Les humains resteront toujours des humains. C’est pourquoi les organisations ne sont pas exemptes de mensonges ni de tricherie. Comment cela se manifeste-t-il au travail, et est-il possible de les prévenir?

De l’inoffensif «mensonge blanc» au comportement franchement déviant, la palette du mensonge et de la tricherie est large.

S’il est difficile de connaître leur prévalence, en revanche, on sait que rares sont les individus qui mentiront de façon complètement antisociale, sans se soucier des conséquences sur les autres. Les personnalités malveillantes – les tricheurs, les personnes aux comportements déviants et toxiques – sont également peu répandues. «La plus grande proportion des gens, lorsqu’ils mentent, vont plutôt le faire de façon à ce qu’ils puissent malgré tout préserver leur image d’eux-mêmes en tant que personne intègre et honnête», révèle Julien Bureau, professeur agrégé au Département des fondements et pratiques en éducation de la Faculté des sciences de l'éducation à l’Université Laval. Par conséquent, les répercussions du mensonge doivent être suffisamment petites pour que le menteur puisse les considérer comme une forme de compensation ou de rétribution à laquelle il a droit, ou le fruit de son ingéniosité par exemple.

Culture d’entreprise

Cela dit, le mensonge peut aussi découler de la culture même de l’entreprise, note Estelle Morin, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal. «Si l’on y retrouve beaucoup de cynisme, de laxisme et de laisser-aller, cela constitue assurément un terreau fertile», souligne-t-elle.

Pour sa part, Annie Boilard, présidente du Réseau Annie RH, mentionne que la sécurité psychologique et la façon dont les erreurs sont gérées à l’interne jouent également un rôle essentiel. «Si l’employé craint la réaction de son gestionnaire s’il avoue avoir commis une erreur, il va probablement la cacher. Par conséquent, les organisations où l’on cherche un coupable au lieu de se demander ce qui a pu être appris par le biais de cette expérience encouragent le mensonge. En revanche, la sécurité psychologique est propice à la vérité», explique-t-elle.

Une surveillance plus étroite des employés peut-elle contribuer à réduire mensonges et tricherie au travail? Pas nécessairement, estime Julien Bureau. «Il est possible qu’il y en ait effectivement moins, mais il n’y aura pas forcément davantage de vérité… Pour encourager celle-ci, il faut promouvoir le partage et l’ouverture; cela constitue une culture en soi», indique-t-il.

Quant aux méthodes de surveillance instaurées par certaines entreprises pour mieux encadrer le travail à distance, elles ne sont guère plus efficaces, remarque Annie Boilard. «On a pu constater que les employés n’aiment pas se sentir espionnés et qu’ils vont consacrer beaucoup de temps à tenter de déjouer les systèmes. C’est contre-productif, il est préférable de miser sur le lien de confiance, la relation de proximité et la gestion par objectifs», soutient-elle.

Série – Les maux du travail

Prévenir le mensonge

Il est possible de prévenir le mensonge et la tricherie dans ses équipes dès le moment du recrutement. «Par exemple, on repère certains traits de caractère chez les candidats, comme l’honnêteté et l’humilité», conseille Estelle Morin.

On peut aussi travailler à éviter le passage à l’acte en instituant des règles de conduite claires ainsi que des mesures disciplinaires qui soient réellement appliquées. «Les comportements délinquants devraient être réprimandés et non pas encouragés. S’il n’y a pas de conséquence, l’employé risque de recommencer; il faut donc envoyer un message qui soit sans équivoque», ajoute Estelle Morin.

Il existe diverses mesures possibles, qui varient aussi selon les conventions collectives : suspension sans salaire, sanctions, etc. En tout état de cause, celles-ci doivent être suffisamment désagréables pour déclencher une prise de conscience de l’employé et lui ôter toute envie de recommencer. Réparer son geste et l’expliquer, présenter des excuses, sont d’autres voies possibles.

La personne doit aussi réaliser que son geste est répréhensible, car en ressentant de la culpabilité et de la honte, elle aura tendance à inhiber le comportement inapproprié. Mais attention, ce sentiment ne doit pas non plus être exacerbé au point que l’employé ait envie de prendre sa revanche.

«Cependant, on ne doit pas perdre de vue qu’il est important de déterminer quel est le problème qui se cache derrière le mensonge, et tenter de le régler», rappelle Estelle Morin. Par exemple, la personne éprouve-t-elle un sentiment de frustration et tente-t-elle de se faire justice elle-même? Est-elle en conflit avec un collègue de travail? En remontant aux sources, il sera possible de trouver des solutions et d’éliminer les causes du mensonge.