En décembre 2022, des experts de divers horizons ont publié le Guide sur la santé et le bien-être des entrepreneur(e)s. Il vise à donner des ressources et des trucs aux entrepreneurs pour prévenir ou soulager des problèmes de santé mentale.

Ce n’est pas du luxe. En 2021, une étude montrait que 61% des entrepreneurs peinent à bien gérer leur santé psychologique et qu’un tiers d’entre eux sacrifient leur santé ou leur hygiène de vie à la gestion de leur entreprise[1]. «Pendant longtemps, on a vu les entrepreneurs comme des superhéros que rien n’atteignait, mais c’est faux», souligne Florence Guiliani, professeure en entrepreneuriat à l’Université de Sherbrooke et chercheuse affiliée à l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale – HEC Montréal.

Les recherches récentes soutiennent que le projet d’entrepreneuriat passionne ces individus au point de devenir une partie intégrante de leur identité. Le guide indique que 87% d’entre eux considèrent que leur entreprise fait partie de leur identité et que la plupart des intérêts de 94% d’entre eux sont centrés sur elle. «Plusieurs ont de la difficulté à décrocher, même après les heures de travail, ce qui augmente les risques d’épuisement professionnel», note la chercheuse. Un peu moins de 40% des entrepreneurs éprouvent des troubles du sommeil, selon l’Indice entrepreneurial québécois de 2020.

Montrer de l’ouverture

«Les entrepreneurs manquent toujours de connaissances quant aux impacts positifs du bien-être psychologique sur les individus et leur organisation et n’accordent ainsi pas assez d’importance aux gestes à poser pour le préserver», croit la psychologue Martine Ethier, fondatrice de PsyC4.

Le guide vise donc à susciter une prise de conscience quant à l’importance du bien-être et à donner des trucs pour détecter les problèmes, et surtout, protéger ce bien-être.

La communication arrive très haut dans sa liste. Les entrepreneurs ne devraient pas hésiter à discuter de ces sujets avec leurs proches ou avec d’autres personnes comme un mentor, un coach ou un psychologue. «Aborder ses difficultés avec ouverture peut générer une meilleure compréhension de ce qu’on vit et faire jaillir des pistes de solution», estime-t-elle.

Pour les entrepreneurs, ce n’est pas toujours facile. «Ils n’osent pas en parler à leur équipe et à leurs actionnaires et craignent que ça se sache, parce qu’ils redoutent des retombées négatives sur leur entreprise ou sur leur carrière d’entrepreneur», souligne Luis Cisneros, directeur de l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale - HEC Montréal. C’est encore pire pour ceux qui reprennent une entreprise familiale, car ils hésitent à se confier à leurs proches, qui peuvent avoir eux-mêmes des intérêts dans l’entreprise.

Rester soi-même

Les entrepreneurs devraient aussi améliorer l’harmonisation entre leurs vies personnelle, familiale et professionnelle. «Sinon, la gestion de ces différentes sphères devient très difficile et ça crée de l’anxiété», explique Martine Ethier.

Il ne s’agit pas uniquement de bien partager les heures de la semaine entre ces domaines. «L’important est d’éviter de voir son identité en tant que conjoint, père, ami, etc. disparaître au profit de sa seule identité d’entrepreneur», affirme-t-elle. Planifier des activités régulières comme aller nager ou marcher, passer du temps de qualité en famille ou avec des amis, bref, investir dans ces sphères aide à se protéger.

L’entraide joue aussi un rôle crucial. Les relations avec un mentor ou un coach ou encore la participation à des groupes de soutien avec d’autres entrepreneurs permettent d’échanger avec des gens qui connaissent bien la carrière entrepreneuriale. Ils peuvent vivre ou avoir vécu les mêmes difficultés, ce qui donne l’occasion de discussions enrichissantes.

Admettre sa différence

Les entrepreneurs neuroatypiques (ou neurodivergents) doivent surmonter des obstacles supplémentaires dans la préservation de leur équilibre. On retrouve dans cette grande catégorie des gens aux besoins très différents, comme ceux qui vivent avec un trouble de l’attention (TDAH), avec des troubles du spectre de l’autisme (TSA) ou avec de la dyslexie, dyscalculie, dysorthographie, etc.

«Certaines recherches montrent qu’entre 25 et 35% des personnes qui ont l’intention de devenir entrepreneurs ou qui sont entrepreneurs sont neuroatypiques, et pourtant, ça reste un sujet tabou», déplore Luis Cisneros. Plusieurs entrepreneurs célèbres sont neurodivergents, comme Bill Gates (TDAH et dyslexie), Elon Musk (Asperger), Richard Branson (TDAH et dyslexie), etc.

Luis Cisneros souhaite que l’écosystème entrepreneurial s’adapte un peu plus adéquatement aux besoins des neurodivergents, afin de bien les accompagner. Il conseille aussi aux entrepreneurs qui pensent être neurodivergents ou vivre avec une maladie mentale, comme la bipolarité, de se faire dépister.

«Bien se comprendre permet de trouver des moyens de conserver son équilibre et de mieux fonctionner», affirme-t-il.


Note

[1] St-Jean et al. 2021. Les défis des entrepreneur.es émergent.es du Québec, Institut de recherche sur les PME, Trois-Rivières (Québec).