Article publié dans l'édition été 2016 de Gestion

À mesure que les dirigeants se rendent compte du potentiel concurrentiel des questions environnementales, de plus en plus d’entreprises intègrent les enjeux du développement durable à leur stratégie. Pour ce faire, elles doivent souvent trouver des alliés. Comment faire pour que ces partenariats environnementaux portent les fruits espérés1 ?

Que ce soit pour stimuler l’innovation, renforcer leur réputation ou éclairer les nouvelles réglementations, un nombre sans cesse croissant d’entreprises adoptent désormais des éléments ayant trait au développement durable dans leur stratégie. Cependant, la complexité des questions environnementales exige souvent des entreprises qu’elles bâtissent des partenariats externes, ce qui leur permet d’avoir accès à des ressources essentielles et d’influer sur les forces commerciales, sociales et politiques en présence.


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S’appuyant sur une série d’entrevues menées auprès des responsables des projets coopératifs dans quatorze entreprises nord-américaines, notre étude révèle trois types de partenariats environnementaux : ceux qui favorisent l’innovation, ceux qui renforcent la légitimité et ceux qui visent l’élaboration de politiques.

Notre étude suggère en outre qu’un des critères de succès déterminants est le choix des partenaires, qui doit tenir compte des particularités du type de collaboration environnementale ciblé. S’ils conviennent au projet, les partenaires peuvent maximiser les efforts de l’entreprise. S’ils sont inadaptés, ils risquent de saper la collaboration, voire de réduire la valeur de l’entreprise. Cependant, les entreprises sélectionnent souvent leurs partenaires de façon ad hoc, lorsqu’une occasion favorable se présente, plutôt que de le faire après avoir soigneusement étudié les objectifs de la collaboration et les qualités des partenaires potentiels. Par souci d’efficacité, les gestionnaires devraient examiner les forces et les faiblesses des partenaires à la lumière du type de collaboration environnementale souhaité.

Il existe trois types de partenariats environnementaux qui permettent de créer un avantage concurrentiel.

La stimulation de l’innovation

Ce partenariat a pour but de générer des revenus et de réduire les coûts grâce à des produits, des processus ou des services plus « verts ». Les entreprises peuvent former des partenariats en vue d’une innovation spécifique, mais les innovations marquantes proviennent davantage de plateformes créatives plus larges impliquant plusieurs entreprises. Par exemple, l’approche d’écoconception de Bombardier en aéronautique intègre une analyse du cycle de vie qui fournit une plateforme pour l’innovation. Elle canalise les partenariats avec les fournisseurs et la conception de nouveaux produits et procédés de fabrication tout en assurant leur harmonie avec la stratégie environnementale de Bombardier.

Le renforcement de la légitimité

Ce type de partenariat est utile aux entreprises qui cherchent une source externe de légitimité et de soutien à leurs activités. Ces collaborations avec certaines parties prenantes – le grand public, les organisations non gouvernementales (ONG), les médias, etc. – servent à gérer l’image de l’entreprise. Par exemple, la société québécoise Savons Prolav fait appel au Laboratoire des assureurs du Canada et au Forest Stewardship Council (FSC) pour évaluer les qualités écologiques de ses produits nettoyants Bio-Vert et obtenir les certifications Écologo et FSC. Des associations positives comme celle-ci permettent aux entreprises de renforcer leur réputation et leur légitimité.

L’élaboration de politiques

Ce partenariat sert avant tout à influencer les décisions politiques et réglementaires. Les entreprises qui souhaitent influencer les décideurs pour acquérir un avantage concurrentiel2 recourent souvent à ce procédé. Par exemple, Bombardier, Bell Helicopter, Pratt & Whitney Canada ainsi que d’autres sociétés participent au projet « L’avion plus écologique », qui permet d’exercer une certaine influence sur des décisions politiques et de financement du gouvernement québécois, y compris en matière de dépenses publiques en recherche-développement et de politiques qui soutiennent leur leadership en écologisation de l’aviation. Ce projet aide en outre les entreprises participantes à accroître leur influence sur la formulation des normes et règlements internationaux.

Le partenaire idéal

Souvent appelés à servir plusieurs objectifs, les partenariats environnementaux s’inscrivent rarement dans une seule des catégories exposées ci-dessus. Le projet « L’avion plus écologique », par exemple, vise à la fois l’influence politique et la coopération en recherche-développement. Qu’il s’agisse d’un seul ou de plusieurs objectifs, il demeure judicieux de déterminer quels types de partenaires sont les plus susceptibles de contribuer à leur atteinte.

Des partenaires engagés et bien dotés pour favoriser l’innovation

Dans ce cas particulier, l’entreprise cherche des partenaires qui pourraient l’aider à créer de la valeur ajoutée « verte » et lui procurer un avantage concurrentiel. Les partenaires les plus efficaces sont souvent des entreprises aux objectifs similaires ou complémentaires et disposant des capacités et des ressources nécessaires. Il peut s’agir de fournisseurs, de clients, de concurrents, voire de sociétés œuvrant dans un autre secteur d’activité. Les universités constituent également de bons partenaires pour les projets de recherche-développement et la commercialisation de nouvelles technologies conçues conjointement. Les qualités des partenaires idéaux pour ce type de collaboration sont les suivantes :

  • un engagement ferme pour le développement durable ;

  • la volonté de créer une valeur économique et environnementale ;

  • la faculté de partager ou de développer conjointement des ressources et des capacités stratégiques ;

  • l’accès à des ressources appropriées et suffisantes pour soutenir le partenariat ;

  • la capacité financière et administrative d’investir dans la collaboration et de gérer des ententes formelles lorsque c’est nécessaire, notamment quand les participants mettent des ressources stratégiques à la disposition du partenariat.

Des partenaires réputés et ouverts pour renforcer la légitimité

Selon cette formule, les entreprises recherchent généralement des partenaires dotés d’actifs intangibles, par exemple une bonne réputation ou une légitimité reconnue en matière de développement durable. Ainsi se lient-elles souvent à des ONG ayant l’expertise environnementale pertinente ou la légitimité nécessaire pour représenter les principales parties prenantes. De préférence, ces intervenants sont prêts à partager leur expertise, leur compréhension des enjeux sociaux qui touchent l’entreprise ainsi que leurs contacts privilégiés avec les parties prenantes3. Les partenaires idéaux pour ce type de collaboration ont :

  • une solide réputation dans le domaine visé ;

  • un historique de collaborations fructueuses avec des entreprises ;

  • l’ouverture nécessaire pour mettre leur réputation au service du partenariat ;

  • la volonté de résoudre d’éventuels conflits directement avec l’entreprise plutôt que sur la scène publique.


Des partenaires influents et coopératifs pour élaborer des politiques

Dans ce cas-ci, les entreprises veulent des partenaires influents ayant leurs entrées chez les décideurs4. Les agences gouvernementales et de réglementation constituent généralement de bons choix, tout comme les ONG expérimentées dans le domaine des campagnes politiques. Compte tenu de la portée générale des questions politiques, les partenariats de ce type requièrent souvent des partenaires multiples, des entreprises et des organismes publics aux intérêts convergents. La diversité des intérêts défendus requiert de la transparence et des aptitudes en matière de résolution de conflits. Les partenaires idéaux pour ce type de collaboration ont :

  • l’influence et la compétence nécessaires pour structurer les normes, les règles et les règlements de l’industrie ;

  • la capacité de coopérer avec les parties prenantes pour trouver des solutions satisfaisantes en cas de différend.

Les entreprises qui examinent correctement les objectifs d’un partenariat environnemental et qui choisissent des partenaires adéquats et bien disposés établissent des collaborations fructueuses. Le choix éclairé des partenaires ne garantit pas la réussite d’un projet coopératif mais peut faire toute la différence entre une avancée capitale et un échec.


Notes

1. Collègue et ami des deux autres signataires de cet article, Ulrich Wassmer est décédé en décembre 2014 alors qu’il collaborait, à titre d’auteur principal, à l’étude dont nous traitons ici. Surnommé Uli, il faisait partie du corps professoral de l’EMLYON en France. Il avait auparavant enseigné à l’École de gestion John-Molson de l’Université Concordia.

2. M. A. Delmas et M. J. Montes-Sancho, « Voluntary Agreements to Improve Environmental Quality : Symbolic and Substantive Cooperation », Strategic Management Journal, vol. 31, n° 6, juin 2010, p. 575-601.

3. M. Yaziji, « Turning Gadflies into Allies », Harvard Business Review, vol. 82, n° 2, février 2004, p. 110-115.

4. Pour approfondir la question des ressources politiques, voir les articles suivants : J.-P. Bonardi, « Corporate Political Resources and the Resource-Based View of the Firm », Strategic Organization, vol. 9, n° 3, mars 2011, p. 247-255, ainsi que J. Boddewyn, « Political Resources and Markets in International Business : Beyond Porter’s Generic Strategies », dans Alan Rugman and Alain Verbeke (éditeurs), Global Competition : Beyond the Three Generics, Research in Global Strategic Management, vol. 4, Greenwich (Connecticut), JAI Press, 1994, p. 83-99.