pas simple, le contrôle des fausses nouvelles...


Notes

1. Langlois, S., et Sauvageau, F., «La confiance envers les médias et la désinformation en contexte de pandémie» (document en ligne), Centre d’études sur les médias, avril 2021.

2. Sauvageau, F., Thibault, S., et Trudel, P. (dir.), Les Fausses Nouvelles – Nouveaux visages, nouveaux défis – Comment déterminer la valeur de l’information dans les sociétés démocratiques?, Québec, Presses de l’Université Laval, 2018, 284 pages.