Pour les non-initiés, le langage agile peut sembler quelque peu ésotérique, voire intimidant. Pourtant, la plupart de ses méthodes demeurent relativement simples à comprendre et peuvent s’adapter à différents contextes.

Les trois principales méthodes agiles sont le Scrum, le Kanban et le Scrumban (voir le lexique). Très prescriptif, le Scrum a été pensé pour les projets d’innovation marqués par beaucoup de variables inconnues et menés par des équipes dédiées. Le Kanban, beaucoup plus souple, est davantage conçu pour devenir agile dans un environnement d’opérations quotidiennes ponctué d’imprévus, avec des équipes assignées à plusieurs tâches. Le Scrumban constitue un hybride des deux approches.

«Ce sont des recettes que personne n’est obligé de suivre à la lettre et plusieurs organisations construisent leur méthode maison», avance Marc Messier, consultant en gestion de projet et intelligence d’affaires et chargé de cours à HEC Montréal.

Une gestion plus fluide

Alloprof, organisme qui offre de l’accompagnement scolaire aux élèves du Québec, a très bien compris ce principe. En 2011 son directeur du développement numérique de l’époque, Frédéric Blanchet — directeur des opérations depuis 2020 — se fait proposer d’agir comme PO («product owner») de la refonte du site Internet, réalisée en collaboration avec Microsoft. Comme il n’avait jamais entendu parler des méthodes agiles, il s’empresse de suivre une formation intensive de quelques jours pour en acquérir les bases.

L’équipe chargée de remanier le site a suivi la méthode Scrum à la lettre. Frédéric Blanchet découvre ensuite la méthode Kanban, qu’il juge particulièrement bien appropriée à la production de contenu de son organisme, car elle est très centrée sur les flux de production. «J’ai finalement mélangé les deux méthodes et conçu un Scrumban adapté à nos besoins», résume-t-il.

Une équipe d’une quinzaine de salariés génère des contenus de diverses natures à temps plein (fiches, vidéos, exercices, questionnaires, etc.). L’organisme a créé un «backlog» de tâches dans lequel chacune est chiffrée en fonction d’une estimation de sa durée et de sa complexité. Ce pointage permet d’évaluer ce qu’une équipe de deux ou trois personnes peut accomplir pendant un sprint de trois semaines.

L’an dernier, Alloprof a reçu un contrat inattendu du gouvernement du Québec pour réaliser des vidéos de minirécupération. Sa méthode de pointage lui a permis d’évaluer rapidement la charge de ce projet et de s’adapter. «En trois jours, nous avons démarré la machine et moins de trois semaines plus tard, les premiers tournages commençaient», raconte Frédéric Blanchet.

Selon lui, les méthodes agiles aident à mieux voir ce qui est passé et ce qui s’en vient. Cela facilite la planification ainsi que la reddition de compte dans des projets en partenariat. «Cette gestion plus structurée devient très mobilisatrice, puisque tous les travailleurs gardent une vision claire des projets», ajoute-t-il.

Créer sa recette

Claude Emond, coach en performance organisationnelle et président de Quali-Scope, pousse l’adaptation des méthodes agiles un cran plus loin. Jusqu’à proposer des approches qu’il qualifie lui-même d’hérétiques. «Il n’existe pas une méthode absolue qui convient à tout le monde, croit-il. On doit trouver sa propre recette et savoir l’adapter avec le temps. Être agile, c’est d’abord être flexible, créateur et innovant.»

Claude Emond n’hésite donc pas à commettre l’impensable, au risque de faire hurler les puristes : réunir le développement en cascade et les méthodes agiles. C’est ce qu’il appelle la wagilité, c’est-à-dire l’intégration de certaines pratiques agiles dans un modèle en cascade, sans altérer de manière significative ce dernier. «Les partisans de l’agile opposent généralement le développement agile, qui refuse les séquences, au développement séquentiel en cascade, mais dans plusieurs projets, le séquencement devient un incontournable, indique-t-il. Ça n’empêche pas d’y jumeler des pratiques comme Scrum pour augmenter l’agilité dans chaque étape.»

Claude Emond appelle cela des «boucles agiles». «On conserve l’approche traditionnelle dite “stage-gate”, qui gèle les dates auxquelles un projet doit franchir certaines étapes, explique-t-il. Mais à l’intérieur de ces phases, on découpe l’activité en multiples sprints, dont la longueur fluctuera en fonction du degré d’incertitude et du niveau d’avancement du projet».

Autre hérésie : l’utilisation des méthodes agiles dans la gestion multiprojets. Puisqu’en agile, les équipes ne doivent travailler à temps plein que sur un projet à la fois, ces méthodes s’adapteraient mal aux situations où une équipe doit mener plusieurs projets d’innovation en même temps, à des contextes où des experts passent d’une équipe à une autre ou encore à des environnements d’affaires variables qui changent rapidement les priorités. «Il y a pourtant plusieurs solutions que l’on peut apporter pour régler cela, par exemple varier la durée des sprints et créer un sprint global ainsi qu’une rétrospective multiprojets», précise Claude Emond.

L’important pour lui reste de savoir pourquoi on veut intégrer des techniques agiles, et surtout, de s’assurer que toute l’organisation évolue ensemble vers ces nouvelles approches. «Si l'on partage les mêmes raisons d'utiliser l'agile et des objectifs communs, on pourra construire les approches qui conviennent», conclut-il. 

Petit lexique agile

  • Scrum

Cadre de travail organisé autour de «sprints» de développement (itérations) d’une durée de deux à quatre semaines.

  •  Sprints

Courtes périodes de développement d’un produit ou d’un service. Elles aident à décomposer un projet ou un problème complexe en petites parties plus faciles à réaliser ou à résoudre.

  • Kanban

Cette méthode se base sur un système de cartes pour visualiser les flux de travail sur un tableau, prioriser les tâches et suivre leur état d’avancement. Les cartes sont classées en trois colonnes : à faire, en cours et réalisé.

  • Scrumban

Cette approche combine le cadre strict du Scrum et la vision en flux continu du Kanban.

  • Stand-up

Réunions quotidiennes de 10-15 minutes organisées pendant toute la durée d’un sprint. Elles servent à partager l’information, à discuter des blocages et à les résoudre. 

  • Rétrospective

Chaque fin de sprint est marquée par une rétrospective pour revenir sur ce qui a bien ou mal fonctionné. Plusieurs procédés différents («six chapeaux», «cinq questions», «étoile de mer», etc.) peuvent être utilisés.

  • SAFe

Approche plus récente (2011) servant à intégrer l’approche agile à l’échelle de l’entreprise, plutôt que d’une équipe. Il s’agit d’instaurer un langage et des bases communes afin de créer un cadre d’organisation agile.