Article publié dans l'édition Hiver 2019 de Gestion

Plus d’un an après la tenue du référendum sur la souveraineté de la Catalogne, l’impasse persiste entre le gouvernement espagnol et la région catalane. Quel avenir peut-on envisager pour ce mouvement sécessionniste ? Afin de répondre à cette question, Gestion s’est entretenue avec Joseph Facal, ancien ministre péquiste et actuellement professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal.

Joseph Facal, ancien ministre péquiste et actuellement professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal

Joseph Facal, ancien ministre péquiste et actuellement professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal.


Le 1er octobre 2017, les Catalans étaient appelés à se prononcer pour ou contre l’indépendance de leur région. Madrid, par le truchement du tribunal constitutionnel, avait d’avance condamné ce référendum, le déclarant illégal au regard de la constitution espagnole de 1978. Seuls 42,3 % des électeurs se sont déplacés dans une ambiance très tendue, émaillée par les affrontements parfois violents entre la police antiémeute espagnole et les sympathisants séparatistes, qui ont fait plus de 800 blessés. Le « oui » l’a emporté le soir même avec 90 % des suffrages exprimés.

Par la suite, le 27 octobre, les députés du parlement de la catalogne ont adopté une déclaration proclamant l’indépendance de leur région. La réaction de Madrid ne s’est pas fait attendre : moins d’une heure plus tard, le sénat votait en faveur de l’application de l’article 155 de la constitution, permettant au gouvernement de Mariano Rajoy de mettre la catalogne sous tutelle. Dans la foulée, le premier ministre espagnol a destitué le gouvernement de Carles Puigdemont, alors président du gouvernement catalan, dissous le parlement catalan et convoqué de nouvelles élections régionales le 21 décembre suivant.

À l’occasion des élections anticipées, les trois partis indépendantistes catalans ont obtenu la majorité absolue au parlement en faisant élire 70 députés et en récoltant 47,5 % des voix. La volonté d’accession à l’indépendance de ces formations politiques s’accompagne toutefois de luttes fratricides qui les opposent et les divisent sur de nombreuses questions.

Finalement, le 14 mai 2018, Quim Torra a été élu président de la catalogne. La désignation de cet « indépendantiste émotionnel », comme il aime se définir lui-même, a fait grincer bien des dents du côté de l’opposition, tant de droite que de gauche. Parallèlement à cette nomination, un changement d’envergure est survenu du côté du gouvernement espagnol : la chute du premier ministre conservateur Mariano Rajoy, renversé par une motion de censure historique déposée à l’initiative de l’opposition socialiste à la suite du scandale de corruption dans lequel il était empêtré. Le socialiste Pedro Sánchez a été élu président du gouvernement espagnol le 2 juin 2018.

Gestion : Pensez-vous que l’arrivée au pouvoir de ces deux nouveaux dirigeants puisse ouvrir la voie à un dégel, voire à la normalisation des relations entre Barcelone et Madrid ?

Joseph Facal : Il est possible qu’il y ait un dégel, mais je resterai néanmoins prudent avant de conclure à un grand déblocage. Oui, bien sûr, la reprise du dialogue entre les deux parties est probable, tout comme nous pouvons nous attendre à ce que les tensions soient elles aussi apaisées. Mais il reste que le gouvernement Sánchez est fragile puisqu’il repose sur une coalition. Pedro Sánchez a besoin de l’appui de toutes les forces politiques en présence pour pouvoir continuer à diriger l’Espagne. Et c’est la même chose en catalogne : les indépendantistes sont arrivés au pouvoir aux dernières élections, mais tous ne partagent pas la même vision politique.

À quoi pouvons-nous nous attendre à court terme en ce qui concerne ce bras de fer entre Madrid et Barcelone ?

J. F. : En théorie, trois avenues sont possibles. La moins probable, selon moi, celle qui relève de la pure fiction, serait que l’Espagne s’engage dans la même voie que le Canada avec le Québec ou que le Royaume-Uni avec l’Écosse, à savoir l’équivalent de ceci : « Nous ne sommes pas contents, mais nous acceptons la tenue d’un référendum et nous en reconnaîtrons le résultat. » D’après moi, cette option est purement théorique dans la mesure où l’Espagne, qui est une jeune démocratie, rappelons-le, a toujours un fond très centralisateur et très autoritaire. Pourquoi accepterait-elle de voir partir une région qui représente 20 % de son PIB et plus de 50 % des investissements à haute valeur ajoutée ? Le départ de la catalogne entraînerait également pour l’Espagne la perte de son statut parmi les grandes puissances européennes. On pourrait également assister à l’amorce d’un dialogue qui finalement n’irait nulle part et on reviendrait à la ligne dure, à savoir le maintien de la mise sous tutelle de la catalogne. C’est un scénario cul-de-sac, en quelque sorte. Personne ne le souhaite, mais il me semble plus plausible que le premier. Enfin, l’Espagne pourrait s’engager sur la voie d’une véritable réforme constitutionnelle. La constitution adoptée en 1978, au lendemain de la mort de Franco, avait été jugée temporaire. Peut-être que le moment est enfin arrivé. Néanmoins, une révision constitutionnelle, on sait quand ça commence, mais on ne sait jamais comment ça se termine, d’autant plus que si on ouvre cette boîte de pandore, la Catalogne ne sera pas la seule région espagnole à réclamer davantage d’autonomie. S’ouvrir à la Catalogne pourrait stimuler les velléités autonomistes du Pays basque et, dans une moindre mesure, de la Galice.

Compte tenu de leur histoire, le Québec et le Canada n’auraient-ils pas pu offrir leur expertise sur cette question ?

J. F. : Jamais Madrid n’aurait accepté l’« expertise » canadienne ou québécoise, car cela aurait ouvert la porte à l’obligation de reconnaître la légalité et la légitimité de l’exercice référendaire catalan. Une fois encore, je le répète, il existe une culture politique très centralisatrice issue du franquisme en Espagne. Il ne faut pas oublier non plus que le retour à la démocratie est très récent [1975] et que le souvenir de la guerre civile [1936-1939] plane encore sur la politique espagnole contemporaine. Un peu comme au Québec, j’ai le sentiment que le choix premier des catalans n’est ni l’indépendance ni le statu quo mais davantage d’autonomie, notamment en matière fiscale. Les prochains mois nous montreront quelle voie sera privilégiée par chacune des parties. Personne, pour le moment, ne peut prédire l’avenir. Les blessures cicatriseront, mais la plaie, quant à elle, restera visible. Seul le temps permettra de faire passer les choses.