Article publié dans l'édition Été 2020 de Gestion

Dans le contexte des organisations modernes, qu’est-ce que le courage ? Prendre une décision d’affaires risquée, faire les choses différemment, être radicalement transparent : voilà autant d’actions courageuses. Mais d’un point de vue moral, le courage consiste surtout à convertir ses intentions en actions malgré les pressions internes et externes subies au quotidien.

Parfois confondu avec la témérité ou avec l’héroïsme, trop souvent utilisé comme vernis d’acceptabilité afin de masquer l’arrogance, le courage est à la fois un terme et un concept de vertu qu’on utilise à toutes les sauces de nos jours1. Le mot courage tire son origine du mot latin cor, qui signifie « cœur ». Pour qu’on puisse qualifier une action de courageuse, trois conditions doivent être réunies : 1- une intention de départ libre et volontaire; 2- un objectif louable et moralement justifiable; 3- un risque réel pour la personne qui accomplit cette action2. Être courageux ne signifie pas qu’on n’éprouve aucune peur : c’est plutôt le fait d’agir de façon sincère et déterminée tout en canalisant et en surmontant ce sentiment de peur qui s’empare de nous.


LIRE AUSSI : « La responsabilité sociale d'entreprise, une question d'équilibre »


Le courage constitue une véritable force morale, car il consiste souvent à s’élever contre un courant de pensée dominant ou contre une pratique discutable défendue par un groupe3. Or, cette prise de position s’accompagne nécessairement de conséquences pour la personne qui l’affirme : elle s’expose en effet à du rejet, à de la vengeance ou à de la résistance. D’ailleurs, s’il n’y avait aucun risque, ce ne serait pas du courage : l’histoire nous apprend qu’il est généralement plus simple d’être du côté de ceux qui pensent et agissent comme la majorité des gens. Le vrai courage moral se mesure donc à la volonté de faire la bonne chose, et ce, contre vents et marées.

La personne qui fait preuve de courage décide de faire le bon geste en dépit des risques encourus. Et, surtout, elle est conséquente avec elle-même : malgré les pressions, les résistances et les obstacles, elle persistera et n’agira pas différemment.

Le courage moral à notre époque

Pour une organisation, il y a plusieurs avantages à valoriser le courage moral chez les membres de son personnel. Malgré le malaise qu’elles ressentent et les réactions de censure, voire d’ostracisme, qu’elles suscitent parfois, les personnes qui font preuve de courage moral peuvent contribuer à la vitalité et à la croissance d’une entreprise. Leur comportement volontaire peut même favoriser la création de valeur à long terme4 et éviter certaines conséquences fâcheuses, par exemple des atteintes à la réputation de l’organisation. Le courage moral sert ainsi de rempart contre la pensée de groupe, l’hypocrisie et la complaisance pour éventuellement raffermir la confiance.

La plupart des écoles de gestion offrent aujourd’hui des cours d’éthique à leurs étudiants. Toutefois, si cette formation permet de développer un sens éthique plus aiguisé, il est loin d’être certain qu’elle se traduise par des changements en matière de comportements. Une méta-analyse réalisée en 2009 a d’ailleurs mis en lumière les effets limités de cette pratique5.

Comment favoriser le courage moral ?

Si certaines personnes sont de toute évidence plus courageuses que d’autres, il ne faut pas sous- estimer l’importance du contexte et de la culture dans l’adoption de comportements courageux. En fait, le discernement rationnel et le jugement moral ne prédisposent pas vraiment aux comportements éthiques. Alors qu’on valorise le fait d’avoir une culture organisationnelle forte, celle-ci ne doit pas miner la volonté des individus d’aller à contre-courant et d’oser signaler les dilemmes moraux et les risques en matière d’éthique. En effet, il ne suffit pas de faire les bonnes actions : l’individu courageux défend et promeut aussi l’intégrité.

Évidemment, les gestionnaires doivent eux-mêmes montrer l’exemple : ils exercent une influence considérable en ce qui a trait à la perception et aux comportements de leurs employés relativement au courage moral. Les leaders qui ont des principes moraux et qui sont davantage guidés par leurs valeurs que par des pressions externes suscitent ou rehaussent le courage moral chez leurs subordonnés6. Inversement, lorsque des employés croient que la franchise n’est pas la bienvenue, ils sont portés à s’auto-censurer7.


LIRE AUSSI : « Tête, cœur et Courage: un regard simplifié sur le leadership »


À l’ère des technologies de l’information, où la réputation d’une organisation peut s’écrouler à la vitesse de l’éclair, les entreprises doivent favoriser et valoriser le courage moral de tout leur personnel. S’inscrivant dans cette mouvance, un nombre grandissant d’entreprises dans le monde entier cherchent justement à obtenir la certification B-Corp8, qui impose des normes plus élevées en ce qui a trait notamment à l’acceptabilité sociale des pratiques commerciales et à la transparence de la gouvernance. Par le fait même, ces entreprises s’assurent que les valeurs qui les guident sont au cœur même de leur mission ; elles lancent un message sans équivoque à toutes les parties prenantes quant à l’importance qu’elles accordent à l’intégrité et au courage moral9.

Le courage est une question complexe. Peuvent en témoigner bien des gens qui ont osé soulever un problème d’ordre moral dans leur organisation : alors que plusieurs personnes disaient les appuyer en privé, la plupart d’entre elles sont souvent restées silencieuses en public. Plutôt que de nous en prendre bêtement au messager, assurons-nous d’offrir l’environnement adéquat à l’expression du vrai courage : il en va de la santé de nos organisations et de nos communautés.

Le quizz est disponible dans la version téléchargeable du magazine.


Notes

1 Detert, J., et Bruno, E., « Workplace courage: Review, synthesis, and future agenda for a complex construct », Academy of Management Annals, vol. 11, n° 2, 2017, p. 593-639.

2 Rate, C. R., « Defining the features of courage : A search for meaning », dans Pury, C. L. S., et Lopez, S. J., The Psychology of Courage – Modern Research on an Ancient Virtue, Washington, American Psychological Association, 2010, p. 47-66.

3 May, L., Luth, M. T., et Schwoerer, C., « The influence of business ethics education on moral efficacy, moral meaningfulness, and moral courage : A quasi-experimental study », Journal of Business Ethics, vol. 124, n° 1, septembre 2014, p. 67-80.

4 Simola, S., « Fostering collective growth and vitality following acts of moral courage : A general system, relational psychodynamic perspective », Journal of Business Ethics, vol. 148, n° 1, mars 2018, p. 169-182.

5 Waples, E. P., Antes, A. L., Murphy, S. T., Connelly, S., et Mumford, M. D., « A meta- analytic investigation of business ethics instruction », Journal of Business Ethics, vol. 87, n° 1, juin 2009, p. 133-151.

6 Hannah, S. T., Avolio, B. J., et Walumbwa, F. O., « Relationships between authentic leadership, moral courage, and ethical and pro-social behaviors », Business Ethics Quarterly, vol. 21, n° 4, octobre 2011, p. 555-578.

7 Comer, D. R., et Sekerka, L. E., « Keep calm and carry on (ethically) : Durable moral courage in the workplace », Human Resource Management Review, vol. 28, n° 2, juin 2018, p. 116-130.

8 La certification B-Corp est attribuée par l’organisme américain B Lab.

9 Kim, S., Karlesky, M. J., Myers, C. G., et Schifeling, T., « Why companies are becoming B corporations » (article en ligne), Harvard Business Review, 17 juin 2016.