Jean-Jacques Stréliski / Crédits : Isabelle Salmon / Numéro 7

Jean-Jacques Stréliski 

Point de vue publié dans l'édition automne 2015 de Gestion

L’occasion était trop belle. Je ne pouvais pas la laisser passer.

Janvier 2015. Tandis que je prépare les sujets des différents travaux de session, mon collègue Pierre Balloffet, professeur agrégé et directeur du programme du DESS de communication marketing, me demande dans un courriel si j’ai déjà un cas sur lequel faire plancher mes étudiants. Son mot ne pouvait mieux tomber. Un adon particulièrement circonstanciel. Il m’informe qu’Eric Brunelle et Jean-Marc Gauthier, artisans motivés par un rajeunissement de la revue Gestion, seraient preneurs. Situation de rêve pour le vieux praticien et (nouveau) pédagogue que je suis.  : dynamiser le positionnement d’une marque (la revue Gestion) dans le respect rigoureux des valeurs de sa marque mère (HEC Montréal). J’accepte la proposition sur-le-champ. Je connais bien la revue : c’est une petite mine d’or d’articles universitaires finement vulgarisés qui – ses opérateurs l’ont bien compris – appelle un ajustement conforme aux usages qui bouleversent désormais l’ensemble du monde des médias. Gestion n’y échappera donc pas. J’accepte derechef.


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Pour mes étudiants, deux cheminements allaient dès lors devoir cohabiter, puis se rencontrer (pour ne pas dire se télescoper) dans le déroulement de ce travail. Celui de l’étude théorique de l’historique, de l’image et de la stratégie de marque et celui, immédiatement applicable, d’une recommandation dans un univers en plein changement – en mode pitch de surcroît. Bref, un exercice de haute voltige. La commande n’était pas simple.

L’honnêteté pour nous – Gestion et moi – consistait à mettre à la disposition des étudiants une matière aussi complète et aussi transparente que possible, en définissant ses véritables enjeux et ses potentielles limites. Il nous a donc fallu organiser dans un premier temps une séance de briefing tout à fait conforme à celles mises en pratique dans l’industrie et enseignées à l’école.

Toujours ce même double circuit, en insistant sur la volatilité des usages et sur la nécessaire protection des acquis de la marque. Ou, plutôt, des marques. Dans le cadre de ce DESS, produit conjoint de l’industrie (Association des agences de publicité du Québec) et de HEC Montréal, nous mettons un point d’honneur à créer les simulations les plus proches des usages dans des cas réels. Cet exercice vise à donner naissance à des recommandations non seulement appréciées des annonceurs mais possédant déjà un excellent potentiel d’efficience et d’applicabilité immédiates. Durant huit semaines de développement, les équipes abattront un imposant travail, ponctué de répétitions et de rencontres avec « le client ».

Avril 2015. Trois mois plus tard, les dés sont jetés. Les vraies choses commencent. Une à une se succèdent sept équipes de quatre ou cinq étudiants chacune. La fébrilité des grands jours est palpable. La nervosité aussi. La préparation mentale et organisationnelle est évidente. Tout cela transpire les répétitions, les longues heures de remise en question, la formulation des choix stratégiques et des points de vue, l’écoute de l’intuition, l’arrimage des convictions. Bref, la quête des solutions innovantes mises en forme graphiquement et créativement. On vient de passer à la vitesse supérieure. Foin, donc, de ces étudiants malhabiles et hésitants de début de session. Ceux qui se présentent en ce jour devant nous jouent en mode professionnel. En mode compétition. On joue pour gagner. Personne ne se fera de cadeau. Sur sept équipes, quatre ont fait preuve d’une grande agilité en ce qui a trait à l’adéquation avec les pratiques et les technologies nouvelles. Au sein du jury, on s’étonne, on accueille, on jubile. La somme de travail abattu est considérable mais, mieux encore, la qualité des recommandations formulées est, dans le cas d’une équipe (l’équipe gagnante), exceptionnelle sur l’ensemble des critères qui encadrent le mandat (académique, analytique, stratégique, budgétaire et … innovant).


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La confidentialité à laquelle sont tenus la revue Gestion et le DESS ne m’autorise pas (pour le moment) à publier les noms des gagnants et le contenu de leur réflexion. Récemment réunis autour d’un verre de l’amitié, Eric Brunelle, Jean-Marc Gauthier et moi-même étions fiers de communiquer aux membres de l’équipe notre enthousiasme et notre appréciation devant la qualité de leur prestation et le bien-fondé de leurs recommandations. Confidence leur a été faite que leur apport sera mis à contribution. Ce qui n’était à l’origine qu’un routinier et obligatoire travail de session s’avère désormais une collaboration. Nous venons de faire un formidable bout de chemin. Ensemble. Étudiants, enseignants et demandeurs.

Sur le chemin du retour, je marche tranquillement et tente de mettre en perspective ce qui donne sens aujourd’hui à ce dernier pan de ma carrière. Une nécessaire réflexion sur le phénomène des transferts et des partages cogénérationnels dans laquelle je suis plongé comme une grande majorité de mes collègues enseignants. Un terrain de passion. Comme dans une ultime mission.

Les nouveaux murs de la connaissance se bâtiront, maîtres et étudiants ensemble. Le ciment qui les fera tenir sera ce composite moderne né de la maîtrise des nouvelles technologies et des nouveaux usages, une hybridation créative des savoirs et des pratiques. D’où qu’ils proviennent. Il exigera entre autres de s’investir tout autant dans le « comprendre » que dans l’« apprendre ».

Au sein de notre école, il est clair désormais que de tels points de vue s’affirment de jour en jour. Mieux encore, ils serviront grandement à solidifier la marque de l’école dans les voies nouvelles qu’elle veut se tracer en matière d’innovation et de formation de dirigeants audacieux. Lors de l’inauguration récente et du lancement de l’École des dirigeants (ED), notre directeur, Michel Patry, et Alain Gosselin, directeur de l’ED, ont chacun solennellement déclaré qu’elles seront les chevilles ouvrières du développement universitaire et pratique, voire du développement économique futur.

Nous sommes tous les repères et les influenceurs de nos avancées. Nous ne vivons que d’échanges et de mots prononcés, de notions complexes à partager et à expérimenter plus simplement. Personne ne doit plus rester campé sur ses propres certitudes. Dans ses propres silos. Le monde change trop vite.

Dans son discours prononcé lors de l’inauguration de l’École des dirigeants, Daniel F. Muzyka, le bouillant président du Conference Board du Canada, a utilisé non sans humour cette métaphore solide pour exprimer le virage que les CEO d’aujourd’hui doivent opérer pour accéder à la croissance tant attendue : « Si vous avez trop pressé un citron … changez de citron. »

L’économie du partage est un formidable verger potentiel. Et le savoir est un citron intarissable.