Les menaces de récession font planer des incertitudes sur les moyens alloués aux politiques EDI dans les entreprises. Mais le désir de nouvelles pratiques est désormais bien ancré. Qui plus est, ces initiatives visant l’équité, la diversité et l’inclusion sont largement réclamées par les générations arrivant sur le marché du travail.

C’est à la suite de l’abrupte augmentation des taux d’intérêt orchestrée par les banques centrales canadienne et américaine que le mot en R, pour «récession», est apparu sur toutes les lèvres. Dès l’automne 2022, un sondage mené auprès de 657 dirigeants américains montrait que 81% d’entre eux prévoyaient alors une récession imminente dans les six mois à venir. À la lecture du «Suivi hebdomadaire du risque de récession aux États-Unis» publié à la fin de février 2023 par la Banque Nationale, force est de constater que la récession nous guette toujours. Cette publication (qui mesure 16 indicateurs économiques en les comparant à la moyenne historique des trois mois ayant précédé les récessions passées) n’affichait que du jaune, de l’orange et du rouge. Quel effet ce contexte économique aura-t-il sur les pratiques d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) dans les organisations? La réponse pourrait dépendre de la sévérité et de la durée anticipées de la récession, des priorités établies par les organisations et, enfin, du climat sociopolitique.

Des avis divergents

Les consensus scientifiques sont plutôt rares. C’est le cas notamment quand on évoque le réchauffement climatique. Lorsqu’on aborde le sujet de la récession, ces consensus sont encore plus improbables. À titre d’exemple, les prévisions trimestrielles du produit intérieur brut (PIB) américain ont grandement varié selon les sources interrogées. La firme Goldman Sachs et la Philadelphia Federal Reserve Survey of Forecasters anticipaient une année entièrement sous l’égide de la croissance (une récession inexistante donc), alors que The Conference Board prévoyait pour sa part trois trimestres de décroissance du PIB suivis d’un rebond au quatrième trimestre 2023.

Bien sûr, le PIB n’est pas le seul indicateur économique d’une récession. Il fait cependant partie, avec l’indice des prix à la consommation (IPC) et le taux de chômage, de la bonne trinité à surveiller. Or, tant l’IPC que le taux de chômage devraient se rapprocher en cours d’année de leur moyenne historique respective, avant de se stabiliser pour les années à venir, selon les hypothèses prises par la Maison-Blanche pour bâtir son budget 2023. En gardant en tête que la durée moyenne des récessions depuis 1970 est d’un peu plus de cinq trimestres, on en déduit que la récession de 2023, si récession il y a, pourrait s’avérer courte.

Les fonctions de soutien, premières à être réduites lors d’une récession

Nonobstant le spectre de la récession, certaines compagnies semblent déjà avoir entrepris une cure minceur afin d’accroître leur résilience face à toutes ces instabilités. Dans le cas de Boeing, cette cure minceur s’est matérialisée par des coupes dans les fonctions de soutien hors de l’ingénierie et du manufacturier. Début février 2023, la firme aéronautique annonçait s’attendre à «environ 2000 suppressions de postes, principalement dans les finances et les ressources humaines, grâce à une combinaison de non-remplacement de départs et de licenciements».

Ce réflexe de couper ailleurs que dans les activités génératrices de valeur d’une entreprise se reflétait aussi dans le plus récent rapport Work Watch du populaire site de recrutement Monster, puisqu’un employeur sondé sur dix rapportait que les programmes EDI sont parmi les premiers à disparaître lorsqu'il y a obligation de réduire les coûts. Également, les recruteurs sondés par Monster étaient seulement 5% à mentionner l’EDI dans leurs trois priorités pour 2023. Chez Glassdoor, autre populaire site de recrutement, l’économiste en chef Aaron Terrazas expliquait récemment en entrevue que les fonctions non essentielles comme les RH, l’apprentissage et le développement sont toujours les premières choses à être reconsidérées lorsqu’une récession survient. Ce qui n’augure rien de bon pour les politiques d’EDI, qui seront inévitablement scrutées à la loupe.

Contexte sociopolitique

Dans un rapport publié à la fin de 2022, Glassdoor prédisait que les plus jeunes générations allaient être particulièrement favorables à l’instauration de nouvelles pratiques en matière d’équité, de diversité et d’inclusion. L’âge serait en effet une variable déterminante lorsqu’on mesure l’importance accordée à l’EDI dans le milieu de travail.

Glassdoor rapportait donc dans son rapport que «72% des travailleurs et travailleuses âgés de 18 à 34 ans pourraient refuser une offre d’emploi ou même quitter une compagnie si leur gestionnaire ne soutenait pas les initiatives d’EDI», pourcentage le plus élevé parmi tous les groupes d’âge sondés.

Ils étaient pratiquement aussi nombreux à militer pour un équilibre dans la parité des genres au sein du leadership d’une entreprise : 67% des 18 à 35 ans envisageraient d’aller ailleurs si cette parité n’était pas assurée. Il est utile de rappeler que les millénariaux sont, depuis 2017, la génération majoritaire sur le marché de l’emploi.

Ce rapport met en perspective une autre donnée intéressante : la part croissante de compagnies offrant des avantages liés à l’EDI, comme les groupes-ressources d’employés (GRE) et les programmes de formation et de mentorat. Ainsi, au fil des années, autant le Canada que les États-Unis ont progressé. Alors que 32% des entreprises canadiennes offraient de tels avantages en 2017, pas moins de 48% avaient emboîté le pas en 2022. Les pratiques EDI sont donc toujours dans l’air du temps et maintenir celles-ci sera un élément différenciateur clé pour attirer la nouvelle génération dans un marché du travail en pleine mutation.