Article publié dans l'édition Hiver 2021 de Gestion

Alain Dubuc est professeur associé à HEC Montréal.

On a commis l’erreur, au printemps dernier, d’appliquer à la pandémie les schémas analytiques hérités des récessions antérieures. On est en train de faire la même chose pour ce qui est de la sortie de crise.

Les manchettes ont décrit, à coups de statistiques impressionnantes, la pire récession depuis la Grande Dépression des années 1930. Cela en a amené plusieurs à craindre que la sortie de crise serait difficile et que la récupération prendrait des années. Dans une chronique publiée dans ces pages en juin 2020, j’ai expliqué que, comme cette récession – provoquée – était d’une tout autre nature, l’économie ne se comporterait pas comme dans le cas d’une récession classique. Cela m’a permis d’exprimer un certain optimisme et de pencher en faveur des scénarios de reprise plus confiants.


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C’est ce qui s’est produit. Le choc initial a été brutal. Le Québec a perdu 820 000 emplois en deux mois. Mais depuis, la récupération a été très rapide, tant et si bien qu’en septembre dernier, 86,2 % des emplois perdus avaient été récupérés et le niveau d’emploi était à 97,4 % de ce qu’il était au mois de février précédent, avant l’éclosion de la pandémie.

Ce rebond vigoureux s’explique bien entendu par la nature de cette récession. L’économie n’était pas malade : elle avait été mise sur pause.

Bien des secteurs ont retrouvé leur rythme de croisière dès que les autorités ont levé les contraintes socio-sanitaires. Quant aux ménages, la baisse de leurs revenus a été plus que compensée par une hausse des transferts, au point où le revenu disponible des ménages a augmenté. Et comme les citoyens, contraints au confinement, ont moins consommé, leur épargne s’est accrue, ce qui a permis la constitution d’une réserve qui a pu soutenir la reprise.

La deuxième vague, que tous redoutaient, semble quant à elle avoir un impact relativement limité, parce que très peu de secteurs ont dû subir des contraintes additionnelles pour ce qui est de la poursuite de leurs activités. Les effets ont davantage été de nature sociale et psychologique, par exemple sur la vie étudiante et sur les relations interpersonnelles.

Mais là encore, les grandes statistiques économiques ne sont pas d’un grand secours. Vues d’en haut, avec des données qui sont des agrégations ou des moyennes, les choses ne vont pas si mal. Sur le plancher des vaches, c’est une autre histoire, car cette récession se caractérise par le caractère très inégal de ses répercussions : des secteurs en crise profonde, essentiellement ceux dont les activités ont été restreintes ou freinées par la pandémie, coexistent avec d’autres où c’est le retour à la normale. Même inégalité chez les travailleurs, où le choc est particulièrement marqué pour des groupes plus vulnérables comme les immigrants ou les travailleurs peu scolarisés.

Dans ce contexte très particulier d’une récession hors norme où les ventes de piscines explosent et où l’immobilier pète le feu, l’erreur à ne pas commettre, c’est de calquer des politiques conçues pour combattre les effets d’une récession classique.

C’est tout particulièrement le cas des politiques de relance auxquelles songent nos gouvernements. Ces politiques consistent en général à stimuler l’activité économique, à injecter des fonds publics pour faire redémarrer la machine. Outre le fait que les dépenses publiques jouent déjà ce rôle, l’économie, actuellement, n’a pas vraiment besoin de stimuli additionnels.

Le problème, ce n’est pas tant le rythme de croissance de l’économie que le sort qui attend les secteurs bien circonscrits qui ont été dévastés : l’hôtellerie, le transport aérien et l’aéronautique en raison de la fermeture des frontières, la culture et la restauration en raison des restrictions sanitaires, les activités de centre-ville en raison du télétravail imposé aux employés et de la fermeture des campus. Ce dont nous avons besoin, ce sont des interventions ciblées pour aider ces secteurs à traverser cette période difficile et à ne pas se retrouver affaiblis et déstructurés lorsque la crise sera terminée, ainsi que des mesures de réadaptation de la main-d’œuvre. Il faut donc penser à des mesures de sauvetage plutôt qu’à des politiques de relance.

Il ne faut pas non plus commettre l’erreur de confondre ces mesures d’urgence avec des interventions d’une tout autre nature pour adapter notre économie aux réalités du XXIe siècle.

La pandémie, en forçant à l’introspection et en agissant comme un miroir grossissant, a donné plus de vigueur aux réflexions sur la modernisation de l’économie, que ce soit la révolution numérique, la transition énergétique et les questions de main-d’œuvre, notamment les pénuries.

Cependant, il n’y a pas de lien direct entre la pandémie et ces enjeux, déjà bien pressants quand la COVID-19 a commencé à faire ses ravages. La crise a toutefois agi comme un révélateur et un accélérateur en favorisant la prise de conscience et en fournissant aux décideurs un levier pour entreprendre des réformes qui auraient été plus difficiles dans un autre contexte.

Mais il faut éviter de s’attaquer à ces grands projets avec la précipitation qu’on réserve aux interventions d’urgence. Par exemple, dans le cas des grands travaux d’infrastructures, prévus depuis longtemps, les bulldozers ne se mettront en marche que lorsque l’économie aura retrouvé son rythme de croisière et n’auront donc aucune espèce d’effet sur la sortie de crise.


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Il faut s’assurer que les sommes colossales que les gouvernements sont prêts à débourser dans les années à venir soient bien ciblées et moins penser aux retombées pour l’économie d’aujourd’hui qu’aux effets structurants pour l’économie et pour les sociétés de demain.