Pour conduire leur entreprise à travers une tempête, comme la pandémie de COVID-19, les cadres doivent adopter une posture différente de celle qu’ils ont l’habitude de revêtir lorsque le contexte est stable. Comment les organisations peuvent-elles alors permettre aux gestionnaires de réfléchir aux mécanismes qui contribuent à la résilience de leur entité?

Les répercussions de la pandémie sur le fonctionnement opérationnel des hôpitaux sont considérables. Les établissements ont passé à travers une première vague dont les principaux enjeux touchaient le risque vital et la disponibilité de matériel. Les vagues successives ont ensuite fait évoluer ces enjeux vers une difficulté relative à la durée de la pandémie qui nécessite encore aujourd’hui une endurance hors norme, tant des organisations que de ses membres.

D’une gestion en mode crise, les organisations sont passées à une gestion en mode poursuite de résilience, dont les postures – et les moyens nécessaires – ne sont pas identiques.

L’influence de l’environnement

En matière de résilience organisationnelle, l’environnement dans lequel une entreprise évolue revêt une importance fondamentale. L’organisation est directement dépendante de l’état de l’économie dans laquelle elle œuvre, mais également de ses évolutions politiques et légales.

Les influences sociétales ont des répercussions sur le bon fonctionnement d’une entreprise, au même titre que les enjeux technologiques ou logistiques auxquels elle se confronte. Cet environnement exerce une pression sur l’organisation par l’intermédiaire de facteurs déstabilisants. À l’inverse, cet environnement peut agir comme un tuteur protecteur, puisqu’il peut favoriser à court et à long terme la stabilité d’une organisation, notamment par des mesures de soutien économiques ou politiques.

Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) constituent le principal centre hospitalier de cette ville d’Europe et le plus grand hôpital de Suisse. Les HUG évoluent au sein d’un environnement dont les standards nationaux et internationaux poussent à l’excellence.

Le manque de moyens logistiques disponibles lors de la première vague a eu un effet direct sur le flux de patients arrivant notamment au service de soins intensifs des HUG. Il a exercé une pression jamais connue jusque-là sur la capacité de prise en charge de l’établissement.

La membrane de l’organisation

En biologie, la membrane est un tissu organique qui sépare la cellule de son environnement. Pour une entreprise, le terme membrane est utilisé à titre métaphorique pour décrire le tissu administratif qui regroupe les membres de l’organisation et qui les sépare de l’environnement externe.

Cette membrane existe par l’intermédiaire de la mission de l’organisation, qui dicte ce pour quoi cette dernière a été mise en place. Elle inclut la vision de l’entreprise (qui détermine le chemin qu’elle doit suivre pour atteindre sa mission) et ses valeurs (qui constituent les postures institutionnelles qu’elle prône).

En situation de crise, cette membrane représente le socle sur lequel la résilience de l’entreprise se fonde. Elle doit être particulièrement bien protégée, puisqu’elle détermine le sens profond de l’existence de l’organisation. La mission des HUG leur est confiée par la loi et leur vision d’excellence leur est insufflée par les métiers de ceux qui y travaillent. Les valeurs ont constitué – et continuent à constituer – le véritable liant des HUG.

Au plus fort de la crise, c’est par l’intermédiaire de vidéos hebdomadaires que le directeur général des HUG s’est adressé à l’ensemble des membres de l’organisation – soit plus de 13 000 personnes, dont près de 75 % de médico-soignants – pour expliquer les enjeux et les choix réalisés par l’hôpital. Les cadres ont également accentué leur présence auprès des équipes afin de rassembler et de motiver tout le personnel. Une présence institutionnelle très forte sur le terrain est indispensable pour rester en cohérence avec les valeurs de l’institution.

En situation d’incertitude, la structure opérationnelle se scinde généralement en deux, de manière temporaire :

  1. une structure qui poursuit son activité standard;
  2. une structure temporaire quasi indépendante qui la protège des turbulences en cours et se charge de conduire la crise.

Le niveau de maturité des processus internes permet à l’organisation de répondre de manière plus ou moins rapide à la situation d’incertitude. Si les processus ne sont pas efficaces avant même qu’une situation extraordinaire ne survienne, il est fort à parier que l’organisation n’aura pas toute la capacité d’adaptation voulue pour résister aux nouvelles turbulences.

Dès le début de la crise communiquée par les autorités suisses en décembre 2019, les HUG ont monté une cellule de gestion de crise spécifique composée de spécialistes pour ce type de situations. Ils ont organisé leurs activités selon deux axes :

  1. un premier axe basé sur la gestion de la situation d’urgence pour organiser et répartir les moyens disponibles et faire face à la situation;
  2. un second axe fondé sur l’anticipation de l’évolution sanitaire pour imaginer les futurs possibles afin d’anticiper la planification des ressources nécessaires et leur préparation.

Si ces fondamentaux représentent la base sur laquelle l’organisation peut construire sa résilience, ils ne sont néanmoins pas suffisants à eux seuls. Une difficulté majeure de cette crise sanitaire réside dans le fait qu’elle s’est installée dans la durée.

À plus long terme, l’entreprise doit pouvoir revenir vers un mode de gestion normal, sans quoi elle évolue vers une phase d’épuisement qui pourrait lui être fatale. L’organisation doit déployer rapidement des moyens supplémentaires pour tenir bon dans un environnement qui a durablement changé, tout en adaptant les interactions entre les membres de ses équipes.

L’adaptation : les facteurs collectifs

En situation extraordinaire, certains cadres généralement effacés deviennent de véritables leaders. A contrario, d’autres gestionnaires, habituellement efficaces en situation normale, adoptent une posture plus effacée dans un contexte difficile.

Tous les individus n’ont pas un degré de tolérance identique à l’incertitude et l’organisation doit savoir intégrer cette réalité en adaptant provisoirement sa forme de leadership à la situation exceptionnelle. Lorsque les bouleversements sont de courte durée, les cadres, qui ont dû momentanément ajouter à leur charge habituelle des tâches en gestion de crise, peuvent revenir à un mode de gestion normal rapidement. Mais lorsque la crise perdure, cette concentration de sollicitation sur un groupe restreint de cadres doit être gérée par l’organisation. Celle-ci doit alors orchestrer la planification des rôles dans le temps de manière à équilibrer la charge de travail de chacun et engager des moyens supplémentaires afin de renforcer ses capacités.

La hausse brutale des hospitalisations dans les HUG, lors des premières vagues de la pandémie, a entraîné des changements d’affectation du personnel médico-soignant vers les unités COVID. Si la solidarité et l’agilité des équipes ont prévalu pendant l’année 2020, le personnel a commencé à exprimer une lassitude légitime face à ces changements lors de la quatrième vague.

La proximité entre les membres d’un même groupe – voire parfois l’amitié et l’estime interpersonnelle s’étant construites au fil du temps – peut constituer un socle fort de résilience collective. Au-delà des valeurs institutionnelles transversales de l’organisation, l’identité d’un groupe, fondée sur des valeurs communes, peut souder les membres de l’équipe et les aider à se dépasser dans l’adversité1.

L’adaptation : les facteurs individuels

Des techniques issues du domaine de la préparation mentale dans le milieu du sport peuvent être utilisées pour faire face à un contexte difficile qui perdure. Par exemple, la visualisation, qui consiste à se représenter mentalement les événements et les issues favorables, peut contribuer à maintenir un dynamisme de résilience, et ce, tant que le gestionnaire dispose des ressources nécessaires2.

De plus, le cadre doit s’autoriser un temps de repos pour se retrouver afin de se détacher et d’avoir une autre perspective de la situation3. Il est important pendant ce temps qu’il laisse sa fonction de côté pour se ressourcer au sein de son cercle d’intimité.

Cette permission qu’il se donne à s’extraire temporairement du flux de crise nécessite néanmoins de faire preuve d’une certaine dose d’humilité en reconnaissant que sa présence n’est pas indispensable. Il doit ainsi faire confiance aux autres cadres de l’organisation.

Enfin, l’exercice de debriefing avec un tiers neutre permet au dirigeant de réévaluer les situations vécues et de réfléchir à ses propres stratégies d’adaptation ou, en d’autres termes, de remettre en perspective la situation rencontrée4.

L’individu faisant face à une situation d’incertitude, et qui estime ne pas avoir de ressources suffisantes pour surmonter le défi identifié, doit avoir accès à du soutien externe et pouvoir recevoir l’aide de ses pairs afin de réévaluer la situation et d’identifier des stratégies pour réagir de manière adéquate.

Si les entreprises ont jusqu’ici fait preuve d’une certaine résistance en adoptant des stratégies de crise, il est nécessaire aujourd’hui, pour bon nombre d’organisations, d’adopter des stratégies de résilience. Celles-ci nécessitent de prendre conscience que la situation de crise sera probablement amenée à se prolonger dans le temps.

Fortes de l’acceptation de ce nouvel état de fait, les entreprises devront engager des moyens supplémentaires pour leur permettre de revenir à des cadences de travail plus faibles et cohérentes, sans quoi elles s’orienteront lentement vers un épuisement collectif.

Pour faire preuve de résilience sur une plus longue période, les entreprises doivent ainsi changer de paradigme : il ne s’agit plus de rechercher l’efficience, mais bien de doter leur organisation de moyens supplémentaires.


Notes

1. Morgan, P. B. C., Fletcher, D., et Sarkar, M., « Defining and characterizing team resilience in elite sport », Psychology of Sport and Exercise, vol. 14, n° 4, 2013, p. 549‑559. 

2. Bryan, C., O’Shea, D., et MacIntyre, T. E., « The what, how, where and when of resilience as a dynamic, episodic, self-regulating system : A response to Hill et al. », Sport, Exercise, and Performance Psychology, 7, n°4, 2018, p. 355‑362.

3. Kegelaers, J., Wylleman, P., et Oudejans, R. R. D., « A coach perspective on the use of planned disruptions in high-performance sports », Sport, Exercise, and Performance Psychology, 9, n° 1, 2020, p. 29‑44.

4. Ibid