Article publié dans l'édition Été 2019 de Gestion

Les réseaux sociaux offrent des possibilités sans précédent pour joindre des publics de niche à l’échelle planétaire. Comment des entreprises établies peuvent-elles s’associer à des consommateurs devenus des créateurs de contenu et atteindre leur clientèle cible? Incursion dans l’ère des marques entrepreneuriales sur le Web.

Après qu’on lui eut diagnostiqué une maladie rare en 2011, Ella Woodward a complètement changé son alimentation et créé le blogue culinaire Deliciously Ella afin de documenter son expérience. Cette Londonienne a aujourd’hui acquis un vaste public dans les réseaux sociaux : elle compte 2,5 millions d’abonnés sur Instagram. Elle a également produit une application mobile et une baladodiffusion, publié plusieurs livres de recettes, ouvert des restaurants et mis en marché une gamme de produits prêts à manger.

Pour l’Américaine Arielle Charnas, un passage à vide consécutif à une rupture amoureuse l’a motivée à créer, en 2009, le blogue Something Navy, consacré au domaine de la mode. Depuis, elle a collaboré avec de nombreuses marques et lancé sa propre gamme de vêtements avec le détaillant Nordstrom, un projet qui connaît un succès fulgurant. Résultat : avec 1,2 million d’abonnés sur Instagram, Arielle Charnas est aujourd’hui considérée comme une super-influenceuse dans ce réseau social.

Bien que la réussite de ces deux jeunes femmes soit exceptionnelle, leur parcours illustre le phénomène grandissant des consommateurs qui s’investissent dans les réseaux sociaux et qui transforment un hobby en projet professionnel. Ces personnes passionnées deviennent des créateurs de contenu et des entrepreneurs dans des domaines aussi variés que la cuisine, la mode, la beauté, le design, l’entraînement physique, etc. Toutefois, ce phénomène ne se limite plus aux blogueurs : il évolue au rythme des usages sur les plateformes des réseaux sociaux. Grâce à ces blogueurs-entrepreneurs, les entreprises établies disposent donc d’une nouvelle façon de joindre les consommateurs.


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Comment s’associer aux créateurs de contenu?

Si les entreprises et les créateurs de contenu peuvent coopérer de bien des manières, il existe trois principaux types de collaboration : le partenariat médiatique, la création de contenu commandité et le co-marquage.

Dans un partenariat médiatique, l’entreprise utilise le créateur de contenu comme un moyen de communication additionnel afin de véhiculer son image de marque et de proposer ses produits à un auditoire de niche. Pour ce faire, l’entreprise élabore un message publicitaire et le soumet au créateur de contenu en l’invitant par exemple à participer à une activité promotionnelle ou en lui faisant parvenir des produits dont il pourra faire l’essai. Le créateur de contenu est ainsi convié à faire part de son appréciation des produits auprès de ses abonnés de façon spontanée, que ce soit en présentant ces produits, en les évaluant ou en montrant comment on doit les utiliser. Bien que cette forme de collaboration soit peu coûteuse pour l’entreprise, celle-ci n’a aucun droit de regard sur l’avis du créateur de contenu, qui peut donc promouvoir (ou non) la marque de la façon qui lui convient.

Dans le cas de la création de contenu commandité, l’entreprise rémunère le créateur pour qu’il produise et diffuse un contenu destiné à promouvoir une de ses marques. Citons trois exemples à titre d’illustration : une recette diffusée sur un blogue dans laquelle on utilise un ingrédient mis en marché par une entreprise œuvrant dans le domaine de l’alimentation ; une publication Instagram où on propose une tenue composée de quelques vêtements d’une marque connue ; une vidéo sur YouTube dans laquelle le créateur de contenu explique la façon dont il a intégré les produits d’une marque d’équipement sportif à son programme d’entraînement. Ce type de collaboration est le plus courant : par exemple, 96 % des créateurs de contenu au Canada1 l’ont adopté. À la différence du partenariat médiatique, le contrôle exercé par l’entreprise sur le créateur de contenu commandité est plus étroit, car l’entreprise jouit d’un droit de regard sur l’information diffusée.

Quant au co-marquage, il consiste en la mise en marché d’un produit à la fois par une entreprise et par un créateur de contenu. Le degré d’implication du créateur de contenu dans ce processus peut varier de la simple association de sa marque à un produit créé entièrement par l’entreprise à sa participation à toutes les étapes de création et de mise en marché d’un nouveau produit. Ce type de collaboration permet donc à l’entreprise de s’associer à la marque du créateur de contenu et d’atteindre directement sa communauté.

Le parcours de créateur de contenu professionnel

Plusieurs des créateurs de contenu les plus populaires de nos jours ont créé un blogue il y a une dizaine d’années,

alors que cette activité était peu connue et ne représentait pas encore une avenue professionnelle. Une nouvelle génération de créateurs de contenu se lance maintenant dans ce domaine en adoptant dès le départ une vision entrepreneuriale. Afin de mieux comprendre le cheminement par lequel le consommateur passe de blogueur amateur à créateur de contenu professionnel, nous avons mené une étude qualitative dans le domaine des blogues culinaires. Nous avons donc analysé quatorze blogues issus du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni.

Des entrevues en profondeur ont également été réalisées avec huit de ces blogueurs.

Notre étude met en lumière trois stades d’engagement dans le parcours des blogueurs.

Premier stade d'engagement

Le blogue est un hobby créatif, un mode d’expression de soi et de sa passion pour la cuisine. Le blogueur crée d’abord un contenu qui lui plaît, sans s’imposer de contraintes quant à la fréquence des publications et sans trop se soucier de son lectorat, surtout composé de connaissances et de proches plus ou moins intimes.

Deuxième stade d'engagement

Le blogueur noue des liens avec d’autres blogueurs. Le désir de plaire à une communauté de créateurs l’incite à cultiver ses habiletés créatives afin de produire un contenu de plus grande qualité. Grâce au réseautage, le lectorat du blogue s’étoffe et se diversifie.

Troisième stade d'engagement

La professionnalisation du blogue s’accentue. La collaboration avec des entreprises établies et la mise en marché de divers produits procurent une source de revenus. Le blogue se transforme alors en outil professionnel – un portfolio, par exemple, qui peut ouvrir des portes vers des clients institutionnels ou vers une plateforme de marque –, tandis que le blogueur définit sa clientèle cible en fonction de ses objectifs commerciaux.

Les clés d’une collaboration réussie

Le succès de la collaboration entre une entreprise et un créateur de contenu repose sur un mariage heureux entre, d’une part, les valeurs et les produits de l’entreprise et, d’autre part, le parcours spécifique du créateur de contenu . En effet, la nature du contenu relève en très grande partie des intérêts et des goûts personnels du créateur, la passion étant au cœur de sa démarche professionnelle. Les créateurs de contenu préfèrent ainsi les collaborations qui correspondent à leur personnalité et à leurs propres valeurs : 48 % d’entre eux affirment d’ailleurs qu’une incompatibilité personnelle constituerait le principal motif de rejet d’une offre de collaboration2. Par conséquent, les entreprises ont tout intérêt à bien connaître le créateur de contenu et à susciter une forme de collaboration qui favorise sa liberté d’expression et sa créativité.

L’authenticité du créateur de contenu est un des piliers de la relation de confiance qu’il cultive avec son public : il devient en quelque sorte un ami, un conseiller, voire une source d’inspiration. Contrairement aux approches publicitaires traditionnelles, la collaboration avec un créateur de contenu permet de joindre les consommateurs d’une façon plus personnalisée. D’un côté, cette relation renforce la crédibilité et accroît la valeur du message véhiculé grâce à la proximité qu’elle suscite entre la marque et les consommateurs visés. De l’autre côté, le créateur de contenu préfère s’associer à des entreprises qui stimulent cette relation de confiance : il privilégie les collaborations qui procurent une valeur ajoutée à son public. Lorsqu’une entreprise envisage une telle collaboration, elle a tout avantage à bien évaluer la cohérence entre sa marque, la personnalité du créateur et les caractéristiques de sa clientèle cible.

 


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Avant de nouer une collaboration avec un créateur de contenu, une entreprise doit accepter la façon dont sa marque sera utilisée. Ces créateurs-entrepreneurs bâtissent et animent des communautés auxquelles s’associent des marques qui correspondent à leur personnalité. La concurrence fait donc place à la cohabitation d’une variété de marques : exiger l’exclusivité de la part d’un créateur de contenu irait à l’encontre de l’authenticité dont celui-ci doit faire preuve. S’associer à un tel créateur peut donc s’avérer une stratégie porteuse, mais il faut savoir respecter les règles du jeu afin de se présenter avantageusement auprès de ces clientèles cibles.


 

Notes

1 Briggs, P., « Canada Influencer Marketing – Planning and Measurement Grow More Sophisticated », eMarketer, juillet 2017.

2 Ibid.