Environnement, équité, diversité, inclusion… Certains employés décident de quitter leur emploi parce qu’il n’est pas aligné avec leurs valeurs. Une tendance appelée «démission consciente» ou «conscious quitting».

Plus d’un employé sur trois (35%) a déjà abandonné un emploi parce que les valeurs de l’entreprise ne correspondaient pas aux siens, montre une étude publiée en 2023. Un phénomène surnommé «conscious quitting» par l’auteur de celle-ci, Paul Polman, ancien PDG d’Unilever. Cette proportion grimpe à près de 50% chez les jeunes de la génération Z et chez les millénariaux. Mais qu’est-ce qui peut bien pousser un employé à envisager qu’une seule issue possible, soit quitter son emploi?

Vivre au quotidien avec des actions contrevenant avec ses principes peut être lourd à porter, répond Julie Carignan, CRHA, psychologue industrielle et associée chez Humance. «Quand on n’est pas à l’aise viscéralement avec ce qui se passe en entreprise, c’est très mauvais pour la santé psychologique, et parfois physique. On vit du stress supplémentaire, on a du mal à dormir», donne-t-elle en exemple. Démissionner permet donc de se sortir d’une situation néfaste à long terme.

En effet, c’est quand notre bonheur au travail est mis en péril qu’on peut être tenté de tout laisser tomber, renchérit Michel Séguin, professeur au Département d'organisation et ressources humaines de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). De son avis, l'humain est conscient qu'il a besoin des autres et c’est justement pour conserver sa place dans le groupe qu’il adhère à certains codes. Y contrevenir menace en quelque sorte sa sécurité psychologique. «Pour vaincre l’anxiété, les individus vont se créer un plan de match et identifier une série de règles pour assurer leur avenir. Adhérer à des principes moraux en fait partie», note-t-il. C’est pourquoi se trouver en dissonance cognitive nous rend malheureux, selon lui.

Série - Démission

Bien réfléchir avant d’agir

Si certains gestes comme la fraude, le harcèlement ou la falsification d’information sont des fautes graves, les situations qui contreviennent aux principes des travailleurs ne sont pas toujours aussi tranchées. D’autant que chacun adhère à un système de valeurs qui a ses propres particularités, avance Michel Séguin. C’est pourquoi il faut parfois relativiser les choses avant d’envoyer sa lettre de démission, pense-t-il.

 «Je dis toujours aux gens d’essayer de faire preuve d’une certaine ouverture et de se rappeler que les valeurs, les principes moraux, évoluent dans le temps», affirme le professeur. Si bien que, tant en société qu’en entreprise, il faut parfois mettre de l’eau dans son vin. «Parfois, l’autre n’adhère pas au même système de valeurs que nous, mais il faut aussi comprendre quelles sont ses intentions», ajoute-t-il.

De plus, précise Julie Carignan, les employés ne sont pas toujours au courant des décisions prises au plus haut niveau. Cela peut créer une perception d’injustice ou d’incohérence, alors que des informations confidentielles ou des détails stratégiques leur échappent. «Il faut admettre que, souvent dans une organisation, tout n’est pas complètement noir ou blanc, explique-t-elle. Il ne faut pas sauter trop vite aux conclusions et avoir l’humilité de se dire qu’on ne connaît peut-être pas toute l’histoire.»

Affronter la tempête

Quand on sent qu’il y a une entorse à ses valeurs, Julie Carignan propose d’évaluer si la situation qui nous affecte est passagère ou non. «Si une personne dont la façon de gérer contrevient à nos valeurs est nommée par intérim, par exemple, il faut voir si on est capable de retenir son souffle pendant son mandat, sans se noyer.» La psychologue suggère alors de s’entourer d’alliés et de faire encore plus attention à soi, pour se protéger.

Elle recommande aussi d’analyser sa capacité à influencer le cours des choses. «Est-ce qu’il existe un espace pour faire connaître le caractère toxique de ce gestionnaire, pour faire changer une décision qui heurte mes valeurs? Parfois, on a du contrôle sur la situation, on peut agir. D’autres fois, ce n’est pas le cas. Alors, est-il possible de choisir de faire confiance à la personne qui aura à trancher qu’elle prendra la bonne décision?»

Avant de claquer la porte, Julie Carignan propose aussi de s’ouvrir avec son gestionnaire ou avec une personne plus neutre, comme un responsable des ressources humaines. Si ces discussions peuvent être malaisantes et comporter des risques, admet-elle, la psychologue souligne que cette conversation pourrait être bénéfique avant de tout quitter. «Rendu à ce point, on n’a plus grand-chose à perdre, note-t-elle. Et peut-être que cette rencontre va permettre de mettre les choses en perspectives.»

Bref, démissionner n’est jamais facile. Or, il faut parfois résister à l’envie de quitter trop vite. «Parfois, il peut valoir la peine d’essayer de faire avancer les choses de l’intérieur, d’exercer son influence, avant de jeter la serviette», conclut Julie Carignan.