Le concept de productivité est fréquemment utilisé dans les commentaires économiques. La productivité est un simple rapport entre le volume de la production et la quantité des facteurs employés pour le réaliser. Ce concept fait souvent l’objet de propositions tautologiques ou vraies par définition : plus les membres d’une société sont productifs, plus ils auront un revenu moyen élevé. Qui peut s’opposer à cet énoncé?

Pourtant, en février 1983, je publiais un texte dans Gestionsous le titre « Devrions-nous bannir de notre vocabulaire le mot productivité? » Il m’apparaît que le sujet demeure encore d’actualité, même si je prends le risque de passer pour un entêté.

Déconseiller la maximisation de la productivité

Étonnamment, l’augmentation de la productivité n’est pas toujours à conseiller. Si un peintre désire maximiser sa productivité horaire, il doit travailler un maximum de quatre heures par jour vu la fatigue après un certain temps. À ce rythme, il a beaucoup d’heures inoccupées et une rémunération totale réduite. Dans le texte original, je mettais en doute la pertinence d’une proposition d’un éminent économiste lors du Discours sur le Budget de 1981-1982 du Québec. Le ministre des Finances y annonçait une augmentation de la contribution des employeurs au financement des programmes de santé qui passait de 1,5 % à 3 % de la feuille de paie. Il vantait cette mesure en ces termes : « Elle [la contribution des employeurs] joue enfin, dans le sens de l’accroissement de la productivité des entreprises, ce qui, dans le cadre de marchés de moins en moins protégés, est excellent. » (Ministère des Finances, 1981 : 25).

Si cette mesure implique de tels bienfaits, pourquoi n’a-t-il pas haussé la contribution à 5, 10 ou même 20 %? De même pour une économie, la maximisation de la productivité d’un facteur de production n’est pas un critère valable pour réaliser l’efficacité ou accroître le bien-être. Faudrait-il applaudir au lieu de dénoncer les différentes évolutions régionales de productivité en présence de conditions diverses sur le marché du travail selon des surplus ou des pénuries de main-d’œuvre? Par exemple, les récentes années aux États-Unis montrent une évolution de la productivité du travail anémique, mais concomitante avec un bon accroissement de l’emploi, les deux phénomènes étant en bonne partie reliés.


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Comparaison avec l’évolution du taux de change

La productivité peut être comparée à un taux de change comme celui du dollar canadien. Un accroissement de la valeur du dollar canadien accroît directement le revenu réel des Canadiens puisqu’il augmente leur pouvoir d’achat pour les produits étrangers. Toutefois, il ne découle nullement de cela qu’il faille accroître la valeur du dollar ou encore que toute hausse de sa valeur puisse être considérée comme favorable. Elle peut plutôt devenir une source de contraction pour l’économie canadienne.

Le principe directeur de rattrapage

Le refus de placer la question de la productivité dans le cadre du marché des facteurs de production oblige régulièrement les intéressés à recourir au principe directeur du rattrapage comme base de politiques industrielles. Selon ce principe, si les facteurs de production des Maritimes avaient les mêmes caractéristiques que ceux de l’Ontario, ils auraient les mêmes revenus. Il faut donc éliminer ces différences. Malheureusement, ce principe du rattrapage ne découle pas de l’analyse économique; il en est plutôt la négation, puisqu’il nie la division du travail. Les promoteurs d’un rattrapage du Canada ou du Québec, en ce qui concerne la part des dépenses consacrées à la recherche scientifique ou à l’importance relative des secteurs dits de pointe, oublient presque toujours de caractériser notre pays ou notre province du point de vue de la division internationale du travail, ce qui affaiblirait énormément leur argumentation. Chacun a ses avantages et ses faiblesses relatifs.

Conclusion

En somme, comme une faible croissance de la productivité n’est pas inévitablement un indice de mauvaise performance économique, la maximisation du taux de croissance de la productivité n’est pas nécessairement un objectif valable et ne peut servir de critère d’évaluation des différentes activités. Il en est de même pour le critère imprécis des retombées économiques et des effets d’entraînement.

Mais alors, quel est le critère pour juger de l’efficacité des politiques et aussi des multiples projets? Ce critère d’appréciation est pourtant simple : c’est celui de la rentabilité. La question qui doit être posée est élémentaire : les bénéfices attendus d’une activité ou d’un projet sont-ils supérieurs aux coûts prévus? Si la réponse est affirmative, le projet contribue à accroître le revenu réel de la population et doit être réalisé, même si le projet n’a pas les caractéristiques de modernisme ou de technologie de pointe. Conséquence majeure : le concept de rentabilité ne devrait-il pas remplacer les multiples références à celui mal utilisé de productivité?