De l’écoanxiété jusqu’à l’écodémission
2025-01-16
French
https://www.revuegestion.ca/de-lecoanxiete-jusqua-lecodemission
2024-11-28
De l’écoanxiété jusqu’à l’écodémission
Ressources humaines , Management
Quitter son emploi par conviction écologique? Un phénomène qui pourrait prendre de l’ampleur, alors que certains travailleurs ne se reconnaissent pas dans les valeurs environnementales portées par leur employeur. Les entreprises n’auront donc pas le choix de s’ajuster.
Animée par de fortes valeurs environnementales, Caroline (prénom fictif) a accepté un poste dans une entreprise somme toute polluante. Elle était alors responsable d’implanter un programme censé, entre autres choses, en réduire ses effets sur la planète. «Je suis arrivée avec beaucoup de naïveté, se souvient-elle. Je pensais faire une petite différence dans une grande compagnie.»
Or, Caroline a vite déchanté : le programme en question servait surtout à montrer patte blanche pour protéger les ventes de l’entreprise. «Humainement, j’ai toujours été bien traitée, mais c’était horrible pour moi d’essayer de convaincre les autres d’adhérer à cela. J’avais envie de mourir en réunion et j’avais le haut-le-cœur devant certains gestes, qui relevaient plutôt du greenwashing», se rappelle-t-elle.
Après plusieurs mois de souffrance, la jeune femme a fini en arrêt de maladie, puis par démissionner pour un nouveau poste, plus en accord avec ses valeurs.
Si l’histoire de Caroline peut paraître anecdotique, elle est loin d’être unique. Ceux qu’on surnomme les climate quitters sont de plus en plus nombreux à démissionner, parfois avec fracas et publiquement, comme le rapportait un article de la BBC en 2023. En fait, 35 % des 2 000 employés de bureau britanniques interrogés ont déclaré qu'ils étaient prêts à quitter leur emploi pour cette raison, selon une étude réalisée par Supercritical, une société spécialisée dans l'élimination du carbone. Chez la génération Z, c’est 53%, rapportait aussi le réseau britannique.
Quand l’écoanxiété s’invite au bureau
Au Québec, près d’un jeune de 18 à 24 ans sur deux disait avoir ressenti au moins une manifestation d’écoanxiété au cours des deux dernières semaines, selon une vaste enquête menée par l’Université Sherbrooke en 2021. «L’écoanxiété, c'est un malaise qui est ressenti par rapport à une menace associée à la crise écologique. Les réactions sont autant émotionnelles que physiques», note Virginie Francoeur. Cette professeure agrégée au Département de mathématiques et de génie industriel de Polytechnique Montréal étudie entre autres les comportements écoresponsables des employés.
«On peut donc ressentir de l’impuissance, de la tristesse, de la peur ou de la culpabilité. Ces émotions négatives peuvent conduire à de l’isolement, de l’insomnie, du stress, des crises de panique et parfois à la dépression», poursuit-elle. Lorsqu’il est transporté au bureau – ou exacerbé par les actions d’une organisation –, ce malaise peut engendrer de la démotivation, des difficultés à prendre des décisions, de l’hostilité, de l’absentéisme, et même susciter l’envie de démissionner, ajoute la professeure, citant une étude menée à l’Université d’Oxford.
Alors que la sensibilité aux questions environnementale est de plus en plus répandue, les entreprises ont tout avantage à se mettre au développement durable, d’abord pour le bien de la planète, mais aussi pour celui de leurs employés, estime Julie Carignan, CRHA, psychologue organisationnelle et associée chez Humance. «Cela peut jouer beaucoup sur la capacité d’attirer des employés, surtout dans des secteurs où il faut composer avec les pénuries de main-d’œuvre. Les employés vont avoir tendance à choisir une entreprise en accord avec leurs valeurs.»
Or, cette démarche doit être authentique, avertit-elle. Sans quoi, le danger est d’autant plus grand de voir un employé attiré par les valeurs environnementales d’une organisation claquer ensuite la porte parce que l’entreprise ne tient pas ses promesses. «Quand on se lance uniquement par pression extérieure, il est risqué de s'engager dans ce qu’on pourrait appeler une écoresponsabilité de façade», souligne-t-elle.
«Certaines personnes pourraient vouloir travailler dans une entreprise polluante pour amener des changements de l’intérieur», poursuit Julie Carignan. Mais encore faut-il, comme le montre l’exemple cité plus haut, qu’elles aient une réelle marge de manœuvre pour mettre en place certaines initiatives. Bref, si certaines organisations pourraient être tentées par l’écoblanchiment, elles risquent de voir leur réputation en prendre pour son rhume.
Un levier vers l’action
Pour éviter – ou limiter – l’écodémission, les entreprises peuvent poser certains gestes, d’abord en ajoutant l’écoanxiété à leurs préoccupations en matière de bien-être au travail, suggère Virginie Francoeur. «Actuellement, le rôle du département des ressources humaines est très limité en ce qui concerne le développement durable. Pourtant, c’est important de miser sur une approche holistique de ces questions, puisqu’elles touchent aussi l’humain.» Les employés ressentent souvent le besoin de parler de leurs préoccupations, on pourrait donc créer des groupes de soutien ou inclure ce volet au programme d’aide aux employés (PAE), donne-t-elle en exemple. Proposer des formations sur ce sujet, y compris sur les solutions, en est un autre.
Les employeurs doivent aussi donner les moyens de leurs ambitions à leur équipe, sous peine de voir leur motivation décliner. «Quand elle est élevée, l’écoanxiété engendre de l’impuissance et une certaine paralysie. Toutefois, si ce sentiment est plus modéré, c’est un stress qui pourrait être positif et nous pousser à l’action», souligne Virginie Francoeur. Les organisations pourraient donc mettre en place certains mécanismes, comme des comités, pour canaliser cette énergie. «Toutefois, prévient-elle, quand les gens proposent des choses, il ne faut pas que ça tombe dans l’oubli.»
Le soutien de l’organisation est donc primordial, que ce soit en offrant du temps pour agir, réfléchir, tester des idées, partager les innovations des employés, etc. «Par contre, il ne faut pas surresponsabiliser les employés et que ces changements reposent uniquement sur leurs épaules», ajoute-t-elle.
Des efforts qui valent la peine alors que les entreprises n'auront pas le choix d'être plus proactives au niveau environnemental si elles veulent attirer et conserver leurs employés, note Virginie Francoeur. «On le voit déjà dans les plans stratégiques des entreprises, où il y a toujours un volet concernant le développement durable, la réduction des gaz à effet de serre. Sans compter que la pression des employés ou des citoyens devient de plus en plus forte.»
Ressources humaines , Management