Il y aura bientôt deux ans que les interactions professionnelles d’un grand nombre de travailleurs se trouvent confinées au monde virtuel. Si les outils sont bien maîtrisés, il n’en va pas toujours de même de la communication. Comment éviter les malentendus?

De prime abord, une réunion en vidéoconférence ne semble pas si différente d’une rencontre en personne. On aperçoit les visages des gens comme dans une salle et l’on obtient même un boni, puisque l’on se voit soi-même à l’écran. Pourtant, un monde d’écart existe entre ces deux formes de communication d’après François Richer, professeur de neuropsychologie à l’Université du Québec à Montréal.

Il rappelle que le cerveau a évolué pendant des millénaires pour communiquer en personne et est adapté à ce type d’échange. Selon toute vraisemblance, le langage verbal s’est développé à partir d’un langage gestuel. La communication est donc loin de se restreindre aux mots.

L’une des principales lacunes des relations virtuelles serait ainsi la perte d’une grande partie de l’attitude et de l’expression physique qui accompagnent normalement les paroles d’un interlocuteur. «Nous sommes limités à ce qui est cadré dans l’écran, donc généralement, le visage», souligne le professeur.

Or, cela nous fait rater une énorme quantité de microsignaux, de microémotions et de microréactions, pourtant essentiels pour décoder plusieurs aspects des propos qui sont tenus. «La communication, c’est toujours une forme de théâtre humain, poursuit François Richer. Avec son corps, son positionnement et sa gestuelle, l’interlocuteur peut projeter de l’autorité, du désarroi, du désaccord, de l’ambition, de l’intérêt, du désintérêt, etc. C’est très difficile à transmettre par l’entremise d’un écran.»

L’animation devient cruciale

D’autant que tout le monde ne se sent pas aussi à l’aise dans les vidéoconférences. Par exemple, le fait qu’elles soient souvent enregistrées peut ôter l’envie à certains de dire tout ce qu’ils pensent. La communication peut également devenir plus unidirectionnelle. Le processus d’interruption est moins fluide que dans une rencontre en personne, donc certains hésiteront davantage à poser une question ou à émettre une objection.

Dans un tel contexte, les occasions de malentendus se trouvent multipliées. Or, ces incompréhensions peuvent voir des impacts délétères sur l’organisation. «Il y a un risque de mal comprendre les tâches ou les attentes, et donc de travailler dans la mauvaise direction, indique Isabelle Lord, CRHA et présidente de Lord Communication managériale. Cela génère de la frustration, de la démotivation et, éventuellement, de la méfiance dans l’équipe.»

Le danger est d’autant plus élevé que la validation de certaines informations s’accomplissait beaucoup dans l’informel auparavant. Après une réunion, on pouvait s’arrêter deux minutes au bureau d’un collègue pour s’assurer d’avoir bien compris ou demander un éclaircissement. «Maintenant, quand on ferme Zoom ou Teams, c’est plus compliqué de relancer quelqu’un», note Isabelle Lord.

Pour elle, la vidéoconférence constitue une avancée technologique qui peut donner de très bons résultats, mais elle ajoute un degré de complexité. «La connaissance des techniques d’animation devient encore plus importante dans des rencontres virtuelles», croit-elle. Elle rappelle cependant que les risques de malentendus existent dans toutes les formes de communication.

Le nombre de participants change beaucoup la dynamique pour l’animateur. Au-delà de six ou sept personnes, le défi se complique, puisqu’on ne voit plus tous les visages en même temps. On rate donc beaucoup de réactions.

«Dans un tel contexte, travailler avec un coanimateur devient une option très intéressante, poursuit Isabelle Lord. Celui-ci peut observer les participants et noter les réactions. Il peut aussi valider certaines informations s’il perçoit des doutes ou des incompréhensions et poser des questions pour prendre le pouls de gens.»

L’animateur de la réunion doit également s’efforcer de rendre la rencontre vivante et engageante. «Certains utilisent les vidéoconférences comme si c’était un courriel ou un texto, déplore Cynthia Mathieu, professeure en comportement organisationnel à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Ils s’en tiennent aux faits ou aux tâches et escamotent complètement l’aspect humain et informel. On doit conserver un peu de temps pour cet aspect des conversations.» Elle estime qu’évacuer entièrement l’informel effrite les liens entre les collègues, qui risquent d’en venir à moins bien se comprendre.

Aller droit au but

Lorsque l’on communique par écran interposé, la concision devient un incontournable. «Mieux vaut éviter les détails inutiles ou superflus, conseille Cynthia Mathieu. Les gens sont bombardés d’informations, donc il faut aller à l’essentiel.»

D’autant que depuis le début de la pandémie, les travailleurs enchaînent les vidéoconférences sans se laisser le temps de souffler, et surtout, d’assimiler les éléments transmis. «Cela engendre une grande fatigue, qui diminue leur capacité de comprendre et de retenir les informations», remarque la professeure.

Elle invite d’ailleurs les gestionnaires à s’assurer qu’ils ne convoquent pas certains employés à des réunions superflues. Cynthia Mathieu évoque l’existence d’une panoplie d’outils pour transmettre des informations. Tout n’a pas à passer par la vidéoconférence. On peut par exemple créer des espaces en ligne où déposer certains documents ou partager des informations dont les travailleurs pourront prendre connaissance au moment qui leur convient. 

Savoir bien conclure

Les participants ont aussi leur part de responsabilité. Il n’est pas rare de voir pendant une vidéoconférence un participant qui parle au téléphone, répond à ses courriels ou encore échange des messages privés avec un collègue. En plus de démontrer un manque de respect envers la personne qui s’exprime dans la réunion, cela ne favorise évidemment pas la bonne compréhension de l’information.

Les derniers instants de la rencontre constituent un moment névralgique pour s’assurer que tout le monde quittera la réunion sur la même longueur d’onde. Or, selon Isabelle Lord, cette partie est souvent escamotée ou mal dirigée. Trop souvent, la réunion s’allonge et l’on manque de temps à la fin pour ouvrir la discussion, prendre les commentaires ou répondre aux interrogations.

«Il faut se garder assez de temps pour effectuer un retour sur la rencontre, mais surtout, procéder d’une manière qui permet de valider l’information et de susciter l’adhésion et l’engagement», explique Isabelle Lord. Ainsi, elle suggère d’éviter les questions trop générales ou trop ouvertes. Une formulation comme «quel est le plan de match maintenant?» représente une belle façon de relancer les gens. À condition de leur laisser le temps de répondre!