Dépression : comment réduire son impact sur la performance au travail?
2024-08-30
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2024-08-30
Dépression : comment réduire son impact sur la performance au travail?
Ressources humaines , Management , Santé
Même si la dépression frappe sans distinction, certaines catégories de travailleurs peuvent être davantage touchées par des troubles liés à la santé mentale. Et lorsqu’une crise frappe, les effets sont décuplés. Sans surprise, ces épisodes entraîneront des répercussions sur la productivité des employés concernés. Heureusement, certains facteurs de protection existent.
La santé mentale au travail est un enjeu majeur. Ainsi, une étude[1] publiée en 2020 par la Harvard Business Review révélait que 67% des travailleurs ont des niveaux élevés de stress, ressentent une perte de contrôle et sont extrêmement fatigués[2]. Au bout du compte, la dépression, cet état négatif marqué par la tristesse, l’inactivité et un manque d’intérêt généralisé, peut finir par s’installer. Pire encore, parmi les employés les plus engagés et les plus dévoués au travail, un sur cinq risque de souffrir d’épuisement professionnel[3]. Un tableau peu reluisant qui rappelle à quel point les enjeux de santé mentale sont toujours bien présents en milieu de travail.
Des employés plus touchés que d’autres
Si nous pouvons tous être touchés par la dépression, il reste que certaines catégories d’emploi y sont davantage exposées. Ainsi, une recherche a démontré que 40%[4] des professionnels de la vente afficheraient des troubles liés à la santé mentale trois fois plus élevés que les autres travailleurs, faisant de la vente l’une des activités professionnelles où les niveaux de dépression sont les plus élevés.
Qui sont ces travailleurs? Ce sont essentiellement des employés de première ligne qui interagissent avec des clients pour promouvoir des services ou des produits en lien avec leurs besoins sur le plan des affaires. Ils peuvent œuvrer dans différents domaines, par exemple, la santé (industries pharmaceutique, médicale, dentaire), l’agroalimentaire, le secteur bancaire et les assurances, ainsi que les secteurs industriel, manufacturier ou des hautes technologies.
Il s’agit de métiers exigeants, car ils nécessitent d’entretenir avec autrui – collègues, gestionnaires, clients, fournisseurs, etc. – des relations dans lesquelles on peut se sentir observé ou préoccupé par le regard (et parfois le jugement) des autres. Ces employés évoluent aussi dans un environnement très compétitif, parfois hostile et en évolution constante, où les clients sont plus informés et plus exigeants que jamais[5] Cela demande donc de s’adapter constamment, tout en travaillant sous une forte pression sur le plan de la performance.
Enfin, les professionnels de la vente se retrouvent souvent seuls sur la route ou devant leur écran en mode virtuel, la plupart du temps sans supervision. Au bout du compte, cela augmente leur sentiment d’isolement et de solitude, en plus de provoquer un certain malaise social[6].
Au regard de ces constats, on comprendra qu’au début de 2020, de nombreux vendeurs ont abordé la pandémie en se sentant vulnérables et déjà fragilisés sur le plan de la santé mentale. Dès lors, non seulement la crise allait modifier considérablement leur environnement professionnel, mais les exigences en matière de télétravail et de distanciation sociale allaient les priver du soutien de leurs collègues et de leurs amis, leur laissant peu de ressources pour faire face à des exigences croissantes.
Une recherche publiée en 2020 sur la gestion des équipes de vente donnait déjà un bon aperçu des contrecoups de la pandémie sur ces professionnels[7]. On notait entre autres une augmentation des troubles de santé mentale (stress, anxiété sociale) et physique (maux de tête, insomnie), mais nous avons voulu aller plus loin.
Des constats révélateurs
En 2020, nous avons donc réalisé une étude auprès de 145 vendeurs interentreprises (business-to-business ou B2B) œuvrant dans le domaine des services financiers[8]. Notre objectif? Examiner, en période de crise, la performance d’employés déjà fragilisés présentant des symptômes de dépression.
Nous voulions aussi évaluer si certaines ressources pouvaient en réduire les effets néfastes et constituer des facteurs de protection. En premier lieu, nous avons étudié l’adaptabilité au travail, c’est-à-dire la capacité de faire preuve de flexibilité et de modifier ses comportements en fonction de la situation. Autre élément examiné : le soutien de la famille, lorsque les proches donnent de l’encouragement, de l’attention, des conseils, et qu’ils se montrent compréhensifs et positifs. Enfin, nous avons aussi évalué les retombées du soutien apporté par le superviseur, notamment sa capacité à fournir de la rétroaction, à aider à l’apprentissage et à l’amélioration, et à fournir des informations utiles.
Nos constats sont extrêmement révélateurs : il est apparu clairement que la dépression diminue la performance des vendeurs, et plus encore en période de crise comme celle que nous avons connue durant la pandémie.
En revanche, tant l’adaptabilité au travail que le soutien de la famille et du superviseur atténuent les effets négatifs de ce trouble sur la performance. À cet égard, c’est lorsque toutes nos références explosent et que l’on se retrouve littéralement en état de survie que le soutien du gestionnaire prend tout son sens et s’avère particulièrement précieux.
Des bienfaits pour de nombreux travailleurs
Fait à noter, il n’y a pas que les professionnels de la vente qui peuvent tirer profit de ces différentes stratégies pour réduire et atténuer les effets néfastes de la dépression. Ces techniques peuvent en effet s’appliquer à la grande majorité des employés, y compris les gestionnaires, les directeurs et même les entrepreneurs. Elles peuvent aussi avoir un effet bénéfique non seulement sur les professionnels du secteur de la santé – comme les infirmières, les médecins, les employés de soutien et les travailleurs spécialisés –, mais aussi sur ceux des domaines de l’enseignement, de la psychologie et du travail social. L’impact de ces techniques peut également s’étendre aux travailleurs du secteur de la sécurité (policiers, employés des services correctionnels, ambulanciers, pompiers, etc.), du droit (huissiers, notaires, avocats, juges, etc.) et, de façon générale, à tous les professionnels qui ont des contacts humains fréquents, qui subissent une pression constante et qui ont des échéanciers à respecter.
En somme, les avantages de ces stratégies visant à atténuer les effets de la dépression ne se limitent pas aux professionnels de la vente : ils englobent l’ensemble des travailleurs qui sont en contact avec autrui. L’intégration de ces approches dans le milieu professionnel offre donc un potentiel significatif d’amélioration de la santé mentale et de la résilience dans une grande variété de professions.
Les stratégies à appliquerIl est essentiel de valoriser et de former adéquatement les employés de première ligne, afin de lever les tabous en matière de santé mentale. Encourager et fournir le soutien nécessaire pour favoriser l’adaptabilité au travail et valoriser l’aide de la famille s’avère également crucial. Quant aux gestionnaires, ils devraient être mieux outillés pour pouvoir assumer le rôle critique qu’ils ont à jouer auprès des travailleurs. Ainsi, un gestionnaire qui apporte de l’aide concrète, qui n’est pas avare de mots d’encouragement et de commentaires constructifs, qui manifeste de la reconnaissance et qui offre du renforcement positif tout en misant sur un environnement de travail sain et équitable aura un impact considérable sur le bien-être et le rendement de ses vendeurs. Lorsque le gestionnaire se montre bienveillant et à l’écoute, son équipe est assurément plus motivée, engagée, productive et surtout, moins stressée. L’apport bénéfique du soutien des gestionnaires est particulièrement notable chez les vendeurs épuisés, anxieux ou travaillant seuls[9]. |
Article publié dans l’édition Été 2024 de Gestion
Notes
[1] Valcour, M., «Beating burnout», Harvard Business Review, vol. 94, n°11, 2016, p. 98-101.
[2] Smith, R., «How CEOs can support employee mental health in a crisis» (article en ligne), Harvard Business Review, 1er mai 2020.
[3] Seppala, E., et Moeller, J., «1 in 5 highly engaged employees is at risk of burnout» (article en ligne), Harvard Business Review, 2 février 2018.
[4] Beute, E., «Mental health in sales: More than 40% struggle» (article en ligne), BombBomb, 14 avril 2020.
[5] Lussier, B., et Hartmann, N. N., «How psychological resourcefulness increases salesperson’s sales performance and the satisfaction of their customers: Exploring the mediating role of customer-oriented behaviors», Industrial Marketing Management, vol. 62, 2017, p. 160-170.
[6] Lussier, B., «L’anxiété sociale et ses effets néfastes sur la performance», Gestion HEC Montréal, vol. 46, n°3, 2021, p. 36-39.
[7] Hartmann, N. N., et Lussier, B., «Managing the sales force through the unexpected exogenous COVID-19 crisis», Industrial Marketing Management, vol. 88, 2020, p. 101-111.
[8] Lussier, B., Beeler, L., Bolander, W., et Hartmann, N. N., «Alleviating the negative effects of salesperson depression on performance during a crisis: Examining the role of job resources», Industrial Marketing Management, vol. 111, 2023, p. 173-188.
[9] Lussier, B., «Isolés, pressurisés, stressés : voici comment réduire l’anxiété sociale chez les professionnels de la vente» (article en ligne), La Conversation, 2 février 2023.
Ressources humaines , Management , Santé