Le sujet de la pénurie de main-d’œuvre n’est pas nouveau, et les difficultés ont naturellement continué de croître, accélération récente liée à la pandémie de COVID-19 oblige. En 2019, nous invitions déjà les lecteurs à ne plus aborder le problème sous l’angle des ressources humaines uniquement, mais plutôt comme une stratégie d’entreprise pour une prise en compte globale. Aujourd’hui, nous souhaitons étoffer ce précédent article en vous présentant une démarche logique pour vous aider à trouver des solutions innovantes à ce sujet.

Définir le problème

Une pénurie de main-d’œuvre est, par définition, une situation où le besoin de recrutement excède le nombre de travailleurs qui sont en recherche d’emploi. Pour une entreprise, cela signifie un risque accru de voir des postes rester vacants quand bien même les conditions de travail seraient alignées sur les standards du marché. La conséquence directe consisterait en une perte financière liée à un déclin de la productivité.

Énonçons le problème autrement : l'entreprise est touchée par la pénurie de main-d'oeuvre; elle n'a donc pas assez d'employés pour réaliser sa mission. La démarche que nous détaillerons ici consiste à scinder ce problème global selon trois grandes dimensions liées à l'entreprise : son personnel, ses opérations et sa stratégie. À la lumière de ce travail, nous en arriverons à sélectionner les actions à mener.

Identifier les grands axes de solution

Le problème ainsi reformulé peut donc être découpé en trois parties, qui constitueront nos axes :

  • Pas assez d’employés = volet humain
  • Pour réaliser = volet opérationnel
  • Sa mission = volet stratégique

Rien qu’à cette étape, il est donc possible de voir apparaître un axe très peu mentionné par les articles traitant du sujet de la main-d’œuvre : le volet stratégique. Nous y reviendrons plus loin.

Le processus peut sembler assez simple ici, car la reformulation a contribué à formater ces axes. Notre manière de procéder correspondrait à la rédaction d’une carte mentale qui cherchera à organiser, par itérations, un ensemble d’idées se rattachant au problème. En fonction de votre propre expérience ou de votre ressenti, vous pourriez trouver des axes différents ou en ajouter. Nous estimons de notre côté qu’il est important de limiter le nombre d’axes, car au-delà de quatre, cela donne une impression de redondance. Ici, ajouter le volet financier peut se révéler discutable, par exemple; de notre côté, nous l’incluons dans les autres volets.

Les prochaines étapes consistent donc à décliner ces axes en actions individuelles pour les identifier et les caractériser (ressources nécessaires, faisabilité, rendement de l’investissement, etc.).

Le volet humain

Le problème qui se pose est donc que l’entreprise manque d’employés. Aussi, nous savons qu’il existe un contexte de tension sur l’offre d’emplois. Typiquement, il existe deux façons d’agir : à l’intérieur de l’entreprise et à l’extérieur de celle-ci. En interne, cela signifierait de chercher à maintenir les employés en poste. En externe, il faudrait avoir un positionnement d’offres supérieur au marché pour garantir un certain succès. Voyez-vous ici le cheminement d’idées?

En continuant à décliner ce raisonnement au fur et à mesure, l’entreprise en arrivera à plusieurs actions possibles :

  • Faire passer ses méthodes de recrutement de passives à actives;
  • Modifier les critères de sélection des candidats en misant sur les compétences;
  • Faire évoluer les salaires ou les traitements (ce qui est rare est cher, et cela nous permet de revenir sur le volet financier en partie);
  • Offrir de meilleures perspectives de carrière (récompenser la fidélité);
  • Améliorer le bien-être au sein même de l’entreprise;
  • Offrir des primes remboursables en cas de départ en deçà d’une durée minimale d’emploi.

Toutes ces solutions présentent des avantages et des inconvénients, qu’il conviendra de mesurer selon l’entreprise en question. Certaines sont durables, tandis que d’autres peuvent être ponctuelles.

Le volet opérationnel

L’une des solutions maintes fois évoquées pour régler la pénurie de main-d’œuvre serait de réduire le nombre d’employés nécessaire tout en maintenant la productivité, voire en l’augmentant. Vous voyez ou entendez sûrement depuis longtemps déjà des termes comme «Lean», «industrie 4.0», «automatisation», etc.

Contrairement aux idées reçues, bon nombre de ces principes peuvent s’appliquer à n’importe quelle entreprise, et pas seulement aux manufactures : vous avez forcément un processus; vous faites assurément des tâches répétitives; vous générez du gaspillage… voilà quelques pistes qu’il y aurait lieu d’explorer de votre côté pour trouver des solutions.

Par exemple, vous avez probablement en tête un organisme public auquel vous avez dû maintes fois répéter les mêmes informations et avec lequel vous avez eu à attendre avant d’obtenir finalement ce que vous vouliez. De manière intuitive, vous pouvez estimer le gain de productivité qu’un meilleur système apporterait en pareilles circonstances.

S’il n’est pas possible de réduire le nombre d’employés en améliorant la productivité, cet axe de solution ne doit pas être écarté trop tôt pour autant. En effet, vous serez en mesure de rendre les conditions de travail meilleures et donc d’agir indirectement sur le recrutement et la rétention.

Le volet stratégique

Bien peu d’entreprises prennent le temps d’étudier la pénurie de main-d’œuvre de manière stratégique. D’après la reformulation du problème que nous avons menée, nous avons défini que la mission avait une importance. Donc, s’il y a moyen de changer la mission, il pourrait être envisageable de pallier la pénurie de main-d’œuvre.

La stratégie doit aussi être abordée de manière globale, et ne pas se limiter à la mission de l’entreprise; ainsi, il faut repenser cette dernière dans son ensemble. En fonction des employés recherchés, son implantation géographique peut avoir son importance, par exemple. Il est aussi question des ressources humaines, et comme c’est le cas avec les autres ressources, le prix peut évoluer suivant les lois du marché. Résultat : peut-être serait-il avantageux d’augmenter la part salariale dans vos finances… Comme il s’agit ici d’un travail d’analyse personnalisé pour chaque entreprise, nous détaillerons plutôt quelques exemples qui vous aideront à mieux percevoir l’utilité d’explorer le volet stratégique.

Premier cas de figure : un restaurant qui est aux prises avec des difficultés à trouver des employés pour assurer le service décide de ne plus offrir des repas sur place, mais uniquement des plats à emporter ou en livraison. En supprimant la salle à manger, le restaurant a la possibilité de se relocaliser en banlieue (ou dans une zone où les coûts d’exploitation seraient plus bas) et de se contenter d’une simple cuisine. Ainsi, en plus de réduire son personnel, l’entreprise est à même d’augmenter ses marges.

Deuxième cas de figure : une manufacture qui fabrique des produits choisit d’établir un partenariat avec une autre entreprise pour déléguer une partie de sa production, ce qui lui fait faire des économies sur le plan de la main-d’œuvre tout en diminuant de son côté la pression sur ce segment particulier. À l’inverse, une entreprise pourrait fusionner avec une autre pour s’étendre horizontalement ou verticalement et réduire les problèmes qu’elle rencontrerait en ce qui a trait aux ressources humaines.

Des solutions aux actions

Après avoir exploré ces trois volets principaux, vous aurez dressé une liste de solutions potentielles qu’il vous faudra analyser sans délai. En effet, tout n’est pas forcément faisable ni obligatoirement souhaitable; à vous, donc, d’étudier chaque solution individuellement en y associant les bénéfices, les inconvénients et les risques. Cela permettra un premier tri, qui sera suivi d’un second en revenant sur une discussion globale du point de vue de l’entreprise.

Un tel travail fait penser à un ascenseur duquel vous seriez parti tout en haut (niveau de l’entreprise) pour descendre jusqu’aux solutions, pour remonter ensuite afin de voir si les idées se conforment à l’intérêt général. Vous partez d’un problème complexe que vous divisez en problèmes plus simples à résoudre, puis vous vous assurez que les résultats s’alignent sur le problème initial.

Une fois ces solutions confirmées, il ne vous restera plus qu’à les planifier et à les exécuter selon un plan d’action que vous aurez rédigé.

Avantage : entreprise (la vôtre!)

En lisant cet article, vous avez suivi un raisonnement type axé sur le problème de la pénurie de main-d’œuvre. Bien entendu, il importe que tout ce travail soit adapté à votre entreprise plus particulièrement, mais celui-ci doit aussi être développé afin d’envisager d’autres pistes de solution qui ne sont pas évoquées ici.

Le but était de montrer l’avantage d’une prise en compte globale – c’est-à-dire stratégique – d’un problème, pour vous permettre d’élargir les possibilités d’actions afin d’innover et/ou de mettre en œuvre des solutions plus efficaces.

Bien sûr, il ne s’agit ici que de chercher à positionner votre entreprise pour lui donner un avantage par rapport au marché. Le sujet de la pénurie de main-d’œuvre sort de votre champ d’action et doit nécessiter une réponse politique. Comme nous le disions en 2019, il ne faut toutefois pas nous attendre à un changement de situation avant plusieurs années.