Article publié dans l’édition Hiver 2022 de Gestion

Une idée reçue veut que les hauts dirigeants très ou trop confiants prennent davantage de risques. Mais cette assurance immodérée est-elle utile en temps de crise? En compagnie de ses cochercheurs, Desmond Tsang, professeur agrégé de comptabilité à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, a exploré cette question.

Dans votre étude, vous avez examiné ce qui se passe dans 780 entreprises. De quelle manière les PDG trop confiants se distinguent-ils, au juste?

Desmond Tsang : C’est assez simple : les PDG qu’on qualifie de très ou de trop confiants sont ceux qui conservent leurs actions même lorsqu’il paraîtrait logique de les vendre. Nous avons donc compté le nombre d’options d’achat d’actions qu’ils détiennent et le nombre de fois où ils ont exercé leur option de retrait au cours des deux années avant la pandémie. Nous avons ensuite étudié l’effet de cette confiance sur la performance boursière de leur entreprise au début de la pandémie.

L’excès de confiance chez les PDG est souvent considéré comme une mauvaise chose. Pourquoi?

Des recherches précédentes ont montré que les PDG présomptueux sous-estiment les risques et surestiment les rendements. Ces PDG ont tendance à dissimuler les mauvaises nouvelles et à divulguer moins d’informations. En général, un tel comportement est mal perçu.

Mais alors, pourquoi la confiance excessive peut-elle devenir un atout en temps de crise?

Parce que l’attitude de ces PDG influe positivement sur la performance boursière de leur entreprise. Nous avons constaté qu’en cas de crise, la témérité, généralement considérée comme étant dangereuse, présente certains avantages. Une grande confiance s’accompagne d’une vision optimiste et positive en ce qui a trait à l’organisation. Les PDG très ou trop confiants ont plusieurs traits de personnalité en commun et adoptent souvent certains types précis de comportements. Ils ont tendance à accentuer le bon côté des choses et à taire les mauvais aspects. Pendant une pandémie, alors qu’il y a beaucoup de mauvaises nouvelles, ce comportement peut produire de bons résultats. Au moment où tout le monde annonce les mêmes mauvaises nouvelles, les PDG confiants ont tendance à en faire connaître moins. Ils sont donc capables d’avoir une influence sur la confiance du public et des médias. L’autre explication est d’ordre relationnel : ces PDG extrêmement confiants sont tout simplement des leaders forts et optimistes dont l’action va au-delà de l’image puisqu’ils agissent pour aider leur entreprise à survivre contre vents et marées.

Mais en temps de crise, est-ce vraiment le bon moment de prendre des risques?

C’est une des questions que nous avons posées. Effectivement, lorsqu’ils prennent des décisions, les PDG très confiants ont tendance à ne pas écouter les avis contraires. Ils ont une culture de type dictatorial. Nous nous sommes demandé au départ si ce comportement fondé sur de la confiance excessive ne pouvait pas jouer en défaveur des PDG en cas de pandémie, car, en théorie, ils ne sont pas censés vouloir changer leurs façons de faire habituelles. Or, ce n’est pas ce que nous avons constaté. Du point de vue des investisseurs, lorsque le marché est dans une mauvaise passe, la capacité à inspirer confiance l’emporte sur la prise de risque. Lorsque la panique s’installe, les investisseurs recherchent davantage un leadership fort et positif. Cela les rassure, car ils craignent que les problèmes soient insurmontables ou que les dirigeants s’exposent à trop de risques. D’ailleurs, nous avons examiné les performances opérationnelles et constaté qu’en période de pandémie, les PDG très confiants obtiennent des résultats qui ne sont ni meilleurs ni moins bons que ceux de PDG plus posés et plus prudents.

Il y a quand même une limite. Vous avez constaté que l’influence des PDG très confiants en temps de crise est généralement plus marquée dans les entreprises qui étaient déjà solides au début des turbulences. Pourquoi une entreprise en difficulté ne bénéficierait-elle pas d’un PDG qui déborde de confiance?

Nous avons examiné les études qui ont porté sur la façon dont les entreprises ont survécu à la pandémie de COVID-19. Ces études ont montré que les entreprises dont les principaux ratios financiers étaient solides avant la crise étaient davantage en mesure de passer à travers les épreuves. Il y a donc une limite à l’influence que peuvent avoir des PDG très confiants sur leur organisation. Lorsque des entreprises sont déjà en mauvaise posture, la confiance des PDG est moins susceptible de les aider, peu importe le degré de cette assurance. En même temps, le rôle de la confiance est indéniable. Dans les entreprises robustes, les PDG gonflés à bloc contribuent davantage à la bonne performance que les PDG qui manifestent moins de confiance dans un contexte similaire.

En ce qui concerne les entreprises très exposées aux effets négatifs de la pandémie, par exemple les compagnies aériennes et les restaurants, le degré de confiance du PDG peut-il avoir un effet tangible?

Au début de notre recherche, nous supposions que l’effet d’une confiance excessive serait plus décisif dans les secteurs les plus touchés par la pandémie. Or, nous avons découvert le contraire. Nous avons constaté qu’un excès de confiance chez les PDG n’est pas utile dans les secteurs trop exposés, notamment le transport aérien. Les conditions objectives deviennent tellement déterminantes que le degré de confiance du PDG ne peut rien y changer, quoi qu’il advienne. C’est la même chose en restauration, l’autre secteur le plus durement touché par la pandémie. Un restaurant déjà affecté par un mauvais emplacement, par exemple, ne peut pas surmonter ce problème lors d’une pandémie. Dans certains cas, ces entreprises ne sont pas en mesure de survivre à la crise, quel que soit leur dirigeant.

Les répercussions de la confiance excessive des PDG sont-elles les mêmes dans tous les types d’entreprises?

Nous avons étudié des entreprises de différents secteurs afin d’avoir un échantillon équilibré, des plus innovantes aux plus traditionnelles. L’effet d’un excès de confiance chez un PDG est le même d’un secteur à l’autre. Pendant une pandémie, comme c’est le cas lors de n’importe quelle crise financière, les investisseurs paniquent et n’agissent pas de façon rationnelle. La présence d’un PDG très ou même trop confiant semble atténuer les comportements erratiques. Lors des conférences téléphoniques, ils sont plus convaincants, ils expriment leurs opinions de façon plus tranchée et ils donnent l’impression d’être plus à même de résoudre les problèmes qui se posent.

La confiance des PDG a-t-elle été aussi excessive après l’arrivée de l’aide gouvernementale?

L’effet s’est en quelque sorte estompé à la fin de mai 2020, au moment où des trillions de dollars ont été injectés dans les marchés financiers. Lorsque les gouvernements sont entrés en jeu, le sentiment général a changé. Les investisseurs sont revenus sur le marché boursier grâce à ces bonnes nouvelles. Et l’incidence de l’excès de confiance de certains PDG s’est affaiblie à ce moment-là, alors que l’ensemble du marché recevait moins de mauvaises nouvelles et d’informations démoralisantes. Dans un contexte où toutes les entreprises avaient moins de mauvaises nouvelles à annoncer, l’utilité d’un PDG qui les minimisait avait tendance à diminuer.

Quelles leçons tirez-vous de votre étude en vue de l’après-crise?

Les gens doivent comprendre qu’une confiance excessive n’a pas que des conséquences négatives : elle peut aussi avoir des effets positifs. Des recherches antérieures ont montré que les PDG qui débordent de confiance ont une influence positive même en période de prospérité. Lorsqu’il s’agit d’une entreprise qui œuvre dans le domaine des technologies ou de l’innovation, un PDG très confiant sera prêt à prendre des risques, à investir davantage, à se lancer dans la recherche-développement. Mais peu importe le type d’entreprise : un dirigeant doit inspirer confiance aux investisseurs et à tous les autres acteurs à tout moment, qu’il y ait crise ou non.

De nombreux ouvrages ont montré qu’une confiance aveugle est néfaste, mais des études récentes démontrent qu’il existe des moyens d’en atténuer les effets négatifs et que des bienfaits peuvent même en découler, particulièrement en ce qui a trait à l’innovation. Par ailleurs, on peut atténuer les effets négatifs de la confiance excessive d’un haut dirigeant en faisant preuve de prudence en matière de comptabilité et de gouvernance de façon à accroître le degré de surveillance dont celui-ci fait l’objet. Devant l’obligation de rendre des comptes, un PDG sera par exemple obligé de faire connaître certaines mauvaises nouvelles.