Dossier médias en révolution! Crédibilité journalistique: qui dit vrai?

Qui croire ? Qui ne pas croire ? Dense, cette question se pose pourtant à un moment particulièrement difficile de l’histoire de la démocratie : le combat extrême du xxi^e siècle sera celui de la gestion de la surabondance d’information et de la désinformation. Le passage au numérique nous aura menés à ce contexte inédit, transformant à jamais la manière dont les messages circulent et dont ils sont reçus. On ne consomme plus l’information de la même façon. En outre, les possibilités technologiques permettent désormais à tout un chacun de devenir source d’information. Si l’avènement du numérique n’a pas créé en soi le phénomène de désinformation, il y a toujours eu circulation active de rumeurs et de ragots, les avancées technologiques offrent aujourd’hui une plateforme sans frontières pour s’exprimer publiquement. Le pouvoir du numérique est phénoménal et fort répandu.

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Devenir vedette, s’afficher comme source médiatique réelle en créant son site ou en alimentant sa page Facebook et son public. En ce xxi^e siècle, ce pouvoir qui, il y a peu, était détenu par quelques élus est désormais accessible à tous les habitants de la planète sans exception. En témoigne cette quête effrénée de gloire sur le Web. Aux côtés des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire affadis, l’information incarne un quatrième pouvoir plus fort que jamais. L’influence médiatique suscite et oriente les débats.

Un progrès utile, pourtant. Incontestablement. Un outil qui simplifie le quotidien, facilite les communications, décuple les possibilités. Grâce aux médias sociaux, les citoyens communiquent des informations… utiles même pour les journalistes. Encore faut-il savoir distinguer le vrai du faux. Malheureusement, le réflexe général n’étant pas de vérifier la source, on refile quelques nouvelles sensationnelles pour épater la galerie. À mon avis, dans tout ce brouhaha, le rôle des journalistes est plus important que jamais : ils nous aident à y voir clair.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire dans ce nouvel environnement où chacun s’incarne en véhicule médiatique, notre société et notre démocratie ont besoin de journalistes. Des journalistes honnêtes, qui effectuent leur travail avec rigueur et s’appuient sur des données crédibles. Pas de simples rapporteurs de nouvelles mais de véritables journalistes d’enquête, fouilleurs de faits, capables de mettre en perspective différentes situations et de les situer dans leur contexte. Comme ce journalisme d’enquête qui a d’ailleurs tout récemment provoqué les aveux de François Bugingo. Ce journaliste s’est retrouvé acculé au pied du mur à la lumière de certains faits grâce à l’enquête longue et méticuleuse menée par la journaliste Isabelle Hachey. Car voilà, cette professionnelle de l’information a douté. Douté des récits invraisemblables qui ont alimenté les blogues et les chroniques de François Bugingo. C’est ce doute qui fait la force de cette profession. Douter de tout, même de soi.

Bien sûr, les reportages d’enquête risquent de soulever la controverse. Ils comportent aussi certains dangers, comme celui, pour les auteurs, de devenir la cible des critiques, de voir leur crédibilité mise en doute. On voudra les étiqueter, révéler leur appartenance idéologique. Il ne s’agit pourtant pas d’opinions (les vox pop sont d’ailleurs à mon avis des béquilles pour les médias en période de disette). S’il est illusoire de croire à l’entière objectivité des journalistes – leur passé et leur culture ne peuvent que teinter leurs choix et l’angle de leurs reportages –, le journalisme d’enquête, en mettant en relief des faits fouillés et vérifiés, apporte un éclairage critique à l’information.

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Dans ce sens, le patron a un rôle majeur à jouer pour soutenir le rôle des journalistes. Je l’ai moi-même découvert en 2006 alors que j’occupais le poste de directeur général de l’information de Radio-Canada : j’ai alors pris la décision longuement mûrie de privilégier deux axes, soit l’enquête journalistique et l’information internationale. Les dirigeants ont l’immense responsabilité d’une vision claire qui saura guider toute leur équipe. Et le fait de connaître étroitement le métier de ceux qu’ils désirent influencer ne peut que renforcer leur crédibilité.

Je suis d’avis que les patrons de presse doivent posséder un bagage journalistique ou, à tout le moins, avoir à cœur l’essence de l’information : pouvoir informer le public est un privilège. Dans l’actuel contexte de concentration de la presse et de cannibalisation des grands groupes médiatiques, l’information est en péril. En outre, la presse libre et indépendante est menacée dès lors que les propriétaires du Web, de Google, Netflix, Facebook ou Amazon décident de s’approprier des contenus d’information et de les traiter à leur manière, succombant bien souvent à l’attrait du mercantilisme. L’information ne devrait-elle pas plutôt viser à être libre, à servir le public avant tout ?

Les entreprises médiatiques devraient se fixer comme objectif stratégique d’exclure la concurrence, de cesser de chercher à avaler les nouvelles des autres, pour plutôt s’orienter vers une niche précise, se forger leur propre personnalité et miser sur leurs forces. Réfléchissons à de nouvelles manières de faire de l’information. Devant l’éclatement des modèles d’affaires traditionnels, créons de nouvelles approches en exploitant les plateformes numériques.

Oui, les défis, de taille, presque démesurés, risquent de donner des maux de tête. Et pourtant, l’optimisme s’accroche aux possibilités décuplées par ce grand tournant. En gardant en tête quelques principes essentiels. Le dirigeant doit freiner un moment le tourbillon ambiant pour prendre le temps de réfléchir à une vision capable de mobiliser ses troupes journalistiques. Il doit ensuite voir à préserver son indépendance, car sans un minimum de vigilance, il se retrouvera peut-être pieds et poings liés face aux services de publicité ou aux actionnaires. Mais surtout, prenons conscience du rôle crucial des médias publics qui sauront offrir des repères dans un paysage accaparé par les empires de presse. Voilà une bataille qui mérite d’être livrée.