Article publié dans l'édition Automne 2004 de Gestion

La question de la gestion de la relève est devenue aujourd’hui une préoccupation majeure pour les gestionnaires, en raison du départ massif à la retraite de la génération des baby-boomers au cours des prochaines années et de la nécessité pour les organisations de conserver leur personnel le plus précieux, celui dont la qualité de l’engagement organisationnel garantit une rentabilité plus élevée (Harter et al., 2002).

Pour y arriver, il s’agit à la fois de conserver les employés dont l’entreprise a besoin pour réaliser ses objectifs et d’attirer une main-d’œuvre plus jeune qui pourra assurer la relève. Perdre du personnel précieux ou ne pouvoir attirer des personnes qui possèdent les compétences recherchées présente un coût considérable pour les entreprises, qu’il est parfois difficile de chiffrer.

À titre d’indication, une recherche publiée récemment par Business Week1 rapporte que les seuls coûts de remplacement d’un départ pour 50 % des emplois s’élèveraient à 10 000 dollars américains alors qu’ils dépasseraient 30 000 dollars américains pour 20 % des emplois. La recherche montre aussi que le coût total d’un départ peut varier de 93 % à 200 % du coût salarial annuel de l’employé suivant son niveau de compétences et ses responsabilités (Cascio, 2000). Pourtant, ces chiffres ne reflètent qu’une partie de l’intérêt que suscite une politique de conservation des employés.

L’autre partie du problème est de s’assurer que les employés que l’on retient sont aussi les plus productifs, ce que Chaminade (2003) appelle la «fidélisation», terme qui implique l’idée de ne retenir que ceux qui souhaitent rester (les plus engagés). Harter et al. (2002) fournissent une analyse très instructive quant au gain associé à une main-d’œuvre engagée envers l’organisation.

À travers une étude menée auprès de 7 939 unités d’affaires représentant 36 entreprises, ils indiquent que les unités d’affaires se situant dans le quartile supérieur de l’engagement des employés réalisent un chiffre de ventes mensuel dépassant de 80 000 à 120 000 dollars américains celui que réalisent les autres unités d’affaires de l’échantillon.

L’objectif de cet article est de montrer que les organisations peuvent répondre aux défis de la gestion de la relève en adaptant leur politique de fidélisation des employés productifs aux nouvelles caractéristiques en émergence dans l’environnement. Dans un premier temps, nous passerons en revue quelques théories importantes qui ont été proposées au cours des 15 dernières années pour rendre compte des départs volontaires. Ces théories et les études empiriques qui les ont accompagnées nous renseignent sur les raisons des départs volontaires.

Nous verrons ensuite que l’évolution actuelle du monde de travail – en l’occurrence les mouvements incessants de restructuration des entreprises ainsi que l’apparition de nouvelles valeurs de travail – nous invite à réexaminer ces approches explicatives. Enfin, nous proposerons une nouvelle approche prometteuse pour la gestion des employés productifs, fondée sur la relation de supervision, et commenterons des pistes d’action dans ce domaine.

Pour peu que les organisations y mettent les moyens, la relation de supervision pourra devenir un levier stratégique pour une politique de fidélisation des employés productifs.

Les théories prédictives des départs volontaires

Une variété de théories ont été proposées pour expliquer la décision des employés de partir. Parmi celles-ci, trois approches ont occupé le devant de la scène au cours des 15 dernières années. Il s’agit de l’approche basée sur l’attitude – s’appuyant sur l’engagement ou la satisfaction au travail –, de l’approche holistique et de l’approche cognitive. Nous présenterons ces approches car elles ont engendré un nombre important de travaux empiriques et permis de faire ressortir les facteurs sur lesquels il est possible d’agir pour favoriser la conservation du personnel productif (Griff eth et Hom, 2001).

L’approche basée sur l’attitude

Selon l’approche basée sur l’attitude, les départs volontaires s’expliquent par un affaiblissement du lien entre l’individu et son organisation d’appartenance.

Les recherches récentes (comme celle de Meyer et al., 2002) ont démontré que trois formes d’engagement, sous-jacentes à cette approche, peuvent contribuer à réduire le risque de départ. La première forme est communément appelée la forme « affective » car elle représente un attachement basé sur un engagement affectif envers l’organisation qui entraîne un lien d’identification aux valeurs et aux objectifs de cette organisation.

En substance, plus l’individu s’identifie à ces valeurs, moins il sera enclin à quitter son organisation. En fait, ce type d’employé maintient son emploi parce qu’il désire rester membre de cette organisation (Meyer et Allen, 1991).

La deuxième forme d’engagement qui est associée de façon importante à une réduction des risques de départ volontaire est dite « normative ». Elle renvoie à une forme de loyauté à l’entreprise basée sur une obligation morale ressentie à son égard. En d’autres termes, l’individu attaché de manière normative à son organisation ressent une dette morale qui l’oblige à maintenir son appartenance.

Comme le soulignent Meyer et Allen (1991), l’engagement normatif et le sentiment de dette morale qui l’accompagne trouvent leurs racines dans la norme de réciprocité régissant les rapports humains (Gouldner, 1960). Car c’est en raison de l’intériorisation de la norme de réciprocité que l’être humain reste fidèle à ses engagements moraux jusqu’à ce que sa dette soit pleinement acquittée. Ainsi, les individus dont l’engagement normatif est dominant restent membres de leur organisation parce qu’ils le doivent (Meyer et Allen, 1991).

Enfin, l’engagement organisationnel peut revêtir une troisième forme, dite de « continuité ». Il s’agit ici d’un engagement raisonné ou calculé qui est basé sur le coût que représenterait un départ éventuel. Le coût du départ peut s’évaluer en rapport avec les sacrifices que l’individu devrait faire s’il décidait de partir (perte d’avantages matériels, de salaire, d’avantages sociaux, d’un régime de retraite et même de compétences spécifiques acquises au sein de l’entreprise, etc.) ou peut provenir du manque de possibilités d’emploi à l’extérieur.

Dans ce dernier cas, le coût du départ serait l’absence pure et simple d’un emploi. L’individu dont l’engagement de continuité est élevé tend à maintenir son emploi dans l’organisation car il en a besoin (Meyer et Allen, 1991).

Les trois formes d’engagement décrites précédemment constituent ce qu’il est convenu d’appeler le modèle d’engagement organisationnel à trois composantes (Meyer et Allen, 1991, 1997). Chacune de ces formes réduit fortement les chances qu’un employé quitte son employeur volontairement.

En effet, Meyer et al. (2002) rapportent une corrélation méta-analytique corrigée de – 0,17 entre l’engagement affectif et le départ volontaire, cette corrélation étant respectivement de – 0,16 et de – 0,10 pour l’engagement normatif et l’engagement de continuité. Notons néanmoins que l’engagement doit être vu comme un état psychologique global comprenant à des degrés divers chacune des trois composantes (Meyer et Allen, 1991). Les caractéristiques de ce modèle d’engagement sont reprises dans le tableau 1.

Tableau 1 : Caractéristiques dominantes des principales théories du départ volontaire

Raison du départ Champs de vie en cause Nature du processus Maîtrise de l'organisation

Théorie basée sur l'attitude

  • Engagement affectif
  • Engagement normatif
  • Engagement de continuité
Érosion du lien avec l’organisation Vie de travail

Affective
Morale
Raisonnée

Oui
Oui
Oui

Théorie holistique

  • Chocs
  • Enracinement de l’emploi

Choc ou insatisfaction
Effritement des forces d’enracinement local

Vie de travail privée
Vie de travail et communautaire

Affective et raisonnée
Affective et raisonnée

Partielle
Partielle

Théorie cognitive

Substituabilité des ressources
Offres spontanées
Érosion du lien avec l’organisation

Indéterminé Cognitive Oui

Les recherches montrent que les composantes affective et normative ont des effets positifs sur la performance au travail, sur les conduites d’altruisme envers les collègues et plus généralement sur la performance contextuelle, alors que l’engagement de continuité n’a aucun effet ou a un effet négatif sur toutes les facettes du rendement professionnel (Meyer et al., 2002). Par conséquent, une politique de fidélisation des employés productifs gagnera à stimuler l’engagement affectif et normatif, et à minimiser l’engagement de continuité.

Le premier aspect peut être réalisé au moyen d’une bonne gestion des carrières, d’une politique de développement des compétences, d’avantages sociaux attrayants ainsi que de conditions de travail riches sur le plan intrinsèque (autonomie, variété, responsabilité, etc.) (Meyer et Smith, 2000 ; Stinglhamber et Vandenberghe, 2003). Quant au deuxième aspect, il sera mis en œuvre grâce à une politique favorisant la mobilité interne et externe ainsi qu’un ajustement régulier des compétences.

Cette politique doit permettre aux employés de rester pour les bonnes raisons (engagement affectif ou normatif) et d’éviter l’engagement par défaut (engagement de continuité).

L’approche holistique

Depuis quelques années, Tom Lee et ses collègues2 ont proposé une nouvelle approche, plus globale, du roulement du personnel. Insatisfaits des modèles basés sur l’attitude, qui, selon eux, rendent insuffisamment compte des cas de départ volontaire, ils estiment que les cas de démission résultent d’événements qui ne font pas toujours intervenir une baisse de l’engagement ou de la satisfaction envers l’entreprise et qui peuvent échapper au contrôle de l’entreprise (par exemple, lorsqu’ils émanent de la vie privée).

En effet, ces auteurs constatent que beaucoup d’employés quittent leur entreprise même s’ils ne sont pas insatisfaits de leur travail. Ils pensent donc qu’il faut découvrir d’autres facteurs explicatifs.

En substance, Mitchell et al. (2001a) postulent que l’événement déclencheur du processus de retrait serait souvent un choc. Leurs travaux conduisent à préciser plusieurs voies par lesquelles le processus de retrait se matérialise.

La première voie est provoquée par un choc échappant à la maîtrise de l’organisation dont l’effet est d’activer un scénario de retrait qui se met rapidement en place. Par exemple, une employée sait que lorsqu’elle tombera enceinte, elle quittera le travail qu’elle occupe actuellement et soit cherchera un autre travail plus adapté à sa situation, soit cessera temporairement de travailler.

La deuxième voie apparaît à la suite d’un événement que maîtrise l’organisation mais qui ne donne lieu à aucune recherche active d’emploi. Le départ intervient donc assez vite également. Par exemple, un employé qui est placé sous les ordres d’un superviseur qu’il n’apprécie pas décide de donner immédiatement sa démission.

La troisième voie consiste en un scénario de départ mettant plus de temps à se dessiner. Il concerne souvent des employés qui ne sont pas nécessairement insatisfaits de leur situation dans l’entreprise mais qui, à la suite d’une offre d’emploi inattendue (un choc), reconsidèrent progressivement leur place au sein de cette entreprise.

En fait, cet événement inattendu semble entraîner une érosion de la satisfaction envers l’entreprise et incite l’employé à entrer dans une démarche active de recherche d’autres possibilités d’emploi. Ici, tout se passe comme si l’employé était content de sa situation actuelle, mais une offre alléchante finit par lui paraître meilleure et le pousse à partir (Mitchell et al., 2001a). Dans ce scénario, il est clair que le départ de l’employé reste sous la maîtrise de l’organisation.

La quatrième voie comprend une version A et une version B. Ces deux versions correspondent aux cas classiques de départ provoqués par une érosion de la relation entre l’employé et l’organisation, comme l’a amplement documenté l’approche basée sur l’attitude des départs volontaires (voir le tableau 1).

La version A intervient après un changement dans l’entreprise qui suscite une insatisfaction progressive chez l’employé et finit par le pousser à donner sa démission sans même qu’il cherche un autre emploi. C’est ce qui se produit lorsqu’un employé ne se reconnaît plus dans la nouvelle vision adoptée par son entreprise – à la suite d’une fusion, par exemple (Mitchell et al., 2001a). Après une période de transition, il décide de quitter l’entreprise sans préavis. À la différence de la deuxième voie, la version A de la quatrième voie n’implique pas réellement un choc.

Dans la version B, l’employé voit son insatisfaction professionnelle grandir, ce qui en vient à activer des pensées de départ, lesquelles débouchent sur la recherche active d’un autre emploi. Lorsqu’il trouve un emploi intéressant, il quitte l’entreprise.

La différence entre les versions A et B tient au fait que, dans le second cas, l’employé ne part que s’il trouve un emploi ailleurs. Les motifs fréquemment invoqués en relation avec la version B sont la surcharge de travail, les problèmes d’horaire et le manque de moyens accordés par l’entreprise (Mitchell et al.., 2001a). En fait, tous ces éléments offrent à l’employé des arguments qu’il peut utiliser dans ses négociations avec d’autres employeurs potentiels.

Mitchell et al. (2001a) montrent que la prévalence des différentes voies de départ est inégale. Ainsi, les voies les plus utilisées sont la troisième et la quatrième (version B), représentant respectivement 52 % et 30 % des départs observés. En revanche, la première, la deuxième et la quatrième (version A) voie sont moins utilisées, comptant respectivement pour 5 %, 6 % et 7 % des cas de démission enregistrée.

Il est intéressant de noter que 62 % des cas de départ interviennent à la suite d’un choc (première, deuxième et troisième voie) et non pas en raison d’une insatisfaction professionnelle majeure (versions A et B de la quatrième voie), laquelle ne représente que 37 % des cas.

On peut suggérer plusieurs pistes d’action pour tirer parti du modèle de Lee et al. (1999). Tout d’abord, il est recommandé d’évaluer le taux d’apparition et la nature des chocs chez les employés ainsi que leur distribution à travers les quatre voies. Cette information peut être aisément recueillie par des entretiens avec d’anciens employés ou des employés actuels. En complétant cette information par des enquêtes de satisfaction périodiques menées auprès des employés, on aura une représentation assez claire de la prépondérance des différentes voies de départ.

Ensuite, il est possible de recourir à plusieurs techniques pour faire face aux chocs potentiels. On peut tout d’abord utiliser les aperçus réalistes d’emploi pour les employés arrivants. En donnant à ces derniers une vision réaliste de ce qui les attend dans l’entreprise, on diminue le risque de désillusion ou de choc ultérieur. En pratiquant un ajustement concurrentiel des salaires et des avantages offerts aux employés, on diminue le risque de chocs provenant d’offres extérieures non sollicitées.

Enfin, on peut préparer les employés à affronter des chocs internes à l’entreprise – par exemple, si l’entretien annuel est vécu comme un choc, on peut clarifier la procédure d’évaluation pour les employés – de même qu’il faut pouvoir offrir des conditions d’emploi permettant aux employés de faire face aux chocs de la vie privée – par exemple, en offrant des congés d’absence temporaire (Mitchell et al., 2001a).

Plus récemment, Mitchell et al. (2001b) ont proposé une extension de leur modèle à travers le concept d’enracinement racinement de l’emploi (job embeddedness).

Pour mieux cerner l’impact de l’ensemble des liens construits par l’individu avec ses environnements de vie et l’impact qu’ils peuvent avoir sur la décision de rester membre de l’entreprise ou au contraire de la quitter, Mitchell et al. (2001b) proposent de distinguer six catégories d’investissements qui lient l’individu à son environnement.

Trois d’entre elles renvoient aux liens avec la communauté de vie et trois aux liens construits avec l’organisation et ses membres. Parmi les liens construits avec l’organisation, on trouve des éléments comme les conditions de travail, l’usage des compétences de l’employé, la cohérence des valeurs, le temps passé dans l’entreprise, le nombre de personnes avec lesquelles l’employé interagit dans le cadre de son travail, le nombre d’équipes dont il est membre, la liberté d’action dans le travail, les avantages matériels ainsi que les possibilités de promotion. Tous ces éléments contribuent à attacher l’employé à son organisation et à rendre son départ plus difficile.

De la même façon, Mitchell et al. (2001b) relèvent un certain nombre d’éléments qui attachent l’individu à sa communauté de vie, en dehors de l’organisation.

Ces éléments regroupent l’accès à des activités de sport et de loisirs, la qualité du travail exercé par le conjoint, l’insertion dans un réseau d’amis ou encore l’existence d’un environnement physique agréable et sécuritaire.

Ici aussi, il s’agit d’éléments susceptibles d’enraciner l’individu dans son milieu de vie et donc de rendre le départ de l’entreprise difficile à réaliser – celui-ci requérant d’ailleurs souvent un déménagement. Selon Lee et al. (1999), les individus tiennent compte de l’ensemble de ces paramètres dans une décision de départ. Les données de recherche rapportées par Mitchell et al. (2001b) confirment d’ailleurs le fait que l’enracinement de l’emploi contribue à expliquer les cas de départ volontaire au-delà des cas explicables par l’insatisfaction professionnelle ou la baisse de l’engagement envers l’entreprise.

Le processus de retrait par rapport à l’entreprise peut être de nature affective mais aussi de nature raisonnée et, surtout, les éléments utilisés par l’employé pour générer sa décision de départ échappent parfois à la maîtrise de l’organisation (voir le tableau 1).

Globalement, l’approche holistique a enrichi la compréhension du départ volontaire en permettant d’intégrer des aspects que les chercheurs ont traditionnellement négligés.

Notons que l’approche holistique – qu’elle soit liée à la théorie des chocs ou à l’enracinement de l’emploi – a des répercussions très importantes sur une politique de fidélisation des employés productifs. En effet, le propre de cette approche est qu’elle permet d’identifier les individus qui démissionnent malgré qu’ils soient attachés à leur entreprise.

Or, ces individus sont justement ceux qui contribuent le plus à la rentabilité de l’entreprise (Harter et al., 2002). Par conséquent, le fait de pouvoir prévenir ces cas de départ représente un enjeu essentiel pour les gestionnaires.

L’approche cognitive

Steel (2002) a récemment proposé une nouvelle perspective pour la compréhension du roulement du personnel. Cette approche mérite qu’on s’y arrête car elle marque une rupture tant par rapport à l’approche basée sur l’attitude que par rapport à l’approche holistique. Steel voit le départ volontaire comme un processus évolutif et séquentiel.

En substance, il estime que l’employé qui cherche à quitter son organisation s’engage dans un processus de recherche qui passe d’un état de veille passive à un état progressivement plus actif de recherche d’emploi. Bien que son modèle soit relativement complexe, il contient des éléments de base qui appellent un commentaire. D’emblée, tout employé possède une perception générale et peu affinée quant aux possibilités réelles d’emploi qui s’offrent à lui à un moment donné. Cet état d’information peu différencié correspond à une étape de « balayage passif » ou de « veille latente » par rapport aux conditions générales du marché du travail.

La plupart des employés se satisfont de cette situation tant qu’ils n’ont pas de raison particulière de pousser plus loin l’investigation.

Deux raisons peuvent amener l’employé à entrer dans une phase plus active de recherche d’emploi à l’extérieur, phase que Steel (2002) dénomme l’étape de recherche ciblée, laquelle est susceptible d’engendrer des informations quant aux conditions du marché de l’emploi sur les plans régional et professionnel. La première raison tient à la substituabilité des ressources, c’est-à-dire à la possibilité qu’a l’individu de disposer d’autres ressources financières que celles que lui off re son travail.

Toutes choses égales d’ailleurs, l’individu se lancera d’autant moins dans une recherche active d’emploi qu’il estime avoir des ressources financières alternatives lui garantissant une bonne qualité de vie, même en cas de baisse de salaire, voire de perte d’emploi. Si la substituabilité des ressources est faible, l’individu s’engagera plus rapidement dans la recherche ciblée d’un emploi à l’extérieur dès qu’un problème se présentera (l’insatisfaction au travail, par exemple).

Une deuxième raison peut accélérer le processus de recherche d’emploi, à savoir la présence d’offres d’emploi non sollicitées. Lorsque l’individu reçoit une ou plusieurs offres d’emploi spontanées, il est immédiatement engagé dans une délibération plus avancée de la recherche d’emploi, par le fait de cette situation même. Tout se passe alors comme s’il avait accès aussitôt à une information directe sur la valeur de sa candidature sur le marché du travail que, normalement, seule la troisième étape du processus (le contact avec des employeurs prospectifs) lui octroie.

Lorsque l’individu a atteint la troisième étape du processus de recherche d’emploi, il fait face à des offres précises. La décision de rester ou de partir dépendra, d’une part, de son niveau d’engagement par rapport à son entreprise actuelle et, d’autre part, de l’existence de possibilités d’emploi dans cette entreprise.

Steel (2002) apporte des preuves empiriques à l’appui de sa théorie en montrant que chez les individus qui démissionnent, la perception des possibilités d’emploi a une corrélation significative avec le taux d’emploi objectif du segment du marché du travail en cause, alors que ce n’est pas le cas chez les individus qui restent chez leur employeur. Autrement dit, les employés qui partent ont acquis une connaissance plus aiguë des possibilités réelles d’emploi.

Le mérite de l’approche cognitive de Steel est d’indiquer que le maintien de l’appartenance à l’entreprise ne dépend pas seulement du niveau d’engagement de l’individu vis-à-vis de son organisation, mais plus intimement de l’accès à une information personnalisée sur sa valeur au sein du marché de l’emploi et du processus de comparaison rationnel et cognitif opéré ensuite par l’employé. L’accès à l’information y est donc un paramètre essentiel. Les caractéristiques du modèle de Steel (2002) sont résumées dans le tableau 1.

L’approche de Steel présente des enseignements intéressants pour une politique de fidélisation des individus performants dans l’entreprise. En effet, des travaux récents montrent que la relation entre performance et départ volontaire est curvilinéaire, à savoir que le nombre de départs est plus élevé parmi les employés peu productifs et parmi les employés très productifs. Le premier cas semble être dû à un comportement de fuite par rapport à l’échec. L’autre cas paraît lié à une visibilité plus grande, les individus très productifs attirant davantage l’attention de la concurrence (Allen et Griff eth, 2001).

La meilleure perception des possibilités qui en résulterait serait la cause de l’augmentation des cas de départ. Il va de soi que l’organisation a tout intérêt à assurer un monitorat serré des individus à haut rendement, car ils risquent davantage de partir en raison de leur accès privilégié à des offres concrètes à l’extérieur.

Jusqu’à présent, nous avons limité notre analyse aux liens qui se construisent entre l’employé et son organisation globale et passé sous silence ceux qui se tissent entre les employés et d’autres entités pertinentes dans l’univers de travail. Or, depuis quelques années, les chercheurs ont commencé à prendre conscience de l’influence grandissante que l’engagement envers des entités comme le superviseur ou le groupe de travail peut avoir sur la décision de rester membre de l’organisation ou de quitter celle-ci3.

Dans la partie suivante, nous passons en revue les raisons pour lesquelles ces nouvelles formes d’attachement deviennent des points d’ancrage appelés à croître pour les employés de la nouvelle génération.

Pour l’essentiel, ces raisons tiennent à deux types de facteurs : l’évolution qui traverse le monde des organisations lui-même ainsi que les attentes et les valeurs de la nouvelle génération de travailleurs, la génération Y. Comme nous le verrons, ces mutations amènent à reconsidérer les facteurs susceptibles de peser sur le choix des employés de maintenir ou non leur appartenance à l’organisation.

L’évolution du monde du travail

Les changements dans les organisations

La relation avec l’organisation a longtemps été considérée comme un facteur essentiel pour comprendre les départs volontaires. À titre d’exemple, dans leur revue quantitative des travaux sur l’engagement organisationnel, Meyer et al. (2002) montrent que les trois formes connues d’engagement (affectif, normatif et de continuité) présentent un lien négatif avec le risque de départ volontaire. Autrement dit, un employé qui s’engage sur un plan affectif, normatif et de continuité a plus de chances de rester membre de son entreprise. Pourtant, cette réalité cache probablement d’autres cibles d’attachement méconnues et néanmoins importantes.

Ainsi, pour la première fois, une étude révèle que lorsqu’on considère conjointement l’engagement affectif envers l’organisation et l’engagement affectif envers le superviseur direct comme des variables prédictives du départ volontaire, c’est le niveau d’attachement envers le supérieur qui seul prédit de manière significative le risque de démission (Stinglhamber et Vandenberghe, 2003). La qualité de la relation avec le supérieur pourrait donc avoir, dans l’explication des démissions, une importance plus déterminante que ce que les recherches antérieures avaient supposé.

Comment peut-on expliquer ce renversement de perspective ? Tout d’abord par le fait que la plupart des organisations ont connu des transformations à ce point majeures que leurs valeurs et objectifs sont devenus incertains, au mieux, pour bon nombre d’employés.

Il est en effet difficile de s’identifier à une organisation qui change, surtout lorsque les changements sont récurrents. En réalité, par suite des rachats, des fusions, des acquisitions et d’autres restructurations, les entreprises se sont révélées de moins en moins claires sur le plan de leur gouvernance aux yeux des employés. Ces derniers, qui recherchent une ligne stable à laquelle se référer pour orienter leurs efforts au travail, ne trouvent plus d’ancrage identitaire net auprès de l’organisation dans son ensemble. Ensuite, la plupart des entreprises sont maintenant insérées dans des ensembles multinationaux dont les centres de décision semblent s’éloigner de plus en plus de la réalité des salariés.

Ce phénomène accentue d’ailleurs l’impression que les objectifs poursuivis par l’entreprise manquent de clarté et de prégnance. De même, comme les décisions de changement (souvent des rationalisations de l’effectif) sont de plus en plus souvent justifiées par la volonté d’augmenter le profit des actionnaires, les employés ne souhaitent plus s’engager envers leur organisation.

Conséquemment à ces mutations, il est vraisemblable que les employés s’adressent désormais à des interlocuteurs plus proches d’eux afin de trouver des réponses à leurs questions.

Naturellement, c’est vers leur superviseur direct qu’ils se tourneront. C’est en effet lui qui deviendra le dépositaire des attentes des employés. On lui demandera de fournir les informations relatives aux nouveaux objectifs imposés par la direction, mais aussi de donner les ressources matérielles et émotionnelles permettant de garder une motivation intacte. Comme le superviseur est censé être un « représentant de l’organisation auprès des employés » (Eisenberger et al., 2002), on lui demandera de guider ses collaborateurs vers l’accomplissement des objectifs de travail.

Pour résumer, on peut affirmer que cette réorientation probable des attentes des employés est directement fonction des changements qu’ont connus les organisations au cours des dernières années. Cela se traduit par une importance accrue du rôle de la qualité de la relation de supervision comme facteur explicatif des départs volontaires (Stinglhamber et Vandenberghe, 2003). Comme nous le verrons dans la section suivante, la relation de supervision devrait être un axe d’investissement privilégié pour les employés de la nouvelle génération, ce qui en ferait alors un élément critique dans le cadre d’une politique de fidélisation des employés productifs dans les années à venir.

L’évolution des valeurs amenée par une nouvelle génération d’employés

Avec l’arrivée d’une nouvelle génération d’employés, soit la génération Y, la politique de fidélisation des employés productifs doit intégrer de nouveaux paramètres. Cela est attribuable au fait que les valeurs de cette génération montante sont très différentes de celles de la génération qui l’a précédée, ce qui amènera une dynamique intergénérationnelle dans la gestion des organisations dans l’avenir.

Par ailleurs, cela nécessitera de faire des ajustements parmi les facteurs de fidélisation critiques relevés dans les approches du départ volontaire. Le tableau 2 fournit une comparaison entre les caractéristiques de la culture d’entreprise traditionnelle et les attentes de la nouvelle génération d’employés. Comme on peut le constater, les points de divergence sont nombreux. Nous les passerons maintenant en revue.

TABLEAU 2 : Comparaison entre les caractéristiques de la culture d’entreprise traditionnelle et les attentes des représentants de la génération Y

Culture d’entreprise traditionnelle Attentes des employés de la génération Y
Liens avec le travail Engagement envers l’organisation

Engagement envers des personnes avec lesquelles ils ont un contact direct (collègues, représentants de leur profession, clients)

Accès à l’information Voie hiérarchique Accès latéral et illimité
Place du travail dans l’existence Importante Moyen de réaliser sa vie personnelle

Rapports entre vie de travail et vie en dehors du travail

Domaines séparés
Interférences mal acceptées

Domaines fusionnant dans un seul ensemble de vie
Valeurs dominantes

Loyauté
Sécurité et statut
Pouvoir et autorité
Communication structurée et dirigée
Délégation
Reconnaissance matérielle
Participation dirigée

Autonomie
Changement et innovation
Valeur de la compétence
Communication naturelle et instantanée
Partage d’idées permanent
Reconnaissance existentielle
Participation émergeant là où se trouve l’information

Rôle attendu du superviseur Leader Conseiller

Tout d’abord, comme nous l’avons mentionné, les employés de la nouvelle génération cherchent à s’investir vis-à-vis de cibles qui leur sont plus proches et qui leur offrent une meilleure prise sur l’environnement de travail.

Ainsi, ils ont prioritairement le désir de s’engager envers un métier ou une profession qui les intéresse et sentiront davantage une communauté d’intérêts avec ses représentants. De même, une bonne relation avec des collègues ou des clients que l’on peut servir aura plus de signification sur le plan personnel que la relation abstraite et anonyme avec l’organisation en tant que telle. Comme le souligne Paré (2001 : 34), cette nouvelle réalité demandera à l’entreprise d’évoluer vers « des structures moléculaires plus fluides » où les employés partageront des expériences de manière flexible en équipe changeante.

L’engagement organisationnel, sur lequel tablait la culture d’entreprise traditionnelle, perdra donc de l’importance en tant que moyen de fidélisation des employés.

Parce qu’elle a contribué à l’émergence même de l’économie du savoir, la génération Y ne s’est pas heurtée aux barrières de l’accès à l’information qu’ont connues ses prédécesseurs. Par conséquent, cette nouvelle génération d’employés vivra le travail sans aucune limite quant à l’accès à l’information.

Contrairement à leurs prédécesseurs qui s’inscrivaient dans une relation de dépendance par rapport à une culture d’entreprise dont le flux de communication était essentiellement descendant (voir le tableau 2), les jeunes de la génération Y iront chercher l’information partout où elle se trouve.

Ainsi, ils auront une connaissance plus rapide et exacte de leur valeur sur le marché du travail. Suivant le modèle de Steel (2002), ces employés réagiront sans doute davantage aux changements de leur valeur sur le marché du travail. En conséquence, les organisations devront mettre en place des politiques de fidélisation en temps réel afin d’éviter les départs intempestifs. La vague de restructurations des années 1990 aura permis de reconsidérer la place du travail dans la vie.

En effet, alors que la culture d’entreprise traditionnelle voyait dans le travail la principale source d’identité, les employés de la nouvelle génération chercheront d’abord à réussir leur vie, le travail ne constituant qu’un moyen parmi d’autres d’y arriver. De façon assez intéressante, les nouveaux employés n’envisageront plus le travail et la vie en général comme des domaines séparés hermétiquement car les technologies de l’information ne permettent plus de faire cette distinction artificielle.

Désormais, les domaines de vie se mélangeront au sein d’un grand ensemble indifférencié. Curieusement, c’est justement cette fusion des domaines de vie qui fera émerger les exigences de qualité de vie comme facteur de réussite essentiel. On peut donc s’attendre à ce que les entreprises soient de plus en plus amenées à mettre en place des politiques de qualité de vie permettant de fidéliser des employés devenus plus exigeants, cherchant des solutions globales à leurs difficultés de vie et désirant être traités comme des personnes et non plus comme des salariés.

Les valeurs dominantes sont en passe de changer également. Alors qu’il y a peu la loyauté (engagement normatif) régnait encore, c’est maintenant la valeur de l’autonomie qui occupe le devant de la scène. Les jeunes de la génération Y ont grandi dans une culture où ils étaient les acteurs de leur propre apprentissage ; ils chercheront par conséquent à imposer cette valeur essentielle dans leurs rapports de travail.

Ils n’attendront pas l’avis de leur supérieur pour déplacer les frontières de leurs connaissances, ils les bousculeront par le jeu de leur propre autonomie d’action. Cela se traduira par le refus de la stabilité et du statut, et par la survalorisation de l’innovation et du changement. On peut même penser que le jour où l’ennui s’installera, la démission ne sera pas bien loin…

Chaque jour, ces nouveaux employés essaieront d’augmenter leurs compétences, dernier refuge de leur sécurité, et utiliseront la communication instantanée, sans délai, et le partage des expériences dans les équipes comme leviers du progrès personnel. Le concept de délégation, sous-produit des écoles humanistes du leadership, disparaîtra car il n’y aura plus rien à déléguer, l’information étant devenue « immanente » et l’apprentissage étant réalisé dans des réseaux virtuels d’amis, de collègues et de connaissances.

Toutes ces mutations entraîneront probablement le glissement progressif du mode de récompense matériel à un système de reconnaissance davantage existentiel. Étant donné que les employés voudront désormais être traités comme des personnes plutôt que comme des salariés, cela conduira à demander des récompenses qui tiennent compte de ce nouveau statut.

Les récompenses efficaces seront personnalisées, spécifiques, taillées selon les besoins individuels de l’employé à un moment précis de son existence. L’organisation devra alors connaître très bien chacun de ses employés afin de pouvoir répondre le plus précisément possible à leurs besoins. Qui mieux que le superviseur direct pourra assurer cette nouvelle fonction de conseiller ?

Dans la partie qui suit, nous reprenons les actions que nous considérons comme les plus susceptibles de mener à une mise en œuvre réussie d’une politique de fidélisation des employés de la nouvelle génération.

Fidéliser les employés de la nouvelle génération

L’évolution qui vient d’être esquissée indique que l’approche basée sur l’attitude en relation avec la fidélisation doit être adaptée de manière à tenir compte des engagements envers les entités locales (superviseur, clients, profession et collègues de travail). En revanche, l’approche holistique verra sa pertinence renforcée par le fait qu’elle intègre déjà les composantes de la vie personnelle comme leviers de fidélisation.

Tableau 3 :  Rôles organisationnels majeurs dans le cadre d’une politique de fidélisation des employés de la nouvelle génération

Niveau de la responsabilité Actions à mener
Organisation
  • Choisir des superviseurs qui adhèrent aux valeurs et aux objectifs de l’organisation
  • Augmenter le pouvoir de décision des superviseurs
  • Consulter les superviseurs avant de prendre des décisions organisationnelles importantes
  • Valoriser la contribution des superviseurs
  • Légitimer les actions des superviseurs
  • Permettre aux superviseurs de gérer leurs équipes de façon autonome
  • Soutenir les décisions des superviseurs
Superviseur
  • Transmettre aux employés les valeurs et les objectifs de l’organisation
  • Fédérer l’engagement des employés au niveau local
  • Agir comme symbole et représentant de l’organisation auprès des employés
  • Se tenir au courant de tous les mécanismes de reconnaissance qui s’appliquent à ses employés et les en informer (à travers le service des ressources humaines, le service de la formation, etc.)
  • Intégrer les attentes relatives au projet de vie de ses employés par rapport aux objectifs de l’organisation
  • Défendre les intérêts de ses employés auprès de la direction

Ces éléments verront leur importance s’accroître. Enfin, l’approche cognitive révélera une interaction plus forte et rapide qu’elle ne le conçoit sous sa formulation actuelle des étapes de l’accès à l’information sur le marché du travail. En effet, les employés seront désormais mieux informés et ils réagiront en temps réel. En raison d’une plus grande mobilité de la main-d’œuvre, les employés s’engageant sur une base strictement raisonnée (continuité) seront moins nombreux.

Par conséquent, l’enjeu d’une politique de fidélisation se déplacera davantage vers la capacité à conserver les employés attachés à l’entreprise et productifs. En raison du profil de valeurs de ces employés, il faudra miser non seulement sur des salaires attrayants, mais aussi sur des conditions intéressantes et une qualité de vie au travail supérieure à la moyenne.

Au-delà de ces ajustements aux modèles existants, il faut proposer des actions aux entreprises afin qu’elles répondent mieux aux exigences de la fidélisation de la nouvelle génération. Le tableau 3 reprend ces responsabilités selon qu’elles s’adressent à l’organisation en tant que telle ou aux superviseurs directs.

Au niveau de l’organisation, le sens même des actions à mener consiste à responsabiliser les superviseurs de première ligne afin qu’ils puissent mettre en œuvre localement les principes d’une fidélisation efficace. Avant toute chose, l’organisation choisira des superviseurs qui adhèrent à ses objectifs et à ses valeurs.

Ce principe est essentiel car, aux yeux de chaque employé, le superviseur incarnera les valeurs de l’organisation. Pour que l’action des superviseurs soit légitime, il est ensuite nécessaire que l’organisation, par des signes clairs et forts, renforce le pouvoir de décision des superviseurs. L’application de ce principe devrait engendrer une crédibilité accrue de ces derniers face à leurs collaborateurs.

Dans le même esprit, l’organisation gagnera à consulter ses superviseurs de première ligne avant de prendre des décisions organisationnelles majeures.

Cela garantira à la fois une plus grande confiance des collaborateurs vis-à-vis de leur superviseur et une assurance accrue des superviseurs quant à leur impact auprès des employés. La valorisation de la contribution des superviseurs à la vie de l’entreprise est également une action déterminante, car elle permet de maintenir leur moral et leur enthousiasme au travail.

Enfin, il est aussi souhaitable que l’organisation appuie les actions de ses superviseurs dans la gestion de leur équipe. Elle s’assurera ainsi que les actions locales trouveront un écho au plus haut niveau de l’organisation.

De la même façon, toute politique de fidélisation crédible doit s’appuyer sur des superviseurs qui sont bien informés des besoins personnels de chacun de leurs employés et qui agissent conformément aux valeurs de l’organisation.

En particulier, chaque superviseur devra transmettre à ses employés les valeurs et les objectifs généraux de l’organisation. De cette manière, il agira comme un représentant emblématique de l’organisation (Eisenberger et al., 2002). Son rôle consiste aussi à fédérer l’engagement des employés au niveau local de sorte qu’ils puissent s’articuler avec la nécessité d’un engagement organisationnel. Comme nous l’avons vu précédemment, les employés de la nouvelle génération tendent à vivre un engagement envers des cibles proches plutôt qu’envers l’organisation globale.

Le rôle du superviseur est de s’assurer que ces liens locaux pourront s’étendre à un engagement organisationnel. Pour y arriver, le superviseur doit incarner les valeurs de l’organisation.

Le rôle d’un superviseur est aussi de représenter un catalyseur de la reconnaissance offerte aux employés. En substance, pour qu’il puisse être perçu par ses employés comme un interlocuteur de choix en matière de reconnaissance du mérite, il est nécessaire que le superviseur coordonne l’ensemble des informations relatives à ce champ de pratiques. En particulier, il sera en contact avec le service des ressources humaines et le service de la formation afin de connaître les formes administratives (horaires, rémunération, primes) et de carrière (plan de formation) du système de reconnaissances qui s’applique à ses employés.

Qui plus est, le fait qu’un superviseur ait une influence réelle sur la reconnaissance du mérite des employés augmente sa crédibilité à leur égard. Dans un autre ordre d’idées, le superviseur jouera un rôle pivot dans l’articulation des aspirations de ses employés vis-à-vis des objectifs de l’organisation. Concrètement, il lui revient de montrer comment et sous quelles conditions l’appartenance à l’organisation peut conduire l’employé à réaliser ses attentes. Comme nous l’avons vu, ce travail devra être de plus en plus personnalisé.

Enfin, un dernier aspect majeur du rôle du superviseur consistera à défendre les intérêts de ses employés auprès de l’organisation et en particulier auprès de la direction.

Cette responsabilité est cruciale car elle représente un excellent test de l’influence réelle du superviseur au sein de l’organisation. Du résultat de ce type d’action dépendra directement le capital de confiance dont le superviseur bénéficiera auprès de ses employés.

Conclusion

Les recherches effectuées sur le roulement du personnel ont permis de relever plusieurs modèles rendant compte des départs volontaires. Dans cet article, nous avons examiné trois approches dominantes : l’approche basée sur l’attitude, l’approche holistique et l’approche cognitive. Les transformations qu’ont connues les organisations au cours des dernières années ainsi que le renouvellement des valeurs des individus attribuable à l’arrivée d’une nouvelle génération d’employés forcent à apporter des modifications à ces modèles. En particulier, il est vraisemblable que l’attachement des employés s’orientera vers des cibles plus proches d’eux, intégrera davantage que par le passé des aspects de la vie personnelle et s’appuiera sur un accès plus rapide à l’information comparative.

Dans ce contexte, la fidélisation des employés productifs se fera sous un mode différent. En particulier, certains points d’ancrage émergeront comme autant d’éléments clés d’une politique de fidélisation efficace, à savoir le renforcement de la relation de supervision, une responsabilisation accrue des superviseurs et une gestion plus personnalisée, globale et fluide des attentes des employés. Ce travail exigera une réforme en profondeur de la façon de concevoir la fidélité à l’entreprise, car désormais celle-ci sera en perpétuelle construction, et pourra donc sans cesse être remise en question.

Christian Vandenberghe est professeur à HEC Montréal.


Notes

1 Business Week, 20 avril 1998.

2 Voir Lee et Mitchell (1994), Lee et al. (1999), Mitchell et al. (2001a, 2001b).

3 Voir Becker (1992), Becker et Billings (1993), Becker et al. (1996), Clugston et al. (2000), Vandenberghe et al. (2004).

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